Cao Zhongming (ambassadeur de Chine): “Notre dépendance aux marchés extérieurs va diminuer”
La Chine, qui semble mieux se tirer de la crise du coronavirus que l’Europe, réfléchit à son développement avec un nouveau plan quinquennal. Elle mise sur son marché intérieur, moins sur les exportations. Tout en promettant une plus grande ouverture aux entreprises étrangères.
Depuis des décennies, l’économie chinoise nourrit sa croissance avec les exportations, qui lui ont permis de devenir la deuxième puissance économique mondiale. Cette politique devrait changer dans les prochaines années, estime l’ambassadeur de Chine, que nous avons interrogé en vidéoconférence.
Trends-Tendances. La Belgique, comme l’Europe, subit une seconde vague de la pandémie du Covid 19. Comment cela se passe-t-il en Chine?
Cao Zhongming. Je peux dire que la Chine ne subit pas de seconde vague. Il y a eu quelques nouveaux foyers sporadiques dans certaines localités, dans la région autonome du Xinjiang et les provinces du Liaoning ou du Shandong. Mais les autorités locales ont pris des mesures rapides pour contrôler la situation, la vie quotidienne a donc repris un cours normal. Quand des clusters ont été découverts dans certains quartiers de la ville de Qingdao, un test sur près de 10 millions de personnes a été organisé en cinq jours. Notre système de contact tracing permet de retrouver et d’isoler les malades et les contacts rapprochés. Nous sommes aussi attentifs aux cas importés: les voyageurs venant de l’étranger sont testés et des mesures d’isolement sont prises, comme dans d’autres pays. L’horeca a repris en octobre, en légère croissance, et l’importante China International Import Expo (CIIE) a pu se tenir à Shanghai début novembre, avec des entreprises en provenance de 124 pays et régions. Quant aux huit jours de congé pour la fête nationale du 1er au 8 octobre, ils ont donné lieu à 637 millions de voyages dans le pays.
Mon pays n’a jamais cherché à être l’usine du monde, notre production est le résultat de la division internationale du travail.
En Europe, la crise du Covid a entraîné des appels à la relocalisation de certaines activités. Or, actuellement, vous multipliez les records d’exportation. Cela va-t-il durer?
Pour les trois premiers trimestres, nous avons enregistré une croissance moyenne de 0,7% de nos exportations, et même de 2,9% pour celles en direction de l’Union européenne. La Chine est le premier pays au monde à revenir à une production normale, et la Banque mondiale a indiqué que nous serons la seule grande économie à dégager une croissance cette année. Nous avions parlé en février d’une courbe en V, c’est vrai pour la Chine, moins pour l’Europe où ce sera plutôt une courbe en W… Vous savez, la majorité des investisseurs étrangers conservent leur confiance en la Chine. Je ne pense pas qu’ils iront produire ailleurs à grande échelle, parce que nos infrastructures sont bien développées, bien équipées, et que nous disposons d’un marché de 400 millions de consommateurs à revenus moyens. Et puis relocaliser relève de la décision des entreprises, que celle-ci leur soit imposée par un gouvernement serait contraire à la liberté du commerce. La Chine n’a jamais cherché à être l’usine du monde, notre production est le résultat de la division internationale du travail. La globalisation est irréversible. S’il y a relocalisation, elle sera limitée à certains secteurs estimés par certains Etats comme étant stratégiques. Je ne pense donc pas que cela aura un effet pratique pour la Belgique.
Les autorités de la République populaire de Chine pratiquent les plans quinquennaux, et viennent d’en annoncer un nouveau, le 14e, portant sur la période 2021 à 2025, et ont fixé des objectifs à long terme, pour 2035. Quel est le but de cette approche, que la Chine est l’un des seuls pays à adopter? Le plan gère-t-il toute l’économie?
L’approche a évolué. Elle est passée d’un plan au sens strict du terme à un projet général. Les plans ont démarré en 1953, au lendemain de la fondation de la République populaire, et se renouvellent tous les cinq ans. En 2006, le titre chinois du plan a changé, puis sa nature est passée à une approche davantage blueprint, où il s’agit surtout de donner de grandes orientations. Nous ne pratiquons plus l’économie planifiée, dirigée, mais une économie socialiste de marché. Ce dernier joue un rôle important d’allocation des ressources, à travers les entreprises. Le gouvernement fournit les directions, les priorités, il travaille sur la régulation du marché, le développement de l’infrastructure, réduit les taxes pour améliorer le business, et ce dans les orientations du plan, tel le développement d’une économie verte.
Quelles sont les actions du gouvernement pour que ce plan se réalise?
Sa politique fiscale et monétaire, notamment. La Chine a une économie très diversifiée, il y a des entreprises publiques, mais aussi beaucoup de sociétés privées. Ces dernières représentent 90% des entreprises du pays, 70% des innovations et plus de 80% des emplois urbains. Vous avez entendu parler d’Alibaba, Tencent ou Huawei… Ce sont des grands groupes privés. La Chine a aussi lancé un nouveau marché boursier à Shanghai, le Science and Technology Innovation Board ( ou Star Market, sorte de Nasdaq chinois, Ndlr) pour les entreprises innovantes.
Le nouveau plan quinquennal parle d’un développement basé sur un concept de “double circulation”, où vous misez surtout sur la demande nationale. Est-ce une manière de réduire la dépendance de la Chine à l’exportation?
La “double circulation” est une nouvelle dynamique de développement dont le circuit domestique est le pilier principal et dans laquelle les circuits domestique et international ( les exportations, Ndlr) se renforcent mutuellement. Depuis quelques décennies, la Chine est dépendante de l’extérieur, tant pour ses matières premières que pour les exportations. A mesure que l’économie se développe, elle s’ajuste, et sera de plus en plus tirée par la demande intérieure. Notre degré de dépendance au marché extérieur va donc diminuer. Ce processus est assez habituel dans les autres grandes économies mondiales. Prenez la plus grande, celle des Etats-Unis: leur volume d’échange atteint les 4,1 trillions de dollars, avec une dépendance au commerce extérieur de 23%. La Chine, elle, a fait un shift graduel. Elle a eu pic de degré de dépendance de 62,4% en 2006, mais il était à 31,8% l’an dernier. Vous avez aussi remarqué la tentation du protectionnisme et les effets du Covid-19 sur l’économie, qui affectent la circulation extérieure. Nous cherchons donc à développer ce marché intérieur pour bénéficier d’un développement plus robuste.
Miser sur la demande intérieure ne signifie pas l’isolement. Cela ne remet pas en cause la stratégie d’ouverture de la Chine.
Cette “double circulation” est-elle une réponse à la crise commerciale avec les Etats-Unis? Ou un nouveau stade du développement de l’économie chinoise?
Les deux. Les frictions entre la Chine et les Etats-Unis reflètent des changements profonds de l’environnement. La politique unilatérale des Etats-Unis mettant une pression maximale sur la Chine, la montée du protectionnisme et le marché global nous font réaliser l’importance de miser sur ce marché intérieur.
Espérez-vous que le nouveau président élu, Joe Biden, sera moins conflictuel, plus prévisible sur les questions commerciales, que Donald Trump?
En tant que diplomate, au lieu de commenter les élections américaines, je dirais que les tensions des relations entre la Chine et les Etats-Unis sont le résultat d’une politique unilatérale et de brimades de ces derniers, et ne correspondent pas aux intérêts des parties. Notre espoir est que la relation devienne plus prévisible, plus conversationnelle et plus coopérative.
Pour revenir au concept de double circulation économique, est-ce que cela signifie moins d’importations de la Chine, moins d’investissements étrangers?
Beaucoup de gens s’interrogent à ce sujet. Miser sur la demande intérieure ne signifie pas l’isolement. Cela ne remet pas en cause la stratégie d’ouverture du pays. Il s’agit surtout d’améliorer la circulation intérieure, ce qui signifie aussi mieux la connecter avec les marchés internationaux. La Chine va davantage s’ouvrir. Parmi notre population de 1,4 milliard d’habitants, il y en a environ 400 millions disposant d’un revenu moyen, ce qui constitue un marché énorme et un aimant pour les produits et les investissements internationaux. A la mi-novembre, l’accord de Partenariat régional économique global (RCEP) a établi la plus grande zone de libre échange au monde, entre 15 pays du Pacifique, dont la Chine, l’Australie et le Japon. La Chine est prête à négocier un accord de libre commerce avec l’Europe. Cette année, entre janvier et septembre, le volume des échanges entre la Belgique et la Chine a atteint 19,96 milliards de dollars, en croissance de 7,4%. Umicore est très actif en Chine, Bone Therapeutics y a conclu un accord de licence qui représente 55 millions d’euros. La Chine souhaite approfondir ces relations, en espérant que les autres pays se montrent ouverts aux investissements chinois, de manière non discriminatoire.
En parlant de cet accord RCEP, qu’apporte-t-il au commerce international?
Il établit un équilibre entre les participants pour les échanges de biens et de services, avec un traitement différencié au bénéfice des pays les moins développés. Il recouvre une très grande population. Il prévoit un tarif douanier zéro pour environ 90% des produits. Il compte 20 chapitres et plus de 14.000 pages. Je ne l’ai pas lu intégralement, mais il couvre beaucoup d’aspects: les investissements, les produits agricoles, les services.
Un point important du plan quinquennal est l’innovation technologique. La Chine veut devenir un moteur dans ce domaine: la 5G, les semi-conducteurs, la santé, etc. Est-ce aussi pour réduire votre dépendance aux brevets américains, qui a souffert des mesures restrictives de l’administration Trump?
Nous avons appris par la pratique que ce n’était pas une bonne chose d’être dépendant d’autrui sur les technologies clés. Et utiliser la sécurité nationale comme prétexte pour freiner les approvisionnements d’Huawei ou d’autres entreprises nous a fait prendre conscience qu’il était important de développer une autonomie technologique. Nous ne poursuivons pas l’innovation dans l’isolement, la Chine accueille toujours des entreprises étrangères. Nokia et Ericsson participent par exemple au développement des réseaux 5G sur notre territoire. Nous continuons donc les échanges basés sur l’innovation, et développons la protection de la propriété intellectuelle.
Les autorités chinoises ont annoncé des objectifs à long terme pour 2035. Parmi eux, il y a celui, très important, d’arriver à un niveau de pays modérément développé, en termes de PIB par habitant. Que voulez-vous dire? Au niveau de quels pays espérez-vous situer? (1)
Enfin, il y a la question environnementale. Le président Xi Jingping a annoncé que la Chine deviendra neutre en émissions carbone d’ici 2060. Le pays est le premier producteur de voitures électriques, mais il développe aussi beaucoup les centrales au charbon. Comment pouvez-vous atteindre cet objectif?
Pour rester succinct, je dirais que la Chine a déjà pris des décisions dans des plans précédents. Elle est parvenue à remplir un engagement international de réduire avant l’échéance les émissions de 40-45%, à comparer avec 2005. Le président Xi Jingping a parlé d’un objectif, après un pic des émissions de CO2 en 2030, d’une neutralité pour 2060. Soit 30 ans, une période très courte. L’Union européenne a connu un pic en 1990, et a un objectif de neutralité en 2050. Les Etats-Unis ont atteint le pic en 2005 et on parle d’une neutralité en 2050, soit 45 ans. Pour y arriver, la Chine mise sur deux axes: développer une économie peu carbonée, réduire la consommation de carburant fossile et passer à d’autres sources d’énergie. Nous travaillons à construire un marché national des droits d’émission de CO2. Vous parlez des centrales au charbon. C’est la principale source d’énergie mais, ces dernières années, nous cherchons à améliorer le mix énergétique. Nous avons travaillé sur la fermeture de centrales au charbon produisant au total 100 millions de kW. Je sais que la Belgique promeut les énergies renouvelables et que l’actuel gouvernement a une politique sur l’énergie nucléaire. Si la Chine développe les énergies renouvelables, je précise que ce n’est pas sous la pression extérieure, mais pour améliorer l’environnement, le cadre de vie des citoyens.
(1) En 2018, le PIB par habitant atteignait 15.254 dollars courant en Chine, contre 52.254 dollars pour la Belgique, en tenant compte de la parité du pouvoir d’achat de chaque pays (Données: Université de Sherbrooke, Canada). Depuis 1990, il a été multiplié par trois en Belgique, et par 15 en Chine.
Un remède au recul de la croissance
Après quelques décennies de croissance importante, parfois à deux chiffres, la Chine se prépare à progresser plus modérément. C’est la raison qui pousse les autorités du pays à miser sur la demande interne, selon sa théorie de la “double circulation”. Les officiels chinois contestent que cette approche traduise une forme de protectionnisme mais, selon The Economist, certains entrepreneurs locaux l’espèrent. Les autorités de Pékin cherchent aussi à réduire la dépendance aux exportations et la vulnérabilité technologique mise au jour par le bras de fer brutal imposé par le président américain sortant, Donald Trump. Pour rappel, celui-ci a imposé des taxes douanières pénalisantes, et limité les débouchés commerciaux du champion chinois des télécoms Huawei. Le nouveau président Joe Biden devrait se montrer moins agressif tout en exerçant lui aussi, mais de manière plus diplomatique, une pression pour rééquilibrer les relations commerciales avec Pékin.
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