Quelques idées positives pour sortir de la crise

Aéroport de Tokyo au début de la pandémie - "Il est clair que les crises passées comme celle du Sras, du H1N1, d'Ebola, auraient dû nous alerter et nous conduire à nous préparer davantage", déclare Audrey Tcherkoff. © REUTERS

Winston Churchill disait qu’il ne faut jamais gaspiller une bonne crise. Essayons donc de ne pas gaspiller celle-ci.

Comment sortir de cette crise économico-sanitaire par le haut? La question est sur bien des lèvres. Elle sous-tend notamment le Manuel pour une sortie positive de la crise (*), une initiative de l’Institut de l’économie positive, filiale de la fondation Positive Planet qui appartient au mouvement initié il y a plus de 20 ans par Jacques Attali. Positive, le mot est donc lâché. L’ancien sherpa de François Mitterrand milite en effet depuis longtemps pour une économie positive, c’est-à-dire tournée vers le long terme et l’intérêt des générations futures. Une économie “durable” non seulement d’un point de vue écologique mais aussi sur le plan social et démocratique.

La crise a montré combien le sanitaire, l’économique, l’environnement ne font qu’un.

Quelques semaines après l’explosion de la pandémie, l’Institut de l’économie positive a commandité une vaste enquête auprès de 6.000 citoyens des pays du G20, nous explique Audrey Tcherkoff, qui copréside l’Institut avec Jacques Attali. Cette enquête, pilotée par le cabinet de consultance Bain, montre clairement une insatisfaction mondiale. Les critiques visent la manière dont les gouvernements ont géré la crise, pointant une série de manques dans la transparence de l’information, dans la reconnaissance de secteurs pourtant essentiels (la santé, l’alimentation, l’éducation, etc.) ainsi que dans la coordination internationale de la réponse et plus généralement dans l’anticipation de cette pandémie. “Il est clair que les crises passées comme celle du Sras, du H1N1, d’Ebola, auraient dû nous alerter et nous conduire à nous préparer davantage”, souligne Audrey Tcherkoff.

Audrey Tcherkoff
Audrey Tcherkoff© BELGAIMAGE

A partir de cette enquête, une commission composée d’une vingtaine d’experts a formulé des recommandations, compilées dans ce manuel et qui sont aujourd’hui présentées aux membres du G20, le club des principales économies mondiales. “Le G20 représente 85% du commerce mondial, les deux tiers de la population mondiale et à peu près 90% du PIB de la planète”, résume Audrey Tcherkoff.

Haut conseil de la résilience

La première de ces recommandations phares est la création d’un Haut conseil de la résilience, nouvel organe international qui référerait directement à la présidence tournante du G20. Il rassemblerait des experts dans différents domaines et aurait pour but d’analyser de manière transversale les différents risques (environnementaux, sociaux, économiques, numériques et sanitaires) auxquels nos sociétés sont confrontées, pour avoir une vision et une appréhension systémique de ces derniers. Il aiderait ainsi les gouvernements à établir des plans de prévention et à gérer au mieux une crise lorsqu’elle survient. Une mesure sur laquelle a plus particulièrement travaillé François Gemenne, spécialiste belge de la géopolitique de l’environnement, membre du Giec, membre de la commission et qui a rejoint voici un peu plus d’un an le comité scientifique de l’Institut de l’économie positive. “Le paradoxe, explique-t-il, est que nous avons fait face à une crise mondiale mais qui a déclenché des réponses essentiellement nationales. Ce n’est guère qu’au niveau des plans de relance et des vaccins que nous avons commencé à envisager la question d’un point de vue international. Mais dans un premier temps, nous étions dans une logique nationale: on se souvient des vols des masques sur les aéroports, du manque de respirateurs… La Chine nous avait alertés sur la dangerosité du virus dès le mois de janvier 2020.”

Le modèle de gouvernance internationale que nous avons hérité de l’après-guerre n’est plus adapté au monde actuel, abonde Audrey Tcherkoff. “Il a du mal à répondre aux enjeux actuels et surtout à anticiper les défis globaux qui pèsent sur nous, dit-elle. Si nous avions eu une coopération internationale efficiente, les bonnes pratiques auraient été partagées dès le départ. Nous aurions pu, par exemple, nous appuyer sur ce que la Corée du Sud avait mis en place dès le 15 décembre, un mois avant l’apparition de l’épidémie sur son territoire.”

Il faut saisir l’opportunité offerte par la crise actuelle, assure Francois Gemenne. “Pour beaucoup, cette crise a été un chemin de Damas. Ils ont réalisé l’importance de la résilience. La Belgique est l’un des pays les plus touchés par la crise. J’espère que nous en tirons quand même quelques leçons”, poursuit-il en indiquant que la ministre wallonne de l’Environnement Céline Tellier lancera un colloque sur la question de la résilience au printemps prochain. François Gemenne rappelle aussi que l’on ne part pas de rien. “Ces idées sont dans l’air depuis longtemps, dit-il. Pour la prévention des catastrophes naturelles, il existe un accord international (appelé le “cadre de Sendai”, Ndlr), qui vise à les prévenir et à en atténuer le choc. L’idée est de faire monter en grade ce type de processus sur des questions comme les crises sanitaires ou environnementales, et de voir combien ces crises sont liées entre elles.”

Il est urgent de prendre conscience du fait que nous partageons un monde commun. Nous vivons sur une planète d’associés.”

Audrey Tcherkoff, coprésidente de l’Institut de l’économie positive

One Earth, one Health

Car justement, et c’est un deuxième champ de recommandations, la crise a montré combien le sanitaire, l’économique, l’environnement ne font qu’un. L’Institut de l’économie positive recommande donc de créer un groupe d’experts indépendants qui travaillerait avec les organisations onusiennes de la santé (OMS), de l’agriculture (FAO) et de la santé animale (OIE) pour, entre autres, prévenir l’émergence de nouvelles maladies, traiter des questions de sécurité alimentaire, compiler et diffuser les bonnes pratiques afin de tendre vers une harmonisation des règles sanitaires au niveau mondial. Une approche résumée par le slogan: One Earth, One Health. “Cette crise nous rappelle notre interdépendance et met clairement en lumière la manière dont nous travaillons depuis des années en silos, commente Audrey Tcherkoff. Si un virus qui apparaît sur un marché local au coeur de la Chine centrale peut compromettre la santé de milliards d’individus, ébranler l’économie mondiale et bouleverser notre vie à l’échelle planétaire en un temps record, il est urgent de prendre conscience du fait que nous partageons un monde commun. Nous vivons sur une planète d’associés. Face à cette interdépendance, renforcer l’approche One Health est essentiel. Si nous ne le faisons pas, nous serons les premiers à en payer les conséquences.” Et elle poursuit: “Il faut tendre à une harmonisation des règles internationales par le haut. Si nous l’avions eue, nous ne nous serions jamais retrouvés avec ce problème apparu un jour avec la consommation d’un pangolin sur un marché illicite et sauvage en Chine”.

François Gemenne
François Gemenne© BELGAIMAGE

Troisième grande recommandation: réorienter massivement les investissements vers ce que Jacques Attali appelle “l’économie de la vie”, ces secteurs qui contribuent au bien-être des générations actuelles et futures. On parle, par exemple, de la santé, la gestion des déchets, la distribution d’eau, le sport, l’alimentation saine, l’agriculture, l’éducation, l’énergie propre, la protection de l’environnement, les transports publics, le numérique, le logement, la culture, etc. Nos économies ont sous-investi dans une série de ces secteurs vitaux. L’arrêt des flux des hommes et des marchandises dans les pre- mières semaines de la crise a fragilisé les chaînes d’approvisionnement mondiales en un temps record. Dans le même temps, des secteurs d’activités non durables n’ont pas été suffisamment incités à se reconvertir. L’ensemble de ces facteurs contribue à aggraver notre sensibilité aux crises. Il convient donc d’orienter les fonds publics et privés vers cette “économie de la vie”. Comment? En inventant des outils financiers ad hoc (des life bonds, par exemple) mais aussi en créant des indicateurs permettant de savoir où nous en sommes. “Nous voulons développer une grille méthodologique qui permette d’identifier les besoins spécifiques à chaque secteur d’activités, pour développer les secteurs positifs et engager la reconversion de ceux qui ne le sont pas encore”, explique Audrey Tcherkoff. L’OCDE, de par son action et expertise dans le domaine, pourrait être chargée d’élaborer ce cadre méthodologique. L’objectif serait de présenter une feuille de route permettant de suivre et d’évaluer les investissements réalisés dans l’économie de la vie, les risques, les avantages et la rentabilité de ceux-ci.

C’est maintenant que tout se joue

“L’idée est aussi d’utiliser tous les plans de relance qui sont aujourd’hui mis en place, ajoute Audrey Tcherkoff. Les fonds du plan de relance européen ne devraient s’investir dans des projets, dans des secteurs, dans des activités qu’à la condition de générer des externalités positives. La conditionnalité des aides aux secteurs non durables, tels que la pétrochimie, doit s’accompagner de mesure de reconversion, de protection de l’environnement et de limitation des émissions de gaz à effet de serre.”

La quatrième thématique que les pays du G20 devraient pousser est celle de l’éducation et de la lutte contre l’exclusion. “Face aux conséquences financières de la crise, le risque est grand d’une baisse des budgets nationaux et internationaux d’éducation. Nous demandons aux gouvernements de sanctuariser leurs budgets dans ce domaine, explique Audrey Tcherkoff. C’est aussi la demande des Nations unies. L’éducation est à la racine de la lutte contre la pauvreté. Selon l’Unicef, si tous les adultes du monde avaient deux années d’éducation supplémentaires, nous pourrions sortir 60 millions de personnes de la pauvreté en plus. Il faut donc promouvoir une éducation de qualité pour tous. Cela passe par la revalorisation du métier d’enseignant, par l’accroissement continu de leur connaissance. Cela signifie aussi assurer l’égalité des chances par rapport à cette éducation de qualité: on sait que les petites filles et les femmes sont les premières victimes d’un manque d’éducation.”

Le paradoxe est que nous avons fait face à une crise mondiale, mais qui a déclenché des réponses essentiellement nationales.”

François Gemenne, membre du GIEC, et du comité scientifique de l’Institut de l’économie positive.

L’heure est à l’urgence. “C’est maintenant que tout se joue, conclut Audrey Tcherkoff. Nous pouvons toujours être tentés par les sirènes du court terme, car il existe encore une véritable envie de repartir au plus vite et donc de poursuivre sur le modèle d’avant alors que 500 millions de personnes sont menacées de basculer dans la pauvreté extrême dans le monde. Mais quels que soient les gouvernements qui seront élus dans les prochaines années, ils ne seront plus en mesure d’annuler les décisions prises aujourd’hui. C’est pour cela qu’il ne faut surtout pas attendre les prochaines élections. C’est maintenant qu’il convient de surveiller les actions de nos dirigeants politiques et d’essayer dans la mesure du possible d’en être acteurs.”

Quelques idées positives pour sortir de la crise

(*) Manuel pour une sortie positive de la crise , sous la direction d’Audrey Tcherkoff, éditions Fayard, 208 pages, 17 euros.

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