60% des salariés de Technord sont devenus actionnaires de l’entreprise

actionnariat salarié
Christophe De Caevel
Christophe De Caevel Journaliste Trends-Tendances

La famille Foucart reste l’actionnaire majoritaire de cette société d’électricité industrielle, en pleine croissance, après avoir réussi les virages de l’informatique industrielle et aujourd’hui de l’intelligence artificielle.

« Faire se rapprocher la logique économique et la logique sociale, ça a été le combat de toute ma vie. » Michel Foucart est particulièrement réjoui de voir le succès de l’opération d’ouverture du capital de la société familiale à ses salariés. Quelque 240 collaborateurs sur un effectif total de 400 ont souscrit des parts lors d’une opération qui s’est clôturée le 15 novembre. Ils détiendront ensemble 20% du capital de l’entreprise. « Le ticket moyen est trois fois supérieur aux montants que nous avions imaginé, abonde Philippe Foucart, fils de Michel et actuel CEO de l’entreprise. Toutes les catégories de travailleurs ont suivi, un tiers des ouvriers a pris des parts, les délégués syndicaux ont aussi pris des parts. »

Technord avait déjà envisagé la voie de l’actionnariat salarié en 2007. Les contraintes administratives n’avaient alors pas permis d’aboutir. Quinze ans plus tard, la voie n’est toujours pas simple -on travaille avec l’argent de monsieur et madame Toulemonde, cela implique une prudence bien légitime- mais elle est devenue plus courante. Technord a pu cette fois s’inscrire dans les pas d’Easi, Movify, Automation & Robotics ou I-Care pour mener l’exercice à bien. Avec une singularité importante : aucune circonstance particulière n’incitait à cette démarche, qui repose entièrement sur les fermes convictions de la famille Foucart.

Nous ne sommes pas en effet pas dans le cadre d’une cession de l’entreprise (exemple d’A&R). A 47 ans, Philippe Foucart semble avoir l’intention de tenir le gouvernail encore quelques années. Il ne prend pas en considération les offres de rachat qui arrivent régulièrement au siège de l’entreprise et la génération suivante est trop jeune pour déjà envisager un relais (l’aîné des huit cousins a tout juste 20 ans).

Nous ne sommes pas non plus dans le cadre d’une levée de fonds (exemple d’I-Care). « Technord a les moyens de ses ambitions, assure Philippe Foucart. Nous n’avons pas de dette bancaire et j’ai la fierté de dire que nous n’avons jamais perdu d’argent, même les années plus compliquées. » Et les perspectives incitent à l’optimisme avec les énormes marchés de la production de batteries ou de la décarbonation de l’industrie, dans lesquels les métiers de Technord ont une place très importante.

Les raisons d’une vente

Alors, pourquoi cette ouverture du capital ? Philippe et Bénédicte Foucart sont convaincus qu’en cédant une partie de leurs actions, ils pérennisent l’entreprise et son ancrage local. D’un point de vue technique, parce la participation du personnel pourrait freiner voire rebuter certains acquéreurs potentiels, notamment en raison des implications en terme de gouvernance et de consolidation d’un management de type participatif.

Mais surtout d’un point de vue économique. Ils citent une étude européenne qui conclut que l’actionnariat salarié augmente la productivité de 2,3% et le chiffre d’affaires de 2,4%, tout simplement grâce à l’implication et la motivation plus grande des travailleurs, à tous les échelons de l’entreprise. Ils sont par ailleurs convaincu que cette formule les aidera à attirer et fidéliser les talents, répondant ainsi à ce qui est sans doute le principal défi d’une entreprise qui a créé près de 200 postes supplémentaires sur les cinq dernières années afin de soutenir sa croissance. Technord dispose désormais de son académie interne pour améliorer constamment les compétences de ses 400 collaborateurs (auxquels il faut ajouter une centaine d’emplois indirects et de sous-traitants). « Nous avons délivré l’an dernier 25.000 heures de formation et sans le moindre subside pour cela », précise le CEO.

Toutes les catégories de personnel

Nous savons maintenant pourquoi les propriétaires de Technord ont souhaité se lancer dans cette aventure. Mais nous ne savons pas encore comment ils ont concrétisé cette ambition. «Avec Philippe, nous avons commencé à imaginer la future structure et les modalités d’achat et de vente des actions au cours d’un repas (les repas, c’est sacré dans la famille Foucart et ça doit toujours commencer par un bon apéritif, NDLR), se souvient Bénédicte Foucart. J’ai encore le set de table sur lequel nous avions griffonné les contours du projet. » Pour mener à bien l’opération, ils ont été accompagnés par l’unité « Cession & Acquisition » de Wallonie Entreprendre.

Principe de base : l’ouverture du capital est accessible à toutes les catégories de personnel des data scientists aux monteurs. La seule condition est d’avoir un an d’ancienneté au sein de l’entreprise. Les parts doivent a priori être conservées au moins trois ans, afin de garantir la vision à long terme qui est l’un des buts de l’opération. Deux cents quarante personnes ont donc décidé de souscrire et généralement bien au-delà de la mise de fond minimale fixée à 200 euros. « Qu’il y ait autant de gens qui se projettent chez nous à plus de trois ans, c’est formidable », pointe Philippe Foucart. C’est d’autant plus vrai que 30% de ces salariés-actionnaires ont moins de de trois ans d’ancienneté chez Technord et que l’âge moyen des souscripteurs est de 31 ans. « Les jeunes ont investi dans le projet, c’est la ressource de demain pour le groupe et cela va étaler les entrées et sorties de l’actionnariat », se réjouit Bénédicte Foucart. Ils notent par ailleurs avec satisfaction qu’on est autour des 60% d’actionnaires dans toutes les agences du groupe (Liège, Louvain-La-Neuve, Charleroi, Lille, Orléans, Lyon, Amsterdam…) et pas uniquement au siège central à Tournai.

Si l’opération était ouverte à tous, la famille Foucart avait sondé au préalable le comité de direction (11 personnes), avec ici un apport minimal de 8.000 euros. Si « la garde rapprochée» ne suivait pas à concurrence d’au moins 75%, tout le projet aurait été repensé. Elle a suivi à 100% et aucun directeur ne s’est contenté du plancher d’investissement. « Cette marque de confiance était pour nous indispensable », disent Bénédicte et Philippe Foucart.

Quand réaliser ses plus-values ?

Ces 240 personnes, directeurs inclus, n’ont pas acheté directement des parts du groupe Technord mais bien de la société TAS (Technord Actionnariat Salarié). Celle-ci rachètera des parts de Philippe et Bénédicte Foucart à concurrence de 20% de l’ensemble. Elle sera, à ce titre, représentée au conseil d’administration. Le prix d’achat a été défini par Deloitte, sur base d’une formule intégrant l’Ebitda des trois dernières années et la position de trésorerie de l’entreprise. L’investissement total des salariés représente 30% du prix d’achat, dont le montant est tenu secret mais qui se calcule en millions d’euros. Le solde sera apporté par Wallonie Entreprendre et par un prêt de la famille Foucart à TAS. Les dividendes des premières années serviront à rembourser les dettes de TAS.

Les dividendes, parlons-en. Ils ne vont a priori pas être gigantesques car Technord a pour habitude –« et ça ne changera pas », assure Philippe Foucart- de distribuer la moitié de son bénéfice sous forme de bonus à l’ensemble du personnel. Le retour sur investissement, les salariés-actionnaires l’auront essentiellement lors de la revente de leurs actions, en faisant le pari que l’entreprise aura continué à croître et que sa valeur aura donc augmenté. Le chiffre d’affaires, qui était de 90 millions l’an dernier, devrait atteindre 120 millions cette année, 150 millions en 2024 et on table sur les 200 millions en 2027.

Les perspectives sont donc encourageantes. Encore faut-il pouvoir trouver un acquéreur pour revendre. Dans les sociétés non-cotées, c’est parfois un problème. Technord a prévu une fenêtre de vente tous les trois ans vers les collègues d’abord, Wallonie Entreprendre ensuite (durant les 10 premières années), puis TAS et, enfin, en dernier ressort, la famille Foucart. « Cela garantit de la liquidité pour les actionnaires », résume Bénédicte Foucart. Les cessions se feront toujours, selon la formule imaginée au départ par Deloitte et dont les paramètres auront évolué. Les personnes qui quittent l’entreprise (retraite, départ volontaire, licenciement) sont obligées de vendre leurs parts à brève échéance. Les statuts prévoient aussi une possibilité de vente exceptionnelle, hors de la fenêtre triennale, en cas de circonstances personnelles imprévisibles (maladie d’un proche, par exemple).

Carte de visite

Technord est une PME familiale, fondée en 1945 à Tournai. Elle s’est fortement développée ces dernières années, en évoluant progressivement de l’électricité industrielle (qui reste son premier métier) vers l’informatique industrielle et l’intelligence artificielle. Cet éventail de compétences lui permet d’aider ses clients à optimiser leurs lignes de production. Parmi les clients de Technord, on trouve des géants de la pharma (Takeda, GSK, IBA), de l’agro-alimentaire (Moët & Chandon, Panzani), de l’extraction (Holcim, Lhoist), de l’énergie (Engie, Elia), etc.

L’entreprise emploie aujourd’hui 400 personnes et a réalisé l’an dernier un chiffre d’affaires de 90 millions d’euros. Il devrait grimper cette année à 120 millions et continuer vers les 200 millions d’euros à l’horizon 2027.

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