Jean-Marc Nollet sans tabou sur le nucléaire… “mais pas sans cerveau”
Dans l’entretien qu’il nous a accordé, le dirigeant écologiste nie tout dogme sur le nucléaire, mais le 100% renouvelable reste à ses yeux le meilleur horizon possible. Il ne cache pas son irritation à l’égard de Georges-Louis Bouchez, président du MR: “Une personnalité toxique pour le parti du Premier ministre”.
Jean-Marc Nollet, coprésident d’Ecolo, évoque pour Trends-Tendances, l’enjeu de la transition énergétique et la position de son parti sur le nucléaire, à l’issue d’une année chahutée dans ces domaines.
TRENDS-TENDANCES. En 2022, le dossier du nucléaire est revenu à l’avant-plan. En mars, vous aviez déclaré prendre acte que le monde avait changé avec la guerre en Ukraine. Qu’est-ce que cela implique?
JEAN-MARC NOLLET. La manière dont je conçois la politique, c’est d’avoir des valeurs – par les temps qui courent, avec cette succession d’affaires, c’est bienvenu – et d’avoir des objectifs. Un des nôtres, c’est clairement d’atteindre 100% d’énergie renouvelable en 2050. Mais dans ma manière de faire de la politique, j’intègre en permanence les éléments nouveaux qui surviennent, qu’ils soient liés au contexte – l’invasion de l’Ukraine par la Russie en est un, et pas des moindres – ou aux apports des recherches scientifiques. Face à une crise géopolitique de cette ampleur, nous avons voulu, nous, écologistes, réagir. Et pas à reculons comme j’ai pu le lire dans votre dossier consacré au retour du nucléaire (voir “Trends- Tendances” du 03/11, Ndlr).
Le coût et le délai, ce sont les deux critères qui, à ce stade, mettent complètement hors-jeu ce nucléaire de quatrième génération pour la période de transition.
Ce n’est pourtant pas une évolution facile à intégrer dans votre chef…
D’accord, mais c’est autre chose que de le faire à reculons. En mars, nous avons voulu refaire le point sur l’approvisionnement énergétique. Cela était d’ailleurs prévu dans l’accord de gouvernement: c’est bien la preuve que c’était un débat sans tabou pour nous, depuis le début. Jusqu’en décembre 2021, tous les signaux étaient au vert pour le plan A. Le 24 février 2022, le monde a changé. A aucun moment, en tant que responsable politique, je ne veux nier les faits, je les intègre. Nous avons ouvert en premier, par nous-mêmes, la voie vers le plan B et la prolongation pour 10 ans de deux réacteurs. Ce n’est pas plus compliqué que ça. Je me souviens encore de la discussion très consensuelle et très sereine que nous avons eue. Et je ne pense pas que vous avez vu beaucoup de remous internes chez les écologistes.
Les libéraux ont rapidement réclamé la prolongation de cinq réacteurs. Cela dépasse ce que vous êtes prêts à accepter?
Le gouvernement fédéral avait bien prévu ce qui était nécessaire lors de sa formation. Il n’est pas pertinent de sortir de ce qui était prévu dans cet accord.
Un nouveau rapport d’Elia met en garde contre un risque de pénurie à l’hiver 2025-2026.
C’est un nouvel élément que l’on doit intégrer, je n’ai pas de souci avec ça. Le point de départ d’Elia, c’est la situation du nucléaire français: 16 réacteurs sont à l’arrêt parce que ce sont des réacteurs d’ancienne génération, dans lesquels on a découvert des fissures ou autres. Il y a effectivement une difficulté pour l’hiver 2025-2026 et pour l’hiver 2026-2027.
Dans ce cadre, Ecolo préconise l’anticipation de la prolongation des deux réacteurs les plus modernes?
C’est assez logique. Qu’ont fait les Allemands? Dans la même situation, pour la dernière année de fonctionnement, ils se sont demandé si on ne pouvait pas économiser les combustibles sur les mois d’été et les utiliser sur la période d’hiver. Nous pensons que ce qui a été possible dans un temps très court en Allemagne, en quelques mois, est tout à fait faisable pour 2025: nous avons trois années pour préparer cela. Le gouvernement a décidé que l’on testerait cette solution. Cela doit être analysé de façon ouverte. Parce que je le redis: de notre part, pas de dogme, pas de tabou.
Avez-vous le sentiment que certains, libéraux en tête, veulent profiter de la situation pour ouvrir la partie à une prolongation plus large du nucléaire, au-delà de l’accord de gouvernement?
Cela ne m’intéresse pas de savoir quelles sont leurs intentions. Moi, j’analyse la situation telle qu’elle est. Doel 1 et Doel 2 ont déjà été prolongés par ce gouvernement jusqu’en 2025. Peut-on aller au-delà? Non, parce que les normes de sécurité internationales imposent que ces réacteurs soient conformes à la capacité, reconnue internationalement, de résister à des séismes, ce qui n’est pas le cas. C’est la ministre Marghem qui a introduit cette obligation dans le droit belge, en 2020. Tihange 1 n’est pas aux normes concernant les chutes d’avions alors qu’on est à moins de 10 kilomètres de Bierset. Et je ne parle pas des deux réacteurs fissurés. A nos yeux, on ne joue pas avec la sécurité et l’Agence fédérale de contrôle nucléaire a eu l’occasion de s’exprimer à ce sujet au Parlement. C’est une vision analytique, ce n’est pas un dogme! Je fonctionne sans tabou, mais pas sans cerveau.
L’expert français Jean-Marc Jancovici, dont les convictions écologiques sont fortes, affirme que l’avenir appartient à la combinaison de l’énergie renouvelable et du nucléaire, pas au gaz.
J’ai beaucoup de points d’accord avec Jancovici, mais il faut reprendre ce qu’il dit dans l’ordre. Tout d’abord, il insiste sur la nécessité de mettre fin aux gaspillages d’énergie et je suis d’accord avec cela. Deuxièmement, il insiste sur la nécessité de réduire notre consommation, notamment au niveau de l’aviation.
De manière drastique, d’ailleurs: pas plus de trois ou quatre vols dans une vie?
Oui, c’est plus drastique que ce que nous disons… Et quand il parle de nucléaire, il évoque la quatrième génération, c’est-à-dire pas avant 2050. La difficulté, c’est ce que l’on fait durant la phase de transition. Je suis d’accord avec lui aussi pour dire que le gaz tel qu’on le connaît n’est pas une solution à long terme.
Pour moi, l’objectif premier n’est pas de sauver la planète, parce qu’elle se sauvera toute seule, mais de préserver une planète habitable pour les êtres humains.
Le Premier ministre, Alexander De Croo, a évoqué “cinq à dix hivers difficiles”…
Il oublie de dire que l’on vient de vivre deux étés très difficiles avec des inondations et des sécheresses, ce qui n’est qu’un début. Il faut avoir une vue d’ensemble. Pour le nucléaire nouveau, j’analyse aussi les choses sans tabou, mais pas sans cerveau. Pour tous les choix à poser en matière d’énergie, j’ai une grille d’analyse qui intègre les risques d’accident, le prix, la disponibilité du combustible en Europe, la flexibilité pour accompagner la demande, les délais, etc. Or, le coût et le délai, ce sont les deux critères qui, à ce stade, mettent complètement hors-jeu ce nucléaire de quatrième génération pour la période de transition. Et je ne parle même pas du combustible, qu’on ne trouve pas en Europe, ou de l’eau nécessaire au refroidissement alors que l’on a vu, cet été, le Rhin, en Allemagne, réduit à un tiers de sa capacité ou des cours d’eau en France dont la température ne permettait plus de rejeter l’eau de refroidissement des réacteurs.
Mais qu’il y ait des recherches, oui! Je les analyserai sans tabou. En attendant, un nombre important d’études démontrent qu’il est possible d’avoir 100% de renouvelable à l’horizon 2050 à l’échelon européen et mondial – pas belge. Et cette option est moins chère! Sans tabou, mais avec mon cerveau, moi, j’ai fait ce choix-là! Si demain, on me dit qu’il existe une formule de production de l’énergie encore moins chère que le renouvelable, disponible dans un délai rapide, sans risque d’accident grave, de menace terroriste ou de menace armée comme on vient encore de le voir à Zaporijia, en Ukraine, il n’y a pas de raison que je ne la choisisse pas.
Votre horizon, c’est donc le 100% renouvelable, avec du gaz pour l’accompagner?
Non: du gaz pour la phase de transition, uniquement. Et celle-ci ne doit pas être plus longue que les 10 ans devant nous: on l’a calculé, c’est faisable. Mais pour le reste, je lisais très récemment que le grand projet Iter de réacteur thermonucléaire expérimental international faisait face à des fissures et à des mises en garde de l’Agence de sûreté nucléaire française sur l’incapacité à prouver qu’il assurerait efficacement les hommes et l’environnement contre les risques. Les travaux ont été arrêtés. Cette obsession du temps, en disant que l’on aura une solution dans 30 ans, met la pression et génère des impasses importantes sur la sécurité. Ce ne sont pas des écologistes qui mettent en garde, ce sont l’Agence de sûreté française et des scientifiques.
Lire aussi | Le retour du nucléaire: fin d’un tabou.
En mars dernier, vous évoquiez déjà l’horizon du 100% renouvelable, mais vous affirmiez qu’il faudrait quadrupler le rythme pour y arriver. Une course contre la montre?
Il y a urgence, c’est vrai, mais les chiffres mondiaux nous montrent que cela progresse rapidement. Les décisions prises par ces gouvernements fédéral et régional wallon sont des accélérateurs de solutions. On a triplé la capacité d’éolien offshore en mer du Nord, on installe une île énergétique, on va développer un plan hydrogène Wallonie-Flandre, une pax eolenica a été signée en Wallonie et le Conseil d’Etat va être réformé pour que les dossiers ne prennent plus huit à dix ans avant d’être traités, mais le soient en 18 mois. Voilà des choses qui font avancer le 100% renouvelable. En 2021, les investissements dans le nucléaire représentaient, au niveau mondial, 24 milliards de dollars et 350 milliards de dollars dans les énergies renouvelables. Les investisseurs ne s’y trompent pas!
Pendant trop longtemps, les partis traditionnels ont été insouciants.
Installe-t-on un écran de fumée? Y a-t-il un lobby pro-nucléaire important?
Je crois surtout qu’on manque d’un débat apaisé et raisonné sur la question. C’est pour cela que je préfère un long entretien avec Trends-Tendances qu’une courte interview d’une minute au JT de la RTBF. Et je le redis: si la recherche nous amène de nouvelles informations, pas de tabou.
Il y a des obstacles pour le renouvelable en lien avec les nuisances générées pour le bruit ou le paysage, des dégâts sur les ressources naturelles. Ces freins sont également soulevés par des sympathisants d’Ecolo. Que leur dites-vous?
Premièrement, on fait sauter beaucoup de ces freins avec l’éolien offshore et les décisions dont j’ai parlé. Deuxièmement, je ne suis pas favorable à ce que l’on fasse tout et n’importe quoi au nom
du fait que c’est renouvelable. J’ai visité voici trois semaines à Louvain une entreprise qui travaille sur l’énergie que l’on peut récupérer à partir d’une chute d’eau d’au moins 1m50, en veillant à ce que les poissons n’en souffrent pas. Voilà le sens dans lequel doit aller la recherche sur le renouvelable.
Grégoire Dallemagne, CEO de Luminus, souligne que la croissance du renouvelable, aujourd’hui, n’absorbe que le surplus de consommation et l’avenir nécessitera une électrification massive. Ne faudra-t-il pas une forme de sobriété?
Je l’ai dit: il faut lutter contre toute forme de gaspillage, ce que l’on ne fait pas assez. C’est à la fois une démarche individuelle, mais aussi une démarche industrielle visant à renforcer l’efficacité énergétique. Les ampoules leds, par exemple, consomment bien moins que nos vieux néons. C’est valable pour beaucoup de choses, et notamment pour les mécanismes de veille qui consomment énormément. L’isolation des bâtiments aussi est vitale. Sur tous ces sujets-là, il n’y a pas de débat. Il n’y a pas de conséquence négative à consommer moins.
Sauf si l’on va vers une forme de décroissance ou de bien-être diminué…
Ce n’est pas mon schéma, que du contraire. On peut retrouver davantage de bien-être avec la qualité plutôt qu’avec la quantité. Cela dit, la diminution de consommation ne sera jamais suffisante, on continuera à consommer de l’énergie. donc, il faut la produire de la façon la plus propre possible. Ce ne sera jamais 100% propre, la planète est capable d’absorber une dose de pollution, mais telle qu’on la déploie pour l’instant, c’est bien au-delà de sa capacité à se régénérer. Le seul modèle qui la préserverait, c’est le 100% renouvelable, qui est moins cher. Pourquoi s’en prive-t-on?
Perd-on de vue, selon vous, l’objectif fondamental visant à préserver la planète?
Pour moi, l’objectif premier n’est pas de sauver la planète, parce qu’elle se sauvera toute seule, mais de préserver une planète habitable pour les êtres humains. Ne pensons pas que c’est un propos en l’air: des populations entières doivent déjà quitter des petites îles et des pays seront dans de grosses difficultés d’ici une dizaine d’années comme l’Irak, l’Iran, l’Egypte et d’autres. Il y aura des catastrophes et des réfugiés climatiques. Pour rendre cette planète habitable, il faut aller vers des énergies décarbonées mais en évitant les risques et les formules plus chères: c’est d’autant plus facile qu’on a une alternative. Voilà pourquoi je m’emploie à avoir un débat raisonné.
Politiquement, avez-vous l’impression que l’on caricature Ecolo?
Quand on entre dans un vrai débat, que l’on peut argumenter, on voit qu’il y a des solutions. Ce qui est dommage, c’est la réduction aux slogans et aux caricatures. Moi j’essaie de lire des choses, y compris qui ne vont pas dans ma direction, pour voir si on doit se faire interpeller, comme ce fut le cas avec l’Ukraine. Mais pour le reste, les études confortent notre raisonnement.
Ce sera un enjeu politique pour les élections de 2024?
La question de l’énergie est là depuis la révolution industrielle, il n’y a pas de raison qu’elle ne soit plus là en 2023 ou après 2024.
Mais on a été longtemps insouciant à ce sujet, non?
C’est vrai. Pendant trop longtemps, les partis traditionnels ont été insouciants. Et regardons le programme du MR en 2019: il prônait la sortie du nucléaire en 2025 et il proposait la construction de neuf centrales au gaz. J’ai parfois l’impression que chez certains, la réflexion énergétique n’a commencé que maintenant.
L’Open Vld est à 9% dans les sondages. Ce n’est pas une bonne nouvelle pour la Flandre. Il y a un seul responsable à cela: Georges-Louis Bouchez.
Ce n’était pas le même MR…
On est passé d’un mouvement réformateur à un mouvement conservateur, en effet. Moi, j’ai négocié la Vivaldi avec le mouvement réformateur.
C’est votre ressenti?
Bien sûr. Mais le principal problème n’est pas pour moi. Aujourd’hui, l’Open Vld est à 9% dans les sondages. Ce n’est pas une bonne nouvelle pour la Flandre. Il y a un seul responsable à cela: Georges-Louis Bouchez. C’est un personnage politique toxique pour l’Open Vld. Ils le savent, ils en sont conscients, mais lui s’en fout. C’est assez irresponsable. Quel est son intérêt d’aller mettre à mal, en Flandre, le parti du Premier ministre qui est son parti frère? C’est son choix, mais ce serait tout de même positif qu’il puisse raisonner à plus long terme, avec des arguments, plutôt que d’être à ce point braqué.
Avez-vous encore un dialogue serein avec lui, de façon large?
C’est mon boulot et je mords sur ma chique par moment. J’ai la chance d’avoir été hacké sur Twitter, je ne possède plus mon compte depuis quelques semaines et cela me permet de prendre un peu de distance. Je prends plus de temps pour analyser les données scientifiques.
C’est donc un dialogue compliqué?
Le dialogue ne se fait heureusement pas qu’avec lui.
Jusqu’à preuve du contraire, il fait partie des mêmes majorités que vous.
Bien sûr. Je suis un professionnel et j’essaie de garder les espaces nécessaires.
Jean-Marc Nollet en quelques dates
· 1970: naissance à Mouscron, le 7 janvier
· 1990-1991: président de la Fédération des étudiants francophones
· 1999-2004: ministre francophone de l’Enfance
· 2009-2014: ministre wallon du Développement durable et de la Fonction publique
· 2014-2018: chef de groupe Ecolo à la Chambre
· Depuis 2018: coprésident d’Ecolo
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