Gaz russe : la Commission européenne face à ses contradictions
Un collectif de 102 députés européens a adressé une lettre à la présidente de la Commission européenne. Les parlementaires pointent la politique caduque de l’institution qui d’un côté, veut réduire sa consommation de gaz, mais qui de l’autre, continue de l’inclure dans certaines politiques en cours.
“Alors que le nombre de civils ukrainiens déplacés, blessés ou pire, atteint des millions, l’Union européenne continue d’envoyer de l’argent à la Russie pour la fourniture de gaz. Notre dépendance au gaz russe finance la guerre de Poutine et permet les attaques contre le peuple ukrainien, ses villes historiques et le principe d’autodétermination souveraine qui nous est cher.”
102 députés du Parlement européen ont adressé cette semaine une lettre à Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne, et Mairead McGuinness, commissaire en charge des services financiers, de la stabilité financière et de l’Union des marchés de capitaux. Cette lettre dénonce la politique caduque de l’Union européenne (UE) qui souhaite réduire sa consommation de gaz tout en continuant de l’inclure dans ses politiques énergétiques.
Un plan pour mettre fin à la dépendance d’ici 2030
Suite à l’invasion de l’Ukraine par la Russie, l’utilisation du gaz russe par les pays de l’Union européenne continue d’être au centre des polémiques au sein des institutions politiques. Une dépendance qui avait poussé l’Agence internationale de l’énergie à formuler dix propositions pour aider l’UE à baisser sa consommation de gaz russe.
Selon cette dernière, en 2021, le gaz russe a représenté environ 45 % des importations de gaz de l’UE. La tâche s’avère donc extrêmement compliquée.
La Commission européenne a par la suite présenté son propre plan le 8 mars dernier. Un plan qui a été salué par les 102 signataires. Celui-ci s’intitule “REPowerEU” – rénover, refaire le plein d’énergie de l’UE – pour une énergie européenne “plus abordable, plus sûre et plus durable“. L’objectif est de rendre l’Europe indépendante des combustibles fossiles russes avant 2030 et de réduire la demande de l’UE en gaz russe de deux tiers avant la fin de l’année.
La solution ? Diversifier l’approvisionnement en gaz, grâce à une augmentation des importations de gaz naturel liquéfié et par gazoduc provenant de fournisseurs non russes, ainsi qu’à un accroissement des volumes de production et d’importations de biométhane et d’hydrogène. L’UE compte également sur une réduction rapide de l’utilisation des combustibles fossiles dans nos habitations, nos bâtiments, notre industrie et notre système électrique, en renforçant l’efficacité énergétique et augmentant le recours aux énergies renouvelables et à l’électrification.
Mais selon ces députés européens, ces propositions contrastent avec certaines procédures en cours.
Un soutien au gaz qui fait débat
“Cela contraste fortement avec la proposition d’encourager les investissements dans le gaz fossile par le biais du règlement sur la taxonomie, qui a été décidé par votre Commission avant l’invasion russe de l’Ukraine. Nous devons effectuer une transition, abandonner le gaz fossile et éviter d’en augmenter l’utilisation par la construction de nouvelles usines à gaz. Cet acte délégué fait exactement le contraire.“
Les législateurs européens font ici référence à la procédure de la Commission visant à qualifier le gaz de combustible de transition verte dans le cadre de la taxonomie européenne des activités durables. Un acte délégué complétant l’article 8 du règlement sur la taxonomie précise en effet le contenu, la méthodologie et la présentation des informations à publier par les entreprises financières et non financières concernant la proportion de durabilité dans leurs activités et leurs investissements.
Le 2 février 2022, la Commission a approuvé en principe un acte délégué complémentaire à ce dernier sur le climat incluant, sous certaines conditions, des activités spécifiques liées à l’énergie nucléaire et au gaz dans la liste des activités économiques couvertes par cette taxonomie de l’UE. D’où l’opposition aujourd’hui de certains députés, qui ne voient plus la logique de garder cet acte délégué en l’état au vu du contexte actuel.
“Nous avons donc été surpris de voir que dans votre plan REPowerEU que cet acte délégué n’a pas été modifié. Le retrait de l’acte délégué augmentera la concentration des investissements sur des sources d’énergie réellement durables et ainsi augmentera notre indépendance énergétique.
Le maintien de l’acte délégué, en revanche, ne fera qu’accroître notre dépendance au gaz et aux importations russes. Cela nuirait à l’efficacité du plan REPowerEU dont nous avons besoin pour réussir. Il est clairement nécessaire de mettre fin à notre dépendance au gaz russe et de passer à des sources renouvelables. Par conséquent, nous demandons à la Commission de retirer l’acte délégué complémentaire.“, conluent les 102 députés.
La majorité des signataires de cette lettre sont des députés du groupe des Verts, de la Gauche (extrême gauche) et des sociaux-démocrates (gauche), dont l’écolo belge Philippe Lamberts et le candidat à la présidentielle française Yannick Jadot. Mais quelques députés de Renew (centre droite) et du Parti populaire européen (droite) ont ajouté leur nom, et notamment celles et ceux originaires des pays du nord et de l’est de l’Europe (Suède, Danemark, Slovaquie, Finlande, Lituanie).
Ceci montre que la guerre en Ukraine a définitivement rebattu les cartes concernant la politique énergétique européenne, et ce, jusqu’au sein même des grandes institutions et de leurs groupes politiques.
Aurore Dessaigne
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