Bientôt 3.000 milliards dans le portefeuille de la BCE

BCE Les obligations d'entreprises représentent 8 % du total des actifs détenus par Francfort. © getty images

La Banque centrale européenne (BCE) a amassé pour plus de 220 milliards d’obligations d’entreprises. Mais pas question jusqu’ici de “junk bonds” comme sa consoeur américaine : sujet tabou !

Inespéré ! Quand le producteur américain de canettes Ball a émis une obligation à 10 ans au début de ce mois, il a obtenu un taux de 2,875%. Soit seulement2,3 % de plus que l’obligation à 10 ans du Trésor américain. Impensable, quelques mois plus tôt encore, pour une émission notée BB+ par l’agence Standard & Poors, c’est-à-dire un cran en dessous de la qualité investment grade. Autrement dit, pour un junk bond. Un taux aussi bas constitue d’ailleurs un record, a relevé l’agence d’informations financières Bloomberg. La Fed, la banque centrale américaine, y serait-elle pour quelque chose ? Elle avait en effet annoncé en mars qu’elle allait non seulement acheter des obligations d’entreprises, en plus de celles de l’Etat américain, mais que ces achats comprendraient aussi des titres émis par des “anges déchus” tombés dans la catégorie junk suite à la crise du coronavirus.

Pour 10 milliards de fonds indiciels

Réponse en deux temps. Non, la Federal Reserve n’a pas acheté d’obligations Ball. Car si elle peut théoriquement viser des junk bonds, encore faut-il que cette disgrâce soit due à la crise sanitaire. Or, Ball était déjà junk auparavant. Deu- xième élément de réponse : oui, la Fed a largement soutenu les cours des obligations, en particulier celles de qualité médiocre. C’est-à-dire ces junk bonds, plus élégamment qualifiés d’obligations à taux élevé, ou high yield. Avec, pour conséquence, une pluie d’émissions. Refinancements exclus, le total avait dépassé 100 milliards peu avant l’émission Ball, a calculé la banque JP Morgan Chase, soit un bond de 81 % par rapport à la même période de l’année précédente.

Comme il est de tradition avec une banque centrale, la parole pèse davantage que les actes. Dès le début juin, soit avant que la Fed ne réalise ses premiers achats (ils eurent lieu le 16), les cours obligataires avaient vivement rebondi. Alors qu’il avait explosé à 11 % au plus fort de la crise en mars, le rendement moyen des obligations high yield était alors revenu à moins de 6 %. L’amélioration du climat financier n’est évidemment pas étrangère non plus à ce sursaut.

La Fed n’a pas acheté d’obligations à haut rendement en direct, seulement par l’intermédiaire de fonds indiciels, ou ETF, tels que l’iShares iBoxx High Yield Corporate Bond ETF (HYG). Il pèse quelque 30 milliards de dollars et la Fed en détenait un gros pour cent le mois dernier. Autre position : un gros 400 millions dans le SPDR Bloomberg Barclays High Yield Bond ETF.

C’est également par le biais d’ETF, et plus accessoirement aussi en direct, que la banque centrale américaine a réalisé l’essentiel de ses achats d’obligations d’entreprise… de qualité. Parmi les élus : Apple, Microsoft, Goldman Sachs, Berkshire Hathaway, etc. Sans oublier les filiales américaines de constructeurs automobiles étrangers : Toyota, Volkswagen et Daimler représentaient même ses trois postes les plus importants à fin juin ! Etait-il vraiment utile d’acquérir des obligations d’entreprises sans problème ? Certains commentateurs américains en doutent. Cela étant, la Fed n’en a acquis que pour une bonne dizaine de milliards de dollars depuis juin.

Pas question de haut rendement

Imitant la Federal Reserve dans son programme de quantitative easing, ou assouplissement quantitatif, la Banque centrale européenne (BCE) avait déjà acheté des obligations d’émetteurs privés entre janvier 2015 et septembre 2016. Elle s’y est remise en novembre 2019, en frappant fort : pas moins de 2,8 milliards en une semaine, sur une enveloppe mensuelle de 20 milliards, obligations d’Etat comprises. Elle a non seulement opéré sur le marché secondaire en achetant des titres émis par Dassault ou Engie, mais aussi sur le marché primaire (ce qu’elle ne peut pas faire pour le papier d’Etat) en souscrivant aux émissions de Shell et Daimler.

Avec le Pandemic Emergency Purchase Programme décidé le 18 mars suite à la crise du Covid-19, dont le montant de 750 milliards a été porté à 1.650 milliards le 4 juin, la puissance de feu de la BCE a explosé : l’enveloppe mensuelle est passée de 20 à 140 milliards ! On est toutefois loin du compte au niveau des achats réalisés, avec quelque 21 milliards à peine encore en juillet. Il est vrai que son portefeuille est déjà fort imposant, les seules obligations d’entreprises pesant plus de 220 milliards ( lire ci-dessous).

Comme à Washington, certains se sont demandé s’il était vraiment utile de financer des entreprises parfaitement saines comme LVMH… Réponse : pour peser sur les taux d’intérêt, il faut acheter en masse et ce qui est disponible. Autre question : et pourquoi pas des junk bonds, comme la Fed ? La BCE les accepte en effet en collatéral depuis le 7 avril. ” Des équipes de la BCE ont été chargées d’étudier le pour et le contre d’éventuels achats de dette privée à haut rendement “, affirmait en mai dernier l’agence de presse Reuters. Sans commentaire de la part de la BCE, ni à l’époque, ni aujourd’hui, nous confirme-t-on à Francfort. Il n’est pas question non plus jusqu’ici d’acheter des actions, à l’instar des banques centrales du Japon et de Suisse. Trop dangereux, non seulement dans l’absolu mais aussi quant à la réaction de la banque centrale allemande. On sait la Bundesbank déjà très énervée par le programme actuel…

140 milliards

En euros, l’enveloppe mensuelle d’achat d’obligations prévue par le Pandemic Emergency Purchase Programme, actif jusqu’en juin 2021.

Un portefeuille très costaud

Pas moins de 1.549 lignes composent le portefeuille de la BCE consacré aux obligations d’entreprises. Un véritable annuaire de l’Europe industrielle (et non financière) pesant pas moins de 224 milliards d’euros à la fin juillet. Plusieurs entreprises belges sont du lot : Brussels Airport, Cofinimmo et Befimmo, pour ne pas faire de jaloux, Elia et son confrère Fluvius, Solvay et surtout AB InBev dont la BCE détient 19 émissions. Aucun montant n’est précisé. Cet imposant portefeuille représente 8 % du total des actifs détenus par la BCE, à savoir près de 2.796 milliards d’euros à fin juillet. Les emprunts publics trônent en tête, avec 2.258 milliards (dont 85 de titres belges), soit 80,7 % du total. Deux autres types d’actifs les complètent. D’abord, mais pour une trentaine de milliards seulement, des covered bonds, soit des obligations garanties par des actifs. Il s’agit essentiellement de prêts hypothécaires (61 %) et automobiles (30%). Seules sont retenues les notations de qualité AAA (88 %) et AA (12 %). Ensuite, pour 284 milliards, des covered bonds, instruments financiers semblables aux précédents, plus répandus en Europe. La BCE s’est ici un peu écartée de la moyenne du marché en retenant 69 % d’émissions AAA et 31 % de AA, contre 78 et 21 % respectivement dans l’indice de référence. Une ” prise de risque ” vraiment très mesurée !

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