Taxation de la prime énergie pour les hauts revenus : de nombreuses questions en suspens

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La Vivaldi a statué sur un paquet de primes à l’énergie pour une grande partie de la population belge. Les revenus au-dessus de la moyenne devront restituer en partie cette aide. Comment se traduira cette taxe ? Rien ne filtre encore et de nombreuses questions restent en suspens.

Les mesures du gouvernement prises pour soutenir les ménages dans le contexte de la crise énergétique tablent sur une réduction de la facture d’énergie via une prime à l’énergie. Cette dernière se chiffrera à 192 euros par ménage de novembre à mars, soit 135 euros par mois sur la facture de gaz et 61 euros par mois sur la facture d’électricité tout au long de la période hivernale.

Cette aide sera automatiquement déduite des factures d’acompte et valable pour tous les contrats à tarif variable et fixe conclus ou renouvelés après le 1er octobre 2021. Les personnes bénéficiant du tarif social n’y auront pas droit.

Une contribution spéciale pour les hauts revenus

Le paquet d’aides fera l’objet d’une “contribution spéciale” pour les isolés fiscaux dont le revenu annuel imposable net dépasse les 62.250 euros pour l’exercice d’imposition 2023. Pour les couples dont le revenu annuel imposable net dépasse les 125.000 euros (plus un plafond augmenté de 3.700 euros par personne à charge) une cotisation sociale, à hauteur de 1,5 x le tarif d’imposition moyen, sera appliquée.

Les revenus imposables nets en droit fiscal belge représentent, pour un salarié, son revenu brut, dont sont soustraits les cotisations sociales et les dépenses professionnelles. Le principe est le même pour les indépendants.

Selon Philippe Defeyt, économiste à l’Institut pour un développement durable, cette taxation sera “tarabiscotée” à mettre en oeuvre. Il évoque quelques écueils à sa mise en oeuvre à Trends Tendances.

L’économiste a réalisé une simulation pour une personne salariée, isolée fiscalement, dont la rémunération se situe juste au-dessus de la barre des 62.250 euros (environ 5.600 bruts par mois selon ses calculs): “Si on ne déduit pas autre chose chez cette personne isolée fiscalement, sa prime devrait être taxée d’environ 53%”, explique-t-il.

La taxation sera établie au nom de la personne qui a obtenu la prime. L’économiste s’interroge : “On regardera à qui appartient le compteur pour taxer la prime. Si son revenu imposable est inférieur aux montants cités, pas de souci. Si son revenu personnel est supérieur, elle sera taxée avec une formule alambiquée”.

Comment calculer le taux de taxation pour les personnes mariées ?

Pour l’économiste, cette méthode pose problème : “Une personne avec un ‘petit’ revenu de 40.000 euros imposables dont le compteur familial est à son nom ne devra rien payer alors qu’elle vivra peut être avec quelqu’un de très riche et inversement. Une personne avec un revenu important peut en fait faire partie d’un ménage où personne d’autre ne gagne sa vie“, avance-t-il.

L’économiste se pose d’autres questions concernant les contribuables mariés : “Quel sera le taux de taxation moyen retenu, puisque chaque contribuable a le sien ? Le taux de taxation moyen pondéré ? Le taux propre à chaque contribuable appliqué à une répartition de la prime entre les deux contribuables ? Et si c’est le cas, comment répartir la prime ? Je laisse le soin aux décideurs de trouver une solution qui risque d’être tarabiscotée.

Il note qu’un problème de même nature se pose dans le cas d’un contrat d’énergie signé par deux cohabitants non mariés : “qui déclare la prime, ou les parties de prime si c’est la formule retenue ?” Et quid des cohabitants de fait ? “Sur le plan fiscal, ils sont considérés comme des célibataires, mais il est possible que le contrat d’énergie soit à leurs deux noms “, fait-il remarquer.

Du côté du cabinet du ministre des Finances Vincent Van Peteghem (CD&V), on reste laconique et très vague sur la manière précise dont la cotisation spéciale sera ponctionnée. Selon Miet Deckers, porte-parole du ministre, il est trop tôt pour donner plus de détails pratiques. Elle martèle que la taxation se fera bien au nom de la personne qui possède le contrat, sans nous donner plus de détails pratiques sur les autres scénarios évoqués par Philippe Defeyt.Miet Deckers nous renvoie vers le cabinet de l’Energie qui nous renvoie vers… le cabinet des Finances. Preuve que la mise en place du système semble effectivement “tarabiscotée” en hauts lieux.

Stéphanie Maquoi, porte-parole de Tinne Van der Straeten, ministre fédérale de l’Énergie (Groen), explique, de son côté, que le texte législatif définissant les critères d’octroi de la prime énergie (gaz et électricité) a pris un peu de retard.C’est la course contre la montre pour pouvoir octroyer la prime aux ménages sur la facture du mois de novembre. Il y a énormément de clients et de compteurs, les listings des fournisseurs sont longs. Cela prend du temps. On a aussi pris une semaine de retard car la N-VA a demandé une seconde lecture du texte en Commission.”

Taxation de la prime énergie pour les hauts revenus : de nombreuses questions en suspens
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60% des ménages aidés

Au final, en faisant le compte et en prenant le tarif social élargi, environ 60% des consommateurs de gaz et d’électricité bénéficieront de l’aide à l’énergie (19% bénéficiant du tarif social). Parmi ces personnes aidées seuls quelques pour cent devront la rétrocéder une partie via l’impôt. Une mesure qui n’est pas assez ciblée selon Philippe Defeyt.

Si l’on en croît les estimations budgétaires, le nombre de ménages concernés par la mesure électricité serait d’un peu moins de 3.000.000 sur environ 5.000.000 ménages au total ; c’est un peu moins de 1.800.000 pour le gaz. Il faut tenir compte de ce que les ménages bénéficiaires du tarif social (940.000 pour l’électricité et 580.000 pour le gaz) ne sont pas concernés et qu’environ 3.000.000 ménages se chauffent au gaz. Au total, on peut estimer qu’environ 1.100.000 ménages de la classe “moyenne” consommateurs d’électricité ne bénéficieront pas de cette prime énergie et 660.000 ménages se chauffant au gaz.”

Taxation de la prime énergie pour les hauts revenus : de nombreuses questions en suspens
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Mieux cibler les aides

Dire qu’il s’agit une mesure ciblant la classe moyenne est scandaleux“, s’indigne l’économiste dans notre récent article. Pour Philippe Defeyt, dans l’idéal, à l’avenir, il faut bien mieux cibler les aides. Ici, on a complètement raté le coche ! On donne cette prime à des gens qui ont des revenus élevés, des panneaux solaires, une voiture salaire, couplée à une carte essence,…c’est indécent !

“Ce qui est clair c’est que je refuse de parler des problèmes de la classe moyenne, le souci c’est la classe moyenne inférieure. Il faut faire un choix pour la définir. Ce sont en général des gens qui ont de petits salaires, qui souvent travaillent à temps partiel, qui n’ont pas beaucoup d’avantages extralégaux, sont plus souvent locataires, sont pas ou peu aidés pour leurs frais de déplacement professionnels… ces personnes sont juste au-dessus des plafonds pour avoir le tarif social et auront plus de difficultés à payer les factures, c’est elles qu’il faut aider en priorité !“, avance Philippe Defeyt.

Il tient aussi à souligner “que toutes ces complexités naissent d’une double faiblesse de notre système de redistribution des revenus : une ignorance de la répartition des revenus par ménage et l’absence de dispositifs permettant de verser rapidement des primes au public cible“. Et de conclure : “Dans les faits, il n’y a que quelques pour cent des ménages qui vont devoir rembourser. Ce ne sera jamais – comme certains l’ont dit – 15% des ménages qui devront payer, estime l’économiste. On gaspille vraiment de l’argent public !

500.000 citoyens pourraient ne pas recevoir automatiquement la prime

Comme pour la prime chauffage de 100 euros, il se pourrait aussi qu’une partie des citoyens ne reçoive pas automatiquement la prime énergie à cause notamment d’un échange de données erroné entre le SPF Économie, les fournisseurs d’énergie et le Registre national. “Certaines personnes devront faire une demande de prime mais on essaie que ce soit le plus automatique possible, commente Stéphanie Maquoi, du SPF Energie. On est entre 5.000.000 de primes automatiques et 500.000 citoyens qui devraient en faire la demande. Il est toujours possible que certains consommateurs passent à travers les mailles du filet mais ils pourront toujours demander la prime via un formulaire en ligne.”

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