Jérémy Dodeigne, politologue à l’UNamur: “Gouverner, c’est plus souvent réagir que prévoir”

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L’appel au monde politique lancé par une vingtaine de patrons belges résonne un peu à contretemps, estime le politologue namurois, Jérémy Dodeigne (UNamur).

1.Vingt patrons, flamands et francophones, viennent de lancer dans L’Echo et De Tijd un appel pour une politique plus ambitieuse, dotée de visions à long terme. Quel impact une telle démarche peut-elle avoir dans la campagne ?

En principe, une carte blanche peut renforcer une dynamique de campagne ou attirer l’attention sur certains thèmes. La campagne a longtemps été quasi monothématique – sur l’enjeu climatique – et une carte blanche peut aider à déplacer les débats vers d’autres enjeux. Mais dans le cas présent, les thèmes socio-économiques étaient déjà revenus à l’avant-plan depuis les vacances de Pâques, notamment après les sorties de Jan Jambon (sur les Wallons dans leur hamac). Cette carte blanche apparaît donc un peu tardive. Je trouve en outre que les auteurs formulent peu de propositions concrètes. Ils répètent plutôt le constat d’une certaine complexité institutionnelle de la Belgique.

2. Cette complexité n’est-elle pas une réalité, un handicap pour le pays ?

Oui, la Belgique est complexe. Mais tous les Etats fédéraux le sont. Croyez-vous que ce soit toujours simple entre Washington et certains Etats américains ou entre Berlin et les Länder ? Même dans des pays unitaires, avec une forte régionalisation comme au Royaume-Uni, la gestion publique est complexe. En Belgique, les coalitions ont souvent dû marier l’eau et le feu. Cette fois, nous avions un gouvernement fédéral avec une vision de droite ou de centre-droit, un gouvernement qui a posé des choix clairs, en matière socio- économique ou d’immigration notamment. N’oublions pas que les mêmes partis siégeaient dans les gouvernements flamand et fédéral, et que le MR a pris les rênes en Wallonie dans la deuxième partie de la législature. C’est quand même étrange de pointer la complexité institutionnelle maintenant, alors que nous sortons d’une des périodes les plus transparentes en matière d’enjeux politiques.

3. Les signataires regrettaient surtout un manque de vision à long terme, au-delà d’une ou deux législatures. Une telle ambition est-elle compatible avec la démocratie représentative ?

Le système impose en effet un rythme court, les élus doivent pouvoir présenter un bilan déjà palpable après quatre ou cinq ans. En ce sens, contrairement à ce que dit le proverbe, gouverner, c’est plus souvent réagir que prévoir. Cela dit, je ne suis pas certain que dans les entreprises, on suive aussi des stratégies à 10 ou 20 ans…

Mais ici encore, le propos est peut-être en décalage avec la réalité. Pour la première fois depuis une quinzaine d’années, nous avons eu entre 2014 et 2018 des gouvernements qui ont pu fonctionner sans être en campagne électorale permanente. Ils ont pu construire leurs projets sans scrutin intermédiaire. Et puis, il ne faut pas nier ce qui existe. Le Plan Marshall, c’était quand même une stratégie sur le long terme. Tout comme la réforme des pensions ou le Pacte d’excellence pour l’enseignement. Et quand certains partis ont voulu une loi climat, c’était justement pour fixer des objectifs à long terme, qui s’imposeraient aux futures majorités, quelles qu’elles soient.

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