Il y a de la nourriture en abondance et pourtant c’est la panique

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La guerre en Ukraine ne nous conduira pas automatiquement vers une période de famine mondiale, car la nourriture reste abondante, même sans le “grenier du monde”. Les véritables raisons des pénuries actuelles sont des marchés sous pression et une chaine logistique fortement perturbée. Voilà ce qui rend les denrées alimentaires inutilement chères et les empêchent d’atteindre leurs destinations finales, à savoir les rayons des supermarchés.

Les cris d’alarme concernant les pénuries alimentaires imminentes surprennent les experts, qui sont bien d’accord sur un point : il y a encore assez de nourriture pour le monde entier, et ce malgré la guerre en Ukraine. L’université agricole de Wageningen, aux Pays-Bas, a récemment produit une analyse concernant la sécurité alimentaire. Les auteurs soulignent à plusieurs reprises qu’il y a suffisamment de nourriture au niveau mondial, sauf peut-être dans la zone de guerre en Ukraine. “Certains produits peuvent devenir rares. Mais cela ne constitue pas une menace pour la sécurité alimentaire car des alternatives sont souvent disponibles”, indique leur rapport.

Les chiffres récents de la Commission européenne et du ministère américain de l’agriculture indiquent que le marché est stable. La production mondiale de céréales, principale source d’alimentation de l’humanité, serait en légère amélioration. La Russie s’attend même à une excellente récolte.

L’Union européenne n’a certainement pas à craindre une pénurie alimentaire. Grâce à la politique agricole commune (PAC), l’Europe a pu faire face à plusieurs chocs alimentaires. L’Union européenne est autosuffisante pour la plupart des produits, à l’exception des fruits exotiques, du café, du thé, des oléagineux, des huiles et des graisses naturelles. L’Union européenne n’a donc pas besoin de mettre le paquet pour augmenter massivement la culture des céréales. La superficie agricole consacrée aux céréales augmenterait de moins d’un million d’hectares pour la saison 2022-2023, soit un peu moins de 2 %.

Les exportations de céréales en provenance d’Ukraine sont peut-être largement au point mort, mais ce n’est pas vraiment un problème. Le pays ne produit que 2 % des céréales au niveau mondial. Cette information est également confirmée par les chercheurs de Wageningen. “La part de l’Ukraine est limitée. La baisse ou l’absence de production de céréales en Ukraine constitue un revers, mais n’entraîne pas de pénuries majeures dans le monde.”

Ce qui est vrai pour le monde entier se confirme également en Belgique. Ils le constatent chez Arvesta, leader du marché belge des fournitures agricoles et filiale de la branche commerciale du Boerenbond. “La superficie de blé d’hiver est restée plus ou moins la même que l’année dernière”, déclare Stéphanie Deleul, porte-parole. “La crise ukrainienne a commencé en février, mais le blé en Belgique est principalement du blé d’hiver. Celui-ci a été semé à l’automne et à la fin de l’année 2021. Bien que la superficie des céréales de printemps ait augmenté de 10 à 15 %, l’effet est très limité en raison de la faible superficie ensemencée dans notre pays. La plupart des agriculteurs avaient déjà établi leur plan de semis et s’y sont tenus. Seuls quelques agriculteurs ont semé davantage en raison de la hausse des prix des céréales.”

En outre, les stocks mondiaux de céréales sont encore bien supérieurs au seuil critique de 20 %. Cela signifie que les pays doivent avoir au moins un cinquième de ce qu’ils consomment en une saison comme stocks stratégiques. Mieux encore : la Commission européenne prévoit des stocks de céréales de 45 millions de tonnes, après l’été. C’est 7 % de plus qu’à la fin de la saison dernière. Sur la base des stocks disponibles, la panique et l’agitation qui règnent sur ce marché ne sont pas fondées, concluent les chercheurs de l’Université agricole de Wageningen.

Les excédents déterminent le prix

Mais la panique et l’agitation, présentes actuellement, peuvent parfois entraîner de fortes hausses des prix pour certaines cultures. Pour comprendre cela, nous devons examiner le fonctionnement des marchés des produits agricoles de base. La plupart des céréales cultivées restent au sein des grands blocs commerciaux, tels que l’Union européenne et l’Amérique du Nord. Là, une grande partie des récoltes est négociée selon des contrats fixes. Ce qui se retrouve sur le marché mondial, ce sont en fait les excédents. À peine 18 % de la production céréalière mondiale fera l’objet d’échanges internationaux cette saison. Pour le blé, c’est un peu plus, un quart. “Le marché mondial est un marché excédentaire”, a plus d’une fois répliqué Piet Vanthemsche, lorsqu’il était encore président du Boerenbond.

Ce marché des excédents est extrêmement volatile. Les marchés agricoles sont rarement en équilibre et peuvent facilement basculer. La demande de denrées alimentaires étant relativement stable, de sorte que de petites pénuries ou de petits excédents entraînent des effets de prix importants. De plus, l’ajustement de l’offre prend beaucoup de temps.

Le problème est que de nombreux pays à faible revenu sont très dépendants de ce marché excédentaire. L’Égypte, l’Indonésie, le Bangladesh, la Turquie et le Yémen, par exemple, sont très dépendants de l’Ukraine et de la Russie. En outre, malgré sa faible part dans la production mondiale, l’Ukraine a une part relativement importante dans le commerce mondial. Pour le blé, il est de 9 %, pour le maïs de 15 %. “L’Ukraine est un fournisseur majeur sur le marché mondial des céréales. Une perturbation de cet approvisionnement a des conséquences importantes sur les prix du marché international”, préviennent les chercheurs de Wageningen. Parce que la menace d’une famine a tout à voir avec la hausse des prix des denrées alimentaires. Dans les pays pauvres, même avant la crise actuelle, une très grande partie des revenus était consacrée à l’alimentation.

Arme stratégique

Comment les prix des denrées alimentaires peuvent-ils baisser à nouveau ? Déjà et surtout avec une meilleure logistique ! “Les prix sont élevés parce que l’ensemble du marché est perturbé”, explique Xavier Van den Avenne, le PDG du groupe agricole Vanden Avenne. “L’histoire est similaire à celle du pétrole. Il y a assez de pétrole, mais il coûte encore environ 110 dollars le baril, car certains pays pompent moins. Cela rend le marché très nerveux. Les flux logistiques des marchandises échangées doivent changer. Jusqu’à présent, un pays achetait ses produits agricoles là où c’était le plus pratique. Mais où obtenez-vous vos céréales maintenant : en Ukraine ou en Amérique du Nord ? Une telle réorientation entraîne aussi inévitablement une hausse des coûts de transport.”

Les exportations de céréales, à partir des ports ukrainiens, sont massivement bloquées par la guerre. Une partie est transportée par train vers la Roumanie, pour être ensuite exportée par voie maritime depuis le port de Constanta. Mais il n’est pas certain qu’il s’agisse de volumes importants. En revanche, les exportations en provenance de Russie se poursuivent. Les graines de lin et le blé, par exemple, sont livrés à ceux qui ont des contrats avec la Russie. Ces matières premières agricoles sont transportées via les ports de Saint-Pétersbourg et ceux de la mer Noire. La Turquie, qui est très dépendante des céréales russes, a bloqué le Bosphore pour les transports militaires, mais pas pour les céréales car la nourriture ne doit pas être utilisée comme une arme politique, ce justifie le pays.

La Russie produit 4 % des céréales au niveau mondiale. Cela inquiète Xavier Van den Avenne. “Que va faire Poutine ? Utilisera-t-il l’exportation de céréales comme une arme stratégique ? Le président russe est capable de tout. Par conséquent, je ne m’attends qu’à une baisse progressive des prix dans les mois à venir. En outre, en temps normal, les prix ne deviennent complètement clairs qu’en été, pendant les mois de récolte. Cela explique la nervosité du marché. Les prévisions de récolte sont incertaines, notamment en raison de la sécheresse en Europe occidentale. Alors que, par exemple, le blé d’hiver passe par une phase de croissance critique à cette époque. Heureusement, nous avons eu quelques jours de pluie. Cela a déjà fait baisser quelque peu le prix du blé.

Xavier Van den Avenne remarque également “beaucoup de spéculation sur ce marché”. Les chercheurs de Wageningen sont plus réservés sur les spéculations. “La spéculation a-t-elle contribué à la hausse des prix ? On ne peut pas trouver de preuves pour cela.”

La production des biocarburants

En 2007 et 2008, les prix des denrées alimentaires étaient également très élevés. Ces chiffres ont ensuite été poussés à la hausse par l’utilisation de céréales pour la production de biocarburants. Aujourd’hui aussi, des voix s’élèvent pour demander une interdiction temporaire des biocarburants. La Commission européenne n’est pas favorable à ce scénario pour l’instant. Cette saison, 12 millions de tonnes, soit moins de 4 % des céréales européennes, sont destinées aux biocarburants. Pour la saison 2022-2023, 11 millions de tonnes sont prévues, soit un peu plus de 3 % du total.

Vanden Avenne possède 29 % des actions d’Alco Bio Fuel. Cette entreprise fabrique du bioéthanol à partir de maïs dans le port de Gand. “Pour la production de bioéthanol en Europe, seuls le maïs et le blé fourragers sont utilisés”, explique Xavier Van den Avenne. “En outre, Alco Bio Fuel ne produit pas seulement de l’éthanol destiné à être utilisé comme biocarburant. Un tiers de la production est constitué de protéines destinées à l’alimentation du bétail. Cela évite la production de soja. Si nous cessons d’utiliser le bioéthanol, l’Europe devra importer du soja supplémentaire. De plus, l’interdiction du bioéthanol entraînerait une forte augmentation du prix de l’essence à la pompe.”

2 % des céréales du monde sont produites par l’Ukraine.

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