La crise Fedex à Liège et le futur de son aéroport : retour à 2018 (infographie)
La restructuration de l’ancien hub de TNT est une mauvaise nouvelle pour Liege Airport, mais elle ne remet pas en cause son développement. Son volume cargo pourrait revenir à celui de 2018. Puis repartir à la hausse, grâce à la poussée de l’e-commerce.
Après une année 2020 exceptionnelle durant laquelle Liege Airport a connu un record de trafic cargo avec plus de 1,1 million de tonnes (+24%), une mauvaise nouvelle est tombée. Le roi du courrier express américain, FedEx, a dévoilé l’organisation qu’il allait mettre en place suite au rachat de TNT. Le hub européen principal continuera à tourner à Roissy-Charles de Gaulle. Celui de Liège, qui est le hub de TNT, deviendra à partir de mars 2022 une plateforme secondaire. D’où une réorganisation profonde, avec une réduction de l’effectif de 671 personnes sur les 1.800 salariés employés actuellement. Au total, FedEx annonce une réduction des effectifs de 5.500 à 6.300 postes en Europe. L’impact pour Liege Airport est évalué à 20% de recul du fret, soit 850.000 à 900.000 tonnes, le niveau de 2017-2018.
La nouvelle est dure pour Liege Airport, car le hub de TNT a été le moteur de son développement. Elle ne menace cependant pas le futur de la plateforme. “Cela n’a rien à voir avec la fermeture de Caterpillar à Gosselies”, estime Alain Decors, CEO de Belgium Airport Services, une société de manutention aéroportuaire installée à Liege Airport. Qui avance que la logistique de l’e-commerce va continuer à pousser l’activité de l’aéroport: “Les acteurs de l’e-commerce sont des game changers dans le secteur”.
La décision de FedEx est rude, mais l’aéroport est moins dépendant de FedEx que ne l’est Charleroi Airport de Ryanair. Les parts de marché respectives sont en effet de 40% et 76%. Et, surtout, FedEx ne plie pas bagage. “Je précise une chose importante: nous ne partons pas de l’aéroport de Liège.” C’est la phrase que répète Jean Muls, le patron des hubs de FedEx en Europe, qui gère les conséquences de l’intégration de TNT dans les activités de la division FedEx Express (envois express) du groupe FedEx. La configuration adoptée est celle qui prévaut aux Etats-Unis, où le hub principal de Memphis est secondé par un hub à Indianapolis.
Je précise une chose importante: nous ne partons pas de l’aéroport de Liège.
Jean Muls, patron des hubs de FedEx en Europe
Décollages simultanés à Roissy
Liege Airport paie le prix du rachat de TNT par Fedex en 2016. La fusion s’est étirée sur cinq ans, durée pendant laquelle les deux réseaux aériens ont tourné en parallèle en Europe. L’objectif de FedEx était, depuis le début, d’aboutir à un réseau et une marque uniques. Il fallait entre autre choisir un hub principal, entre Roissy-Charles de Gaulle, le hub européen historique de FedEx, et Liege Airport, le hub de TNT. “Cela n’avait pas de sens de maintenir deux connexions aériennes vers les mêmes aéroports, d’envoyer par exemple un avion vers la Suède depuis Paris et une autre depuis Liège, explique Jean Muls. Liege Airport jouera un rôle de hub secondaire et sera surtout relié aux grands marchés, comme l’Allemagne ou la France.”
Pourquoi Liège a-t-il “perdu” face à Roissy? “Nous avons analysé différents scénarios, étudié plusieurs critères”, ajoute le CEO. L’un d’eux est la capacité d’envoyer rapidement un grand nombre d’avions vers leurs destinations. Roissy offre une capacité supérieure. “C’est le deuxième plus grand aéroport en Europe, avec quatre pistes dont deux peuvent fonctionner en parallèle”, continue Jean Muls. Avec donc des décollages simultanés, chose impossible à Bierset. Roissy dispose aussi d’une importante capacité de triage des envois, qui a été récemment doublée, pour arriver à 68.000 pièces traitées à l’heure. “Tout comme nous avons aussi investi dans le tri à Liege Airport”, précise Jean Muls. Sa capacité est de 48.000 envois triés à l’heure.
Soupçons sur ADP
On peut disserter à l’infini sur ce choix. Et soupçonner la société Aéroports de Paris (ADP), actionnaire de Roissy et aussi de Liege Airport (à 25%), d’avoir fait pencher la balance vers la capitale française. “Evidemment, Roissy est actuellement quasi sans activité, la remontée en puissance va prendre des années, cela laisse une capacité énorme pour FedEx”, note un observateur avisé du secteur. Mais c’est le choix de FedEx qui, dans son dernier rapport annuel, présentait déjà Roissy comme son principal hub européen, Liege Airport n’ayant droit qu’à une demi-ligne.
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La surprise provient du long délai entre l’annonce du rachat de TNT et le plan d’intégration: cinq ans. Une attaque informatique, qui a paralysé TNT en 2017, a ralenti les choses. Mais tout cela durait depuis si longtemps qu’en Belgique, l’attention s’était quelque peu dissipée. FedEx, très rassurant, n’avait visiblement pas prévenu à quel point il allait se réorganiser en Europe. “Pour nous, c’était une véritable surprise”, indique Christian Delcourt, porte-parole de Liege Airport.
Cela fait des décennies que le numéro un américain cherchait à devenir un acteur de poids en Europe face à DHL (Deutsche Post) et UPS. Il avait commencé en ouvrant un hub européen… à Bruxelles (Zaventem) en 1985. Hub qu’il avait fermé 1992 (on l’a oublié). L’entreprise est revenue en ouvrant de nouveau un hub européen à Roissy-Charles de Gaulle en 1999, fortement aidé par les collectivités locales. Voilà donc 20 ans qu’elle développe ce centre de tri, où travaille à présent 2.500 personnes.
La fusion qui n’en finissait pas
La pression des actionnaires de FedEx est forte car les retards pour absorber TNT ont énervé certains investisseurs, dépités par l’escalade des coûts de restructuration. Au rachat d’un montant de 4,8 milliards de dollars s’est en effet ajouté 1,7 milliard de frais de restructuration, soit le double de ce qui était prévu. La sévérité de l’opération actuelle est à la mesure des déconvenues passées. FedEx promet que l’intégration produira, à partir de 2024, un gain de 275 à 350 millions de dollars par an.
La pression du marché est également présente. Si FedEx pousse à fond les synergies, c’est que le marché de la logistique est tendu. FedEx Express, c’est d’abord du B to B, des envois express payés cher par les entreprises. Or, ce qui grimpe le plus, c’est l’e-commerce, du B to C, dont le business model est différent. “Les acteurs de ce marché sont très sensibles aux prix de transport, relève Alain Decors. Et les plus gros tendent à s’intégrer verticalement, à prendre le contrôle de leur logistique.” Aux Etats-Unis, Amazon a acheté des dizaines d’avions à son nom, des milliers de camionnettes et de camions. Fedex a préféré jeter l’éponge, renoncer à travailler avec Amazon sur ce marché. Elle réajuste son approche du marché e-commerce, notamment en rabotant ses coûts, pour toucher d’autres acteurs de l’e-business.
L’effet Alibaba
Le chinois Alibaba suit une approche similaire à celle d’Amazon, qui profite à Liege Airport. Il a décidé de développer sa propre logistique via une filiale spécialisée, Cainiao. C’est cette dernière qui s’installe à Liege Airport et ouvrira sans doute cette année son entrepôt, recrutant au passage environ 200 à 300 personnes. “En Asie, les acteurs de l’e-commerce avaient d’abord eu recours aux compagnies aériennes pour envoyer leurs colis sur leurs lignes régulières”, poursuit Alain Decors. Maintenant, ils louent des avions entiers, en mode charter. Dont certains atterrissent à Liege Airport avec des compagnies comme ASL ou AirBridgeCargo.
En somme, le trou d’air provoqué par la décision de FedEx pourrait être absorbé. Amazon et Alibaba connaissent des croissances de 30 à 40% par an, alors que FedEx Express, actif à Liege Airport, se situe à +10%. C’est une bonne nouvelle pour le personnel de TNT menacé, car l’activité de Liege Airport ne devrait pas chuter durablement.
“Le recul ne va pas se traduire dans les chiffres de 2021”, indique Christian Delcourt. Puisque le big bang, le basculement du réseau FedEx dans la nouvelle configuration hub principal/hub secondaire, n’interviendra qu’en mars 2022. Avec un impact sur toute l’année à partir de 2023. Beaucoup de choses peuvent changer d’ici là. Ainsi, Air Belgium, qui n’a plus d’activité passager pour le moment, ouvre une activité cargo, en partie depuis Liege Airport.
Les embauches possibles
“Le recul des activités de FedEx va aussi libérer des créneaux de vol“, assure Alain Decors dont l’entreprise, qui a démarré en 2018, compte une centaine de personnes. “Nous recrutons, continue-t-il. Ici, tout le monde sera content d’embaucher des travailleurs de TNT, car les métiers sont proches.” Comme le rappelle le CEO, la formation pour ces métiers ne suit pas encore la demande. Belgium Airport Services assure le chargement et le déchargement des avions, dispose d’un hangar à l’aéroport et de deux autres juste à l’extérieur, où il fait du tri.
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Le ministre wallon Jean-Luc Crucke, notamment en charge des Aéroports, a annoncé son intention d’adresser une lettre au CEO et fondateur de FedEx, Frederick Smith. “Je veux lui expliquer qu’il a fait une erreur, a-t-il indiqué au Parlement wallon. Ils quittent un modèle de flexibilité, de solidarité, de souplesse.” Mais la Région wallonne ne peut guère espérer influencer la clientèle de ses aéroports. Celle-ci arrive, repart, selon les stratégies et les plans marketing.
Seules les grandes plateformes bénéficient de transporteurs ancrés dans le pays, assurant une clientèle à long terme: Lufthansa pour Francfort et Munich, KLM pour Amsterdam, Swiss pour Zurich, qui y représentent la moitié du trafic. Rien de tout cela à Liège ou Charleroi, qui s’efforcent de diversifier, avec plus de succès dans le premier cas que dans le second. Puis rien n’interdit que d’ici cinq ans ou plus, le hub “secondaire” de FedEx, à Liège, reprenne de l’ampleur. On a bien vu DHL partir puis revenir à Zaventem, licencier et embaucher…
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