“Une pension minimale à 1500 euros? Attention aux petits caractères de l’accord gouvernemental”

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Ria Janvier, experte pension de l’Université d’Anvers, dresse un premier bilan des projets du nouveau gouvernement De Croo.

Aujourd’hui, les experts font l’objet de nombreuses critiques car ils s’opposent souvent aux décisions du monde politique. Je me suis donc engagée à porter un regard neuf et sans jugement sur les objectifs pension de notre tout nouveau gouvernement fédéral. Le volet “pensions” de la note de formation Vivaldi n’est pas très long. Il compte environ 1400 mots. Cet article doit être encore plus succinct, et je me vois donc obligée de n’en commenter que quelques facettes.

L’accord du gouvernement devait évoquer cette pension minimale presque magique de 1500 euros par mois, c’était écrit. Pendant la campagne électorale à l’approche des élections de mai 2019, il s’agissait d’une des seules, voire la seule, propositions concrètes en matière de retraite. Et pour ainsi dire tous les partis qui se respectent se sont empressés de se disputer les faveurs de l’électorat en répétant le même mantra. Toutefois, la difficulté était et reste que tout le monde ne conçoit pas le concept d’une pension à 1500 euros par mois de la même manière. Cela commence par le débat entre brut et net. Il semble (plus) logique de partir du brut, car la somme nette varie en fonction de la situation fiscale concrète de chacun.

À mon humble avis, une Belgique prospère et solidaire ne peut pas se permettre qu’une personne “qui a travaillé pendant 45 ans” doive se contenter de moins que cela pour ses vieux jours. Le montant brut peut même être légèrement plus élevé, car notre système fiscal progressif vise à réduire les inégalités.

Mais prêtons attention aux petits caractères de l’accord gouvernemental :

Pour les futurs retraités, outre une durée de carrière minimale pour la pension minimum de 30 ans, une condition d’emploi effectif d’une taille encore à déterminer ou une mesure équivalente sera introduite.

Laissez-moi vous expliquer ce que cela signifie. La pension minimum reste réservée à ceux qui ont au moins trente ans de carrière au compteur lors du calcul de la pension. Toutefois, ces personnes recevront alors une somme mensuelle proportionnelle à la durée de leur carrière. Par exemple, après trente ans, vous recevrez 30/45 e de 1500 euros par mois.

Une autre zone d’ombre apparait au tableau. En effet, le gouvernement mentionne en toutes lettres que la pension minimale ne sera pas garantie à ceux qui n’ont pas travaillé durant de longues périodes au cours de leur carrière, car ils se sont retrouvés dans ce que l’on appelle les périodes assimilées (incapacité de travail, chômage, absence pour soins, etc.). La question reste alors de savoir où se situera la limite.

En outre, l’idée d’une pension à mi-temps fait à nouveau son apparition. En théorie, il s’agit d’un concept intéressant qui permet de relâcher graduellement la pression en fin de carrière. En pratique, la mise en place d’une telle mesure ne va pas de soi, mais n’est cependant pas insurmontable. Veuillez noter qu’une pension à mi-temps n’est une option qu’à partir du moment où une personne peut prendre sa prépension. Situation envisageable à deux conditions : être âgé d’au minimum 63 ans et avoir plus de 42 ans de carrière. Ainsi, les personnes ayant fait des études jusqu’à 23 ans et qui ont ensuite eu un parcours professionnel sans faille ne peuvent prendre leur prépension qu’à partir de 65 ans, ou alors éventuellement opter pour une pension à temps partiel. Il est alors légitime de se demander si cela en vaut vraiment la peine, et s’il ne faudra pas introduire des critères plus flexibles pour éviter que la pension à mi-temps ne passe à côté de son objectif.

Travailler plus longtemps que l’âge minimum de la retraire paiera également à nouveau. En effet, le gouvernement De Croo réinstaurera le bonus de pension supprimé par son prédécesseur. Bien.

C’est sans aucune hésitation une très bonne chose que le nouveau gouvernement fédéral veuille s’attaquer au système de pension de maladie pour les fonctionnaires en incapacité de travail, aujourd’hui dépassé. Si un fonctionnaire, peu importe son âge, est déclaré définitivement inapte à travailler, il doit prendre une pension anticipée. Je n’ai pas besoin de vous faire un dessin pour que vous compreniez qu’en cas de carrière courte, cette situation est financièrement peu avantageuse pour le fonctionnaire en question. Plus important encore, ce système va directement à l’encontre des objectifs de réintégration. J’espère que ce gouvernement, contrairement au précédent, réussira à mener ce projet à bien.

L’un des autres sujets brûlants est sans nul doute celui concernant la possible suppression des inégalités entre les différents régimes de pension (salariés, indépendants et fonctionnaires). Quelle technique le gouvernement va-t-il adopter ? Tout d’abord, l’accord gouvernemental rassure. Personne ne touchera “aux droits acquis des pensionnés actuels”. “Les règles du jeu qui s’appliquaient avant le début de la réforme ne peuvent être ajustées au regard des droits déjà acquis.”

S’en suivent d’autres clarifications, toujours avec prudence. “Il y a plus de convergences entre et au sein des différents systèmes.” Ne parlons donc plus d’harmonisation, mais bien de convergence.

L’unique proposition concrète en matière de convergence concerne la suppression du coefficient de correction dans le régime des indépendants. La philosophie sous-jacente à l’application de ce prétendu coefficient de correction est que celui-ci correspond à la relation entre les cotisations des salariés et des employeurs dans le régime des travailleurs salariés et celles des indépendants correspondant au régime de pension des travailleurs indépendants. Actuellement, ce coefficient s’élève à environ 0,7 : si un travailleur et son employeur cotisent un euro, la cotisation du travailleur indépendant sera limitée à 70 centimes. Des calculs élaborés nous montreront si ce ratio est toujours d’actualité. Il me semble qu’une meilleure protection sociale des indépendants est intimement liée au paiement de cotisations sociales suffisantes.

Notre gouvernement fédéral flambant neuf compte pas moins de trois anciens ministres des pensions : Frank Vandenbroucke, Vincent Van Quickenborne et notre Premier ministre Alexander De Croo. L’expertise ne manque pas, donc. Je souhaite beaucoup de succès à notre nouvelle ministre dans le domaine, Karine Lalieux. Car entre le rêve et la réalité, il y a souvent de nombreuses contraintes financières, surtout en ce qui concerne les pensions. Je me réjouis d’être le 1er septembre 2021, le jour où elle va (ou devra) révéler son plan pension concret.

Ria Janvier est la spécialiste des pensions en Flandre. En 1988, elle a défendu sa thèse de doctorat portant sur la protection sociale du personnel du secteur public. Depuis, elle enseigne à la faculté des sciences sociales de l’Université d’Anvers (dont elle fut la doyenne de 2006 à 2012), où elle est considérée comme une autorité en matière de droit de la fonction publique. Elle fait partie de la commission de réforme des pensions 2020 – 2040.

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