Get Up Wallonia: à quand le réveil ?

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Christophe De Caevel
Christophe De Caevel Journaliste Trends-Tendances

Cela fait pratiquement un an qu’Elio Di Rupo est arrivé avec ce slogan: “Get Up Wallonia”. Depuis, des dizaines et des dizaines de projets ont été élaborés. Il est plus que temps d’opérer le tri et de lancer la machine si l’on veut effectivement remettre la Wallonie debout.

Nous étions le 22 avril 2020 et tout devait aller vite. Il fallait initier “une dynamique intense et cohérente” pour propulser les Wallons dans l’avenir et éviter qu’ils ne restent englués dans la crise du Covid-19. La stratégie Get Up Wallonia était née et on allait voir ce que l’on allait voir. Sans tarder. “La rapidité de la prise de décision et de la mise en oeuvre des mesures est de nature à favoriser grandement la relance. Aussi, les mesures devront être décidées avec célérité”, affirmait solennellement le gouvernement dans le petit “échéancier” qui ponctuait l’annonce officielle du démarrage de Get Up Wallonia. La vitesse est toutefois une notion relative. Elle ne signifie pas la même chose sur les autoroutes allemandes ou dans les zones 30 bruxelloises. Or, il semble bien que le gouvernement wallon ait opté pour la seconde option: 11 mois après la déclaration initiale, on attend toujours ces mesures qui devaient être décidées “avec célérité”.

Si nous arrivons plus tard mais avec des propositions vraiment disruptives, nous serons sur la bonne voie.”

Fabrice Brion, CEO d’I-Care

Près de 200 projets

“Les intentions de départ étaient bonnes mais le gouvernement wallon s’est auto-confiné d’avril à juillet, analyse François Desquesnes, chef du groupe cdH au Parlement wallon. Il a alors choisi de solliciter un consultant. Le temps d’élaborer le cahier des charges et de passer le marché, nous étions en octobre. Six mois pour commencer à concrétiser une intention, c’est quand même surprenant.” D’où un sentiment d’assoupissement bien plus que de get up

Depuis octobre, la machine s’est toutefois mise en marche. Les citoyens ont pu formuler directement des propositions (on en recense 6.152) et trois task forces, regroupant au total une centaine de personnes, ont permis de dégager 58 projets en économie, 79 dans le social et 69 dans l’environnement. Un conseil stratégique, composé de neuf professeurs d’université, tente maintenant de définir une cohérence d’ensemble autour d’un nombre réduit de propositions. Un tel processus – initié dans l’espoir de faire germer des propositions “basculantes”, insiste le ministre-président Elio Di Rupo – implique effectivement un certain temps.

“Le timing n’est, en soi, pas un problème, estime Fabrice Brion, CEO d’I-Care et membre de la task force économie. Si nous arrivons plus tard mais avec des propositions vraiment disruptives, alors nous serons sur la bonne voie. On me jugera peut-être naïf mais j’ai senti une implication forte du gouvernement, une incitation à ce que nous réfléchissions vraiment sans tabou. J’étais un peu sceptique au départ, je le suis beaucoup moins depuis que j’ai participé aux réunions de Get Up Wallonia.”

L’une des explications à cette lenteur pourrait être la recherche d’une articulation efficace avec la Facilité européenne pour la reprise et la résilience, pour laquelle les projets (1,5 milliard pour la Wallonie) sont en cours de validation par la Commission. Des ambitions comme structurer une filière hydrogène, accélérer la rénovation énergétique du bâti ou doper la formation aux métiers de la biotechnologie se retrouvent en effet de part et d’autre. L’Europe avançant plus vite, il est judicieux d’attendre les contours définitifs des projets retenus à ce niveau (a priori en avril) afin que Get Up Wallonia puisse les compléter ou les intensifier mais certainement pas les doublonner.

Elio Di Rupo (PS), ministre-président wallon, a de quoi s'inquiéter.
Elio Di Rupo (PS), ministre-président wallon, a de quoi s’inquiéter.© Belga

Usine à gaz?

“L’intégration de ces deux plans, c’est justement cela qui me fait peur pour l’avenir, objecte François Desquesnes. J’ai la douloureuse impression que le gouvernement enfile les plans comme les perles sur un collier sans une réelle vision cohérente. Le plan européen a été annoncé en juillet, c’est incroyable que le gouvernement wallon, qui a pourtant musardé en chemin, ne semble pas en avoir tenu compte pour Get Up Wallonia.” Le CEO de l’Union wallonne des entreprises, Olivier de Wasseige, pense exactement… l’inverse: “La Facilité européenne, les fonds Feder et Get Up Wallonia, c’est un seul et même plan mais avec différentes sources de financement, assure-t-il. Je m’en réjouis d’ailleurs car on recense déjà pas moins de 120 plans en Wallonie!”

Les fiches rédigées par les consultants (EY, PwC, BDO et Ecores) sur base des réunions des trois task forces s’aventurent dans de nombreuses directions. Elles sont tantôt au stade de la déclaration d’intention (réformer la formation en alternance), tantôt très précises (construction de trois unités de recyclage du béton, tantôt techniques (revoir les réglementations sur les produits qui bloquent l’économie circulaire), tantôt financières (primes STEMulantes pour les métiers en pénurie), tantôt assez chimériques (un “Amazon régional” pour soutenir les circuits courts), tantôt bien ancrées dans l’existant (multiplier par six le budget du dispositif Industrie du Futur de Digital Wallonia pour le faire “changer d’échelle).

J’espère que le secteur privé aura sa place dans la phase opérationnelle. Les acteurs publics ne doivent pas nécessairement être à la manoeuvre.”

Olivier de Wasseige (UWE)

Manifestement, les participants ont apprécié cette liberté de réflexion. “Le message était vraiment de réfléchir aux besoins, à ce qui pourrait aider le redéploiement de la Région, dit ainsi Fabrice Brion. Est-ce faisable? Est-ce politiquement correct? Le politique nous a clairement dit de ne pas nous préoccuper de ces questions pour venir avec des idées innovantes. Et je vous assure, nous avons amené des propositions disruptives.” “Je redoutais un peu l’usine à gaz, renchérit Olivier de Wasseige. Finalement, des pistes très intéressantes et avec un effet réellement structurant ont émergé de ce travail participatif.”

Get Up Wallonia: à quand le réveil ?
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Réflexions en silos

Le processus participatif fait cependant l’objet de critiques. A commencer par son découpage en silos: le social, l’économie, l’environnement, comme pour coller aux couleurs d’une coalition wallonne, dont les trois composantes gèrent chacune les matières correspondant à leur silo. “La transversalité, qui devrait prévaloir dans une telle démarche, est totalement absente”, regrette François Desquesnes. Le gouvernement et les experts du conseil stratégique pourront-ils apporter, maintenant, cette transversalité sans dénaturer ou complexifier les projets? C’est l’un des gros enjeux du round décisif qui se joue actuellement.

La composition des différents silos interpelle aussi le mandataire cdH: on consulte tous azimuts mais pourquoi laisse-t-on la Fédération Wallonie-Bruxelles sur la touche alors que les enjeux de formation sont au coeur de plus d’une dizaine de projets? C’est d’autant plus étonnant que la consultation citoyenne effectuée dans le cadre de Get Up Wallonia a placé la formation des jeunes comme la priorité n°1 pour la Wallonie. Mais peut-être y avait-il déjà suffisamment de monde autour de la table. Peut-être, surtout, y avait-il déjà suffisamment de représentants des cabinets ministériels, de l’administration et des organisations institutionnelles, au regard des quelques acteurs de terrain. “Depuis le Contrat d’avenir et dans les plans Marshall successifs, c’est toujours la même mécanique, se désole l’essayiste Jean-Yves Huwart, auteur du livre Pourquoi la Wallonie ne se redresse pas? (2009). On ne cherche pas à s’enrichir de regards neufs, de nouvelles façons de faire. Il y a un cruel manque de renouvellement et de diversité dans tous ces panels. Combien, parmi tous ces représentants d’organismes divers, sont aussi d’anciens membres de cabinets ministériels? C’est un vrai moteur à amateurisme. Le fiasco des plans de vaccination répond d’ailleurs de la même logique de culte du diplôme et de manque d’ouverture.”

Cette logique inquiète d’autant plus Jean-Yves Huwart, qu’il la revoit à l’oeuvre dans l’étape actuelle d’élagage et d’harmonisation de l’ensemble, opérée par sept académiques, qui enseignent tous dans des universités belges francophones. “On réfléchit toujours comme dans les années 1980 ou 1990. Où est la volonté de tenter d’autres modes de fonctionnement, poursuit-il. Enseigner l’économie dans une université ne vous rend pas spécialiste des nouvelles filières d’avenir. Tout cela manque vraiment cruellement d’ouverture, d’agilité et de transparence.”

Elio Di Rupo a invité ces ambassadeurs digitaux à l'Elysette la semaine dernière pour tirer un premier bilan de l'opération.
Elio Di Rupo a invité ces ambassadeurs digitaux à l’Elysette la semaine dernière pour tirer un premier bilan de l’opération.© PG

De 19 centres à… 1 seul

Ces sept professeurs d’université forment le conseil stratégique. Il finalise actuellement ses recommandations, sur lesquelles le gouvernement s’appuiera pour décider en dernier ressort. La tâche de cette instance n’est pas simple. On attend de lui une grande sélectivité – ce qui fut rarement une vertu des politiques wallonnes – dans l’analyse des projets. Il devra a priori rejeter bien plus de propositions qu’il n’en retient, du moins s’il veut répondre aux souhaits d’Elio Di Rupo. “Je ne crois pas à ces anciens bottins de téléphone où l’on liste une kyrielle de mesures et où tout finit par se perdre comme de l’eau dans le sable, a en effet déclaré le ministre-président au Parlement wallon. Je préfère ramasser un certain nombre de dispositifs, avoir des mesures marquantes, avec une gouvernance et un suivi pour chacune d’elles.”

La fin de la phrase est importante: la gouvernance et le suivi pèsent sans doute autant que les mesures en elles-mêmes dans la réussite de l’opération. Prenons l’exemple des centres de recherche. La Wallonie en compte 19, pour couvrir une expertise allant du bois aux télécoms, en passant par la chimie, la métallurgie ou les matériaux. L’idée est de faire émerger un ou deux grands centres qui disposeraient alors d’une taille suffisante pour s’imposer au niveau européen, comme le fait l’Imec flamand. Cette perspective, indispensable pour doper l’innovation industrielle, a souvent été évoquée par le passé mais elle s’est systématiquement heurtée aux barrières sous-régionalistes. En ira-t-il autrement cette fois?

Le gouvernement enfile les plans comme les perles sur un collier sans une réelle vision cohérente.

François Desquesnes, chef de groupe cdH au Parlement wallon

Les task forces en sont prudemment restés aux généralités, le politique devra trancher. “C’est logique, estime Olivier de Wasseige. On ne passera à la phase opérationnelle que pour les fiches qui seront effectivement retenues. Mais cela ne nous empêche pas de nous préparer et de plancher sur la restructuration du paysage des centres de recherche, comme nous le faisons pour la formation en alternance ou les politiques d’insertion. J’espère d’ailleurs que le secteur privé aura sa place dans cette phase opérationnelle. Les acteurs publics ne doivent pas nécessairement être à la manoeuvre.” “De telles réformes, il faut non seulement les faire mûrir dans des contacts préalables mais aussi prévoir, dès à présent, le pilotage de la mise en oeuvre, ajoute Philippe Destatte, directeur général de l’Institut Destrée, spécialiste à la fois du tissu institutionnel wallon et de la prospective. Il faut travailler avec les fonctionnaires et avec les entreprises, pour que le plan soit porté sur le terrain. C’est cet accompagnement qui fera la différence.”

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