FedEx et TNT Express: une lente digestion

Liege Airport est ouvert la nuit, sans limitation, ce qui est précieux pour un business basé sur la vitesse. © Belgaimage

FedEx a plutôt bien traversé la crise du Covid-19 à Bierset. Il lui reste à achever l’intégration du réseau de TNT Express, acquis il y a déjà quatre ans.

TNT, c’est bientôt fini. La couleur orange qui a longtemps dominé l’aéroport de Liège, principal hub aérien de TNT Express, devrait disparaître l’an prochain, au plus tard début 2022. La marque FedEx va absorber totalement les traces de TNT, ex-filiale de courrier express des postes néerlandaises.

Ce sera le terme d’un long processus lancé en 2016, avec l’annonce du rachat de TNT Express par le géant américain FedEx. Car jusqu’à présent, les réseaux TNT et FedEx tournent quasi séparément. Le rachat de TNT Express n’avait pas remis en cause l’activité de tri à l’aéroport de Liège, premier grand client de cette plateforme depuis 1998. Il pèse encore 45% de l’activité de Liege Airport.

Trente-six avions par jour

TNT Express a joué un rôle crucial dans le développement de Liege Airport, FedEx a pris le relais. Le groupe américain, très important aux Etats-Unis et à l’international, a voulu améliorer sa présence en Europe, en profitant du réseau plus dense de TNT. FedEx est plus global. Chaque jour, 36 avions, la plupart aux couleurs de FedEx, arrivent à Liège et en repartent, et ce depuis et vers les quatre coins de l’Europe, les Etats-Unis et l’Asie. Une centaine de camions se pressent autour du bâtiment de FedEx/TNT, où travaillent 1.800 personnes, dont 780 la nuit, dans l’immense centre de tri qui peut traiter 48.000 colis à l’heure. Les envois sont collectés partout en Europe pour être aiguillés vers l’avion ou le camion de leur destination.

Jean Muls, en charge des hubs aériens en Europe:
Jean Muls, en charge des hubs aériens en Europe: “Notre force est notre flotte de 670 avions dans le monde. C’est précieux quand la capacité cargo qui passe par les avions passagers a quasiment disparu.”

Ces derniers mois, l’activité a été perturbée par le coronavirus. ” Comme c’est le cas pour tous les événements, nous revoyons nos plans à long terme. Nous revoyons notre réseau, ajustons en fonction des volumes et des conditions opérationnelles “, déclare Jean Muls, vice-président de Fedex, en charge des hubs aériens en Europe (Liège, Paris, Cologne). Nous sommes optimistes sur nos perspectives à long terme en Europe, surtout avec les pas que nous faisons dans l’interopérabilité complète de nos réseaux FedEx et TNT.” La pandémie a gelé la croissance, habituelle dans ce secteur, en touchant le trafic B to B (entre entreprises). Une baisse partiellement compensée par la poussée du commerce électronique et les transports liés au coronavirus.

” Notre force est notre flotte de 670 avions dans le monde. C’est précieux quand la capacité cargo qui passe par les avions passagers a quasiment disparu, continue Jean Muls. Nous avons transporté des milliards de masques, des respirateurs, des produits pour le testing. ” Le groupe n’a donc pas souffert de l’arrêt des avions passagers, qui assurent une part importante du fret aérien avec leur soutes.

A Liege Aiport, FedEx s’est rapidement organisé pour que l’activité de tri continue malgré le Covid-19. Notamment en improvisant une cafétéria dans les hangars, permettant une plus grande distance entre les travailleurs que dans le local habituel. Il n’y a pas eu de cas avérés à Liege Aiport, estime Jean Muls, ” pas à notre connaissance, mais les motifs des absences pour raison médicale étant confidentiels, nous ne pouvons exclure que certains des employés aient été atteints “.

Les situations de crise sont bien connues chez FedEx. ” Nous sommes réputés pour cela, FedEx est souvent le premier à atterrir aux Etats-Unis après les ouragans, même chose à Haïti après le tremblement de terre et après le tsunami en Asie. ” Il avance que FedEx ” a été très rapide à fournir des équipements de protection, notamment des masques ou des écrans de protection, après les hôpitaux “.

L’atout de la nuit liégeoise

La pandémie n’a pas interrompu l’intégration de TNT au sein de la division Express de FedEx. ” Fedex mène une intégration des opérations de TNT dans ses activités, depuis les tarifs, les offres commerciales, l’informatique, le système de gestion des colis et des envois, mais c’est un énorme chantier de plusieurs années, poursuit Jean Muls. L’opération est réalisée pour les entités légales. Maintenant, nous travaillons à intégrer nos activités dans chaque pays. ”

Au début des discussions de fusion, les Liégeois ont craint le départ de FedEx/TNT à la faveur d’une consolidation des hubs européens de FedEx. ” Il n’y a pas de raison : Liège est une place importante ; c’est l’un de nos trois hubs majeurs en Europe, à côté de Paris Charles De Gaulle et de Cologne. FedEx a l’habitude de travailler avec plusieurs hubs “, ajoute Jean Muls. A côté du hub géant et historique de Memphis, le groupe dispose aussi d’un hub à Indianapolis.

Chaque aéroport a ses avantages. Liège est ouvert la nuit, sans limitation, ce qui est précieux pour un business basé sur la vitesse. FedEx se positionne avant tout comme un courrier express. A Paris Charles De Gaulle, le plus grand hub européen de FedEx, le trafic nocturne est plafonné. A Cologne, il doit composer avec UPS, le grand concurrent américain de FedEx, dont cet aéroport est le hub européen. A Liège, FedEx a ainsi les coudées plus franches.

FedEx et TNT Express: une lente digestion
© Photos RVA

Alibaba bienvenu, mais….

L’arrivée d’Alibaba, via sa filiale logistique Cainiao, pourrait faire de l’ombre à sa position de premier client de Liege Airport. Jean Muls balaie cette interprétation. ” Au contraire ! Alibaba est un de nos plus grands clients en Asie. Nous les connaissons bien et voyons leur arrivée à Liège comme une opportunité commerciale. ”

FedEx espère tout de même que les nouvelles installations prévues pour Alibaba dans la zone nord de l’aéroport ne freineront pas ses possibilités de développement à Bierset. Des discussions continuent entre FedEx et Liege Airport sur le développement du hub et son éventuel déménagement dans cette même zone. ” L’élément crucial est le nombre d’emplacements pour les avions. Si vous venez ici le dimanche, le tarmac de la zone sud est complet. Dans la zone nord, il y a de l’espace pour construire beaucoup d’emplacements, précise Jean Muls. Il est quasiment impossible de trouver, aujourd’hui, des terrains aéroportuaires en Europe. ”

Liege Airport avance que rien n’est fermé. ” Il y a de la place pour tout le monde “, assure Christian Delcourt, porte-parole. L’aéroport doit composer avec les projets, plus ou moins avancés, des uns et des autres.

Les raisons d’une intégration très lente

Les projets de FedEx souffrent de la lenteur de l’intégration de TNT Express. L’opération s’avère en effet plus longue que prévu. FedEx avait payé 4,4 milliards d’euros pour acquérir TNT Express. La facture totale de l’intégration devrait quant à elle coûter 1,7 milliard de dollars, selon le communiqué sur les derniers résultats trimestriels publié début juillet, soit ” plus de deux fois le montant prévu voici deux ans “, note le Financial Times.

Une des raisons de cette progression lente de la fusion est une attaque informatique qui a affecté TNT durant l’été 2017. Une catastrophe qui a quasiment bloqué le hub de Liège. ” Nous avons tout de même pu rétablir en partie le service en réinjectant les colis TNT dans le réseau FedEx et en utilisant une infrastructure IT alternative pour opérer le tri et le tracking des colis “, explique Jean Muls

FedEx a continué à moderniser le centre de tri, mettant en oeuvre et amplifiant un plan élaboré auparavant par TNT Express et prévoyant l’automatisation du tri des petits colis, soit plus de 100 millions d’euros d’investissement.

Il reste encore à fusionner les réseaux. Celui de TNT fonctionne encore indépendamment de celui de FedEx, même s’il y a des passerelles, à travers un avion Liège-Memphis, qui relie les deux réseaux depuis la fin 2017. La fusion est un travail informatique complexe.

Après cette fusion finale, une nouvelle page sera tournée. Il restera à voir comment se répartira le travail entre les différents hubs. ” La manière dont nous optimiserons notre infrastructure, après cette fusion, est encore en cours d’étude, déclare Jean Muls. Nous conduisons plusieurs scénarios, notamment en recourant à l’intelligence artificielle, pour optimiser les investissements réalisés ici à Liège. ”

Le réveil du TGV Fret ?

Le projet semblait presque mort, mais FedEx compte bien le voir ressuscité. Il s’agit du TGV Fret, développé au sein d’une plateforme européenne, Euro Carex. ” J’y crois beaucoup, assure Jean Muls, vice-président de FedEx. J’y croyais déjà avant le Covid-19 mais maintenant, avec le plan Green Deal annoncé par la Commission européenne, c’est une manière de réduire les émissions de CO2 des avions. Peut-être le projet était-il arrivé trop tôt ? Je note que les politiques s’y intéressent à nouveau. Nous aussi, nous sommes une entreprise responsable.”

Euro Carex et les associations locales comme Liege Carex visaient à développer des trains fret à grande vitesse, transportant des palettes entre les aéroports de Paris (CDG), Amsterdam, Lyon, Liège et des gares, comme Londres, pour remplacer des camions sur les routes et limiter l’usage d’avions. Cela permettrait des livraisons en J+1. Euro Carex est une association incluant des acteurs comme FedEx et la SNCF. Elle semble tellement en sommeil que son site internet n’est plus actif et celui de Liège Carex est ancien.

FedEx espère voir apparaître des opérateurs de trains rapides et ne se voit pas jouer ce rôle. ” C’est une question de poule et d’oeuf, il faut quelqu’un pour opérer”, continue Jean Muls, qui voit plutôt un professionnel du train pour “prendre le risque business, exploiter les lignes, disposer du personnel de conduite, de la capacité de maintenance”. Et relier ainsi de nuit Charles De Gaulle, Cologne, Liège, Francfort, etc.

Bernard Piette, general manager de Logistic in Wallonia, confirme la relance de l’intérêt pour le projet. ” Il n’a jamais été abandonné, les études ont été réalisées. La question est de savoir si le matériel utilisé sera du TGV ou des trains classiques conçus pour être rapides. ” Les Allemands pourraient s’y intéresser, avec Francfort et Leipzig. Il faut que plusieurs pays se lancent pour tisser un réseau et un coup de pouce des pouvoirs publics.

Le cas FedEx

Le groupe FedEx est dirigé, depuis 1973, par son fondateur, Frederick W. Smith, 75 ans, CEO et président. Cet ancien officier des Marines avait imaginé, dans un travail de fin d’études à Yales, un concept de réseau express basé sur des avions, pour amener des colis partout aux Etats-Unis via un centre de tri. Il a concrétisé son mémoire en lançant Federal Express à Memphis, ville centrale des USA, avec 14 petits avions Falcon, pour desservir 25 villes.

L’entreprise réalise aujourd’hui un chiffre d’affaires de 69,2 milliards de dollars, dessert plus de 220 pays, opère 670 avions et plus de 85.000 véhicules (camions, camionnettes, etc.) et occupe presque 500.000 personnes. Elle est active principalement dans le transport express de colis, avec la division FedEx Express, où s’intègre TNT Express, et dans la livraison à moindre coût pour l’e-commerce aux Etats-Unis et au Canada, avec FedEx Ground. L’acquisition de TNT Express vise à améliorer l’implantation européenne de FedEx. Ses principaux concurrents sont UPS (Etats-Unis) et DHL (Allemagne).

Turbulences

FedEx affronte plusieurs turbulences. L’intégration difficile de TNT Express en est une, la concurrence d’Amazon, un client qui développe son propre service de transport et de livraison. Amazon dispose en effet de sa propre flotte d’avions. FedEx a d’ailleurs renoncé l’été dernier à renouveler un contrat avec Amazon pour le marché américain. Dernier coup en date : la crise commerciale Etats-Unis/Chine. Depuis 2018, le cours boursier de FedEx est passé de 260 dollars à 88,69 dollars en mars dernier, au début de la crise du coronavirus. Mais les chiffres du quatrième trimestre 2020 (clôturés fin mai) ont surpris les analystes, qui s’attendaient à des résultats moindres. FedEx a encaissé un revenu de 17,4 milliards de dollars (quasi le même qu’au quatrième trimestre 2019) alors que les estimations du marché envisageaient un recul à 16,4 milliards de dollars. Du coup, l’action a repris des couleurs pour arriver à 165,77 dollars (23 juillet 2020).

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