Bras de fer énergétique entre l’ancienne et la nouvelle ministre
Marie-Christine Marghem (MR) estime que notre pays n’est pas prêt pour la sortie du nucléaire et qu’il sera “noyé sous le gaz”. Tinne Van der Straeten (Groen) se dit sereine au sujet d’un futur 100% renouvelable.
Entre libéraux et écologistes, les sujets de tensions sont nombreux au sein de la majorité fédérale. L’énergie n’est pas le moindre. Le MR reproche à Ecolo-Groen de privilégier le gaz en guise d’énergie de transition, en lieu et place du nucléaire, alors qu’il est source de CO2 et donc contraire à l’objectif de diminution des émissions. Les verts assument.
Une question de symbole, mais aussi une divergence de fond au sujet de l’avenir énergétique du pays. Un accord ponctuel devrait certes être conclu sur la sortie du nucléaire pour 2025, afin d’offrir des certitudes aux investisseurs, mais le bras de fer risque bien de se poursuivre jusqu’à la fin de la législature, et au-delà. Le conflit est d’autant plus piquant qu’il oppose l’ancienne ministre fédérale de l’Energie, Marie-Christine Marghem (MR), à l’actuelle, Tinne Van der Straeten.
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Marghem: “Oui au nucléaire nouvelle génération”
La première est survoltée. Sommes-nous prêts pour sortir du nucléaire? “Je crois que non, affirme pour Trends-Tendances Marie-Christine Marghem, cinglante. Si l’idée, qui n’est pas honnête intellectuellement, consiste à remplacer le nucléaire par du renouvelable, à terme, avec comme énergie de transition le gaz, non seulement nous ne sommes pas prêts à sortir du nucléaire maintenant, mais c’est un problème de le faire comme on en- visage de le faire, parce que notre bilan CO2 va s’alourdir.”
Selon l’ancienne ministre, celle qui lui a succédé ne dit pas toute la vérité: “Il y a un mensonge par omission, une malhonnêteté intellectuelle, dans le message véhiculé. On ne dit pas qu’en réalité, si on veut sortir totalement du nucléaire en 2025, on va devoir produire 54% d’électricité assumée pour l’instant par le nucléaire, via des centrales à gaz qui vont tourner tout le temps. Et non seulement les 2,3 GW de centrales mis sur le marché via le CRM, mais aussi toutes les vieilles centrales éligibles au CRM dans des contrats moins longs”. Si le mix énergétique proposé par l’ancienne ministre lors de législature passée contenait aussi du gaz, il ne s’agissait pas, dit-elle, de “noyer la Belgique sous le gaz”.
Marie-Christine Marghem estime qu’Ecolo reste accroché au “totem” de la sortie du nucléaire obtenue en 2003. Une loi “ringarde” qui mériterait d’être changée, selon elle. “Le nucléaire est pour moi l’énergie qui fait partie de la solution dans la transition vers le 100% renouvelable”, souligne-t-elle. Au-delà du maintien temporaire de deux centrales, elle se dit favorable à des investissements dans des centrales de nouvelle génération, pratiquant la fusion nucléaire. “A mon sens, il faut s’ouvrir l’esprit aux technologies du futur, au-delà de l’accord de gouvernement”, plaide-t-elle.
Van der Straeten: “Non au nucléaire actuel…”
Tinne Van der Straeten (Groen), actuelle ministre fédérale de l’Energie, reste sereine. “La Belgique est prête pour réaliser un futur énergétique basé sur 100% d’énergie renouvelable, insiste-t-elle. C’est l’objectif, mais il faut penser à long terme et agir à court terme. Nous oeuvrons à un approvisionnement d’énergie sans CO2 et sans déchets. Les deux dimensions sont importantes. Dans ce contexte, la sortie du nucléaire n’est pas une fin en soi, mais un moyen.”
L’abandon de cette technologie, qui doit être confirmé avec la fermeture d’au moins cinq des sept centrales restantes, est-il un “totem écologique”? La ministre s’en défend: “Mon problème avec le nucléaire, ce n’est pas qu’il s’agit d’un mot qui commence par un ‘n’ et se termine par un ‘e”. Mais je dois aussi gérer le dossier des déchets. Pendant 40 années, les gens les plus intelligents ont cherché des solutions à ce sujet. Aujourd’hui, il n’y a pas de solution fixe, stable, que je puisse implémenter. Il y a un coût pour la gestion de ces déchets: en coûts nominaux, sur une période de 100 ans, cela représente 41 milliards d’euros. Si le nucléaire fera partie, oui ou non, de notre mix énergétique dans le futur, il faut que la technologie soit sans déchets et sans risques pour la sécurité. Si on arrive à cela, volontiers!”
Quant au gaz, ajoute-t-elle, le cahier des charges de l’appel d’offres lancé pour la construction de centrales servant de substitut au nucléaire prévoit que les entreprises accompagnent leur projet d’un plan concret pour que celles-ci soient neutres en carbone d’ici 2050, avec des objectifs intermédiaires. “C’est la raison pour laquelle la Commission européenne nous a félicités, dit-elle. Ce que l’on a décidé est en lien avec les objectifs du Green deal.”
Sereine, la dépositaire de ce portefeuille sensible au sein du gouvernement l’est d’autant plus qu’elle se rend à Glasgow, pour la COP sur le climat qui s’y déroule du 1er au 12 novembre, avec la promesse de tripler notre capacité éolienne maritime d’ici 2030. “Chaque ménage belge pourra être approvisionné en électricité depuis la mer du Nord”, soutient-elle.
Mais que penser des critiques de celle qui l’a précédée et des manoeuvres de la N-VA en Flandre, qui refuse les permis pour construire les centrales au gaz et prône, elle aussi, le nucléaire? “La commissaire européenne Margrethe Vestager me disait, en avril dernier: ‘ Move forward without drama’. Je répète cela souvent maintenant: il faut avancer, sans théâtre. Parfois, le monde politique fait un peu trop semblant de jouer une pièce et ce n’est pas nécessaire. On parle souvent de l’énergie de manière négative, mais c’est aussi et surtout un domaine de solutions. Il y en a énormément.”
“Il faut arrêter de rigoler avec le risque de black-out, peste en retour Marie-Christine Marghem. Nous n’en parlons plus jamais, mais nous sommes dans les mêmes conditions qu’au moment où nous l’avons risqué en 2018. Pire, même, parce qu’il n’y a plus de surcapacité dans les pays voisins.”
Engie: “Notre objectif, c’est le net zéro carbone en 2045”
“Chez Engie, nous nous sommes fixé comme objectif le net zéro carbone à l’horizon 2045, avec une feuille de route extrêmement concrète pour les prochaines années et une cohérence entre la trajectoire carbone et la trajectoire business. Nous prévoyons des investissements importants sur le renouvelable et nous aidons nos clients à aller vers la décarbonation.” Mathias Lelièvre, CEO d’Engie Impact (filiale d’accompagnement en transition durable du groupe, basée à New York, 2.500 personnes dans le monde), et François Boisseleau, chief economist d’Engie Benelux, font de l’obligation climatique une opportunité économique. La sortie du nucléaire en Belgique? “Nous nous devons de travailler dans le cadre qui est fixé par les autorités, souligne François Boisseleau. Pour les actions que nous menons aujourd’hui, mais aussi pour ce que nous préparons pour demain et après-demain. Nous oeuvrons au déploiement des technologies qui sont matures, que ce soit le renouvelable ou à terme l’hydrogène vert. Quand on parle de l’ambition d’être net zéro carbone en 2045, la Belgique fait évidemment partie de ce grand ensemble.”
Le débat entre nucléaire et gaz? “Il n’y a plus vraiment de débat, il y a surtout de l’action. Nous attendons la réponse au sujet du CRM concernant les centrales à gaz. Ces centrales, avec le temps, vont réduire leurs émissions de CO2 parce que le renouvelable va se développer. A moyen ou long terme, nous les ferons tourner avec du gaz vert.” Engie s’inscrit dans la stratégie visant à arriver à 100% de renouvelable en 2050. Un cap industriel.
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