Paul Vacca

Voiture et sobriété sémantique

Paul Vacca Romancier, essayiste et consultant

En matière d’écologie, nous devrions avant toute chose pratiquer la sobriété sémantique. Comme nous l’avons évoqué récemment dans ces colonnes, les termes “retours gratuits” ou “recyclable” sont souvent utilisés abusivement pour des retours qui sont tout sauf gratuits et pour des matières qui ne sont pas recyclables, comme le plastique. C’est le cas aussi avec l’usage indu du terme “voiture propre” devenu par un tour de passe-passe synonyme de voiture électrique.

Or, il s’agirait plutôt en l’espèce d’une hyperbole, la figure stylistique de l’exagération. Car si la voiture électrique ne possède pas de pot d’échappement et s’avère donc “propre” sur le plan de la pollution locale puisqu’elle n’émet pas de gaz à effet de serre en roulant, la qualifier de propre, c’est allégrement faire l’impasse sur d’autres paramètres qui entrent dans son ardoise énergétique.

Sa fabrication, par exemple, qui est énergivore. Il faut plus de CO2 pour fabriquer une voiture électrique qu’un véhicule thermique, notamment à cause des batteries majoritairement fabriquées en Chine avec une énergie issue du charbon. Alors, si la voiture électrique limite en effet les émissions locales, elle en génère de plus importantes sur le lieu de production. Pour combler ce différentiel énergétique, on estime raisonnablement qu’un véhicule électrique devrait parcourir 40.000 à 50.000 kilomètres pour remettre le compteur à zéro face à la pollution d’une voiture thermique. De même, l’énergie nécessaire pour recharger la batterie ne tombe pas du ciel: elle génère une empreinte carbone non négligeable, a fortiori dans des pays où l’électricité provient encore en grande partie du charbon.

D’autres facteurs interviennent aussi, comme une obsolescence plus forte par rapport aux modèles thermiques. Non pas du fait de leur moteur qui peut durer très longtemps, mais de tout l’appareillage technologique soumis à un rythme d’innovations plus frénétique. Comme l’explique Nicolas Meunier, journaliste au magazine Challenges, dans son essai L’arnaque de la voiture propre (Hugo Doc): “Acheter une voiture électrique aujourd’hui, c’est acheter un magnétoscope juste avant l’arrivée des DVD”. Et de fait, les voitures électriques risquent de suivre les courbes d’obsolescence de nos smartphones.

Autre paramètre craint par les spécialistes à prendre en compte: un “effet rebond”, à savoir un surcroît d’utilisation de la voiture électrique du fait même que nous sommes persuadés de “rouler propre”. Un cercle vicieux inhérent à tout effet vertueux bien connu des économistes et sociologues: une augmentation des usages générée par certains avantages (environnementaux ou financiers) et qui de fait annule ces avantages. Comme on achète plus de produits lors des soldes, on conduira plus en pensant polluer moins.

Mais après tout, n’est-ce pas la qualification de “voiture propre” qui constitue par essence un abus de langage? Un oxymore, cette figure de style qui associe deux termes contraires comme lorsque l’on parle de “silence assourdissant” ou de la “sombre clarté” des étoiles. “Voiture” et “propre” sont deux termes irréconciliables jusqu’à présent. Avant la voiture à combustion, celle-ci polluait déjà lorsque les 175.000 chevaux qu’on dénombrait à New York produisaient des montagnes de fumier répandant gaz et maladies sur la ville. Et après elle, qu’elle soit électrique ou hybride, elle n’est toujours pas propre.

Alors, la première des sobriétés serait d’éviter de polluer notre langage avec le terme abusif de “voiture propre”. Et de le réserver pour le jour où l’on aura véritablement inventé une voiture qui le soit, de sa fabrication à sa destruction en passant par son utilisation.

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