Eric Lauwers (CEO d’Arvesta): “L’Europe ne souffrira pas de la faim”

Eric Lauwers, CEO d'Arvesta

À cause de la guerre en Ukraine, les prix des denrées alimentaires grimpent en flèche. Les économistes mettent en garde contre une famine mondiale. Eric Lauwers, CEO d’Arvesta , leader belge du marché des produits agricoles, sait que les choses n’iront pas aussi loin pour nous. “L’Europe est autosuffisante en matière de nourriture. Mais nous devrions y attacher beaucoup plus de valeur.”

En avril, ne te découvre pas d’un fil. Les “caprices du mois d’avril” sont plus qu’un proverbe cette année. Il a gelé le premier week-end du mois, après un mois de mars particulièrement ensoleillé et chaud. “Selon nos premières estimations, 50 à 70% des fleurs faisant partie de la récolte de fruits du Limbourg ont été détruites à cause de cela”, soupire Eric Lauwers, CEO d’Arvesta, le plus grand partenaire belge de services complets délivrés aux agriculteurs et horticulteurs.

Avec les scénarios apocalyptiques d’une famine mondiale causée par la guerre en Ukraine, la météo changeante actuelle ne remonte pas le moral…

ERIC LAUWERS. “Lors d’une année normale, l’Ukraine fournit 15 millions de tonnes de blé pour la production alimentaire mondiale, et 40 millions de tonnes de maïs. L’Ukraine et la Russie représentent ensemble 29 % de l’ensemble du commerce mondial des céréales. Mais aujourd’hui, les navires sont bloqués dans les ports ukrainiens. Il s’agit de la récolte passée. Un autre problème, dont il faut tenir compte, est de savoir si les agriculteurs ukrainiens peuvent semer normalement, afin de pouvoir récolter suffisamment l’année prochaine. Les semailles ont normalement commencé. Selon les estimations actuelles, elles sont inférieures de 30 à 40 % à celles d’une année normale. Tous ces facteurs et incertitudes font que le prix du blé a plus que doublé, ce qui entraîne également une hausse du prix des aliments pour animaux. Et les prix vont encore augmenter.”

La crainte d’une famine est-elle donc justifiée ?

LAUWERS. “Pas pour l’Europe. Nous utilisons déjà beaucoup de céréales provenant de France, de Hongrie et d’Allemagne, par exemple, et nous pouvons encore augmenter ce pourcentage. L’Europe est autosuffisante en matière de blé. Nous pouvons obtenir du maïs du Brésil, mais nous devons alors vérifier quelles variétés sont autorisées, car certaines sont génétiquement modifiées. Nous ne pouvons pas remplacer tout le maïs ukrainien par du maïs brésilien. Les alternatives possibles sont le manioc ou d’autres céréales. Elles doivent avoir la même valeur nutritionnelle, à un prix abordable. Cependant, ce prix actuel est très différent de celui en vigueur au début de l’année 2020. Les consommateurs devront payer plus cher leurs aliments de toute façon.

Donc, suffisamment de nourriture pour les Européens, mais à un prix plus élevé ?

LAUWERS. “Nous n’aurons pas faim. Nous pouvons heureusement nous approvisionner chez nous, et dans l’Union européenne. Nous devons donc accorder beaucoup plus d’importance à notre propre approvisionnement alimentaire. Parce que toute la chaîne de cet approvisionnement est sous pression dans le monde à cause de la guerre. La dépendance à l’égard de certains produits est très élevée : le bois, le métal et l’acier, par exemple. Leurs prix crèvent le plafond. Ce sont des situations que nous n’avons jamais connues auparavant. Le consommateur belge paiera donc plus cher son alimentation, même si cela sera en partie compensé par l’indexation automatique.”

Les prix des aliments pour bétail vont-ils continuer à augmenter ?

LAUWERS. “Au minimum jusqu’au mois prochain, mais à un moment donné, nous atteindrons un plafond. Actuellement, 60 à 70% du prix des aliments pour le bétail sont répercutés sur les agriculteurs. Dans presque tous les secteurs agricoles, les prix perçus par les agriculteurs ont déjà fortement augmenté. Que cela soit pour les porcs, après deux années catastrophiques en 2020 et 2021, que pour les poulets et le lait, dont les prix sont élevés depuis un certain temps.

“Mais il est toujours très difficile de répercuter la hausse du prix des aliments pour animaux sur les agriculteurs. Il y aura quelques augmentations jusqu’à la fin du mois d’avril, mais à un moment donné, la situation se stabilisera. Cela ne signifie pas que les prix des aliments pour le bétail vont baisser rapidement. Pour les consommateurs, les prix des denrées alimentaires vont probablement continuer d’augmenter pendant plus longtemps.”

Eric Lauwers, CEO d'Arvesta
Eric Lauwers, CEO d’Arvesta© Belgaimages

La pénurie d’engrais est également un frein pour les agriculteurs.

LAUWERS. “Les trois principaux producteurs sont la Russie, l’Ukraine et le Belarus. Le prix à la tonne est passé de 200 euros, au début de 2020, à 1 050 euros à la fin du mois de mars de cette année. La production d’engrais nécessite beaucoup d’énergie, et les prix de l’électricité ont été multipliés par cinq, ceux du gaz par six ou sept. Il y a suffisamment d’engrais, mais ils sont trop chers. Les agriculteurs achètent donc moins. Cela peut avoir un effet important sur la récolte, jusqu’à 40 % de rendement en moins. “

Une alternative serait d’augmenter le fumier animal?

LAUWERS. “Eh bien, les quantités que vous pouvez utiliser sont limitées. En outre, le rendement à l’hectare avec l’engrais naturel est beaucoup plus faible qu’avec l’engrais artificiel. Arvesta propose des alternatives, qui remplacent jusqu’à 40 % de l’engrais classique. Ces produits sont même aujourd’hui beaucoup moins chers que les engrais traditionnels. Et ils sont bien meilleurs pour l’environnement, car ils contiennent beaucoup moins d’azote.

L’image qu’a l’agriculture est celle d’un des plus grands pollueurs de l’environnement…

LAUWERS. “Cette image est fausse et a un effet stigmatisant. Les émissions de CO2 par litre de lait et par kilogramme de viande en Belgique sont parmi les plus faibles au monde. Et pourtant, nous achetons du steak brésilien, des pommes et des poires en provenance d’Argentine, des poulets polonais et du vin chilien. Toute personne qui se soucie réellement d’une alimentation saine et de l’environnement devrait acheter des produits belges. De plus l’agriculture belge est la meilleure au monde en termes de qualité, de traçabilité, de bien-être animal et de durabilité. La plupart des pays ne s’en approchent même pas.”

Quel problème posent les produits agricoles étrangers ?

LAUWERS. “De nombreux pays utilisent des produits phytosanitaires qui sont interdits en Belgique. En outre, leurs émissions de CO2 sont beaucoup plus élevées. Nous devons nous conformer à toutes sortes de lois en Belgique, alors que ces lois ne s’appliquent pas aux produits importés. L’Argentine exporte 200 000 tonnes de pommes vers l’Europe chaque année. Alors qu’à Saint-Trond, les pommiers sont remplis de fruits. Nous importons des filets de poulet de Pologne, qui sont infestés de salmonelles. Et nous l’acceptons tout simplement… Au Chili, on peut encore pulvériser du DDT. Ce pesticide est interdit en Belgique depuis un demi-siècle ! Ce n’est pas acceptable !

“Tout le monde souhaite un meilleur environnement et une alimentation saine. Je suis tout à fait d’accord avec cela. Mais pourquoi alors importons-nous ces produits ? Le consommateur a l’impression que les produits de nos agriculteurs locaux ne sont pas très bons et que ce que nous importons est meilleur. Je travaille dans ce secteur depuis six ans. Je ne mange plus que du belge. Mes habitudes alimentaires ont beaucoup changé, je fais attention à la provenance de mes aliments. Je sais ce qui est utilisé à l’étranger. Notre chaîne alimentaire est très bien contrôlée. Ce qui ne veut pas dire que les incidents n’arrivent jamais, ils peuvent toujours arriver.”

L’agriculture représente en effet un dixième des émissions de gaz à effet de serre de la Flandre.

LAUWERS. “Arvesta veut contribuer à les réduire. Nous avons Euroclim, un aliment pour bétail à haut rendement à base d’huile de lin. Il réduit les émissions de méthane de 10 à 30 %, selon le type d’animal. Si tout le monde mangeait de la viande produite avec Euroclim, nous éviterions l’équivalent des émissions de 130 000 voitures chaque jour. Et cet aliment n’est guère plus cher que les aliments pour bétail ordinaires. Si vous l’utilisez pour nourrir vos vaches laitières, vous devrez augmenter le prix du litre de lait de consommation de 2 à 3 centimes. Personne n’achètera un litre de lait en moins pour cela.”

De plus en plus de critiques affirment que nous ne devrions plus manger de viande, notamment pour lutter contre le réchauffement climatique. Y a-t-il un risque que la consommation de viande cesse dans trente ans à venir?

LAUWERS. “Je suis convaincu que nous mangerons encore un bon morceau de viande dans trente ans. Mais peut-être que cela sera une viande de plus grande qualité en moindre quantité. Bien sûr, nous travaillons également sur les substituts de viande et les sources alternatives de protéines. Nous travaillons avec De Hobbit depuis un mois maintenant. Nous cultivons certains ingrédients pour ce producteur d’aliments végétariens. Nous ne disons pas “non” à ce marché. Nous suivons l’évolution des goûts. Mais nous mangerons toujours de la viande.”

L’innovation plutôt que les profits

Depuis 2018, Arvesta est le nouveau nom du groupe Aveve. La société a été créée en 1901 en tant que société d’achat et de vente de l’Union des agriculteurs belges. Les membres du Boerenbond voulaient gérer leur propre approvisionnement et donc avoir leur mot à dire sur le prix. Un large réseau a donc émergé des cercles locaux de clients.

La filiale du holding économique Boerenbond MRBB est le leader du marché et propose une gamme de services complets pour les agriculteurs et horticulteurs, y compris en Wallonie. L’entreprise est également le numéro deux pour les machines agricoles et des tracteurs (John Deere).

Le consommateur connaît Arvesta principalement comme le propriétaire de la chaîne de magasins Aveve. Arvesta n’est pas une société purement commerciale. “La maximisation des profits n’est pas notre priorité. Ce que nous voulons, c’est un rendement plus élevé pour tous les agriculteurs”, déclare le PDG Eric Lauwers. Arvesta a un bilan sain, avec des marges bénéficiaires effectivement assez limitées. L’entreprise souhaite principalement investir dans les innovations et les nouvelles technologies pour l’agriculture. Sur une période de dix ans, jusqu’en 2025, Arvesta investira 430 millions d’euros. En 2021, l’entreprise et ses 2 000 employés réaliseront un chiffre d’affaires consolidé de 1,64 milliard d’euros et un bénéfice d’exploitation de 39 millions d’euros.

Eric Lauwers (57 ans) est à la tête de l’entreprise depuis 2016. Avant cela, il était surtout actif dans le monde de la brasserie. De 1995 à 2000 à la brasserie Palm, puis, jusqu’en 2016, chez AB InBev.

29 % du commerce mondial des céréales se fait en Ukraine et en Russie.

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