EisphorIA, une IA pour mettre de l’ordre dans vos données juridiques

Les trois fondateurs Vsevolod Salnikov, Edouard d'Oreye (en haut) et Olivier de Changy (en bas, à droite), en compagnie de Stanislav Sychev, responsable UX Design. © Isopix/ Frédéric Sierakowski
Gilles Quoistiaux Journaliste Trends-Tendances

La jeune pousse EisphorIA utilise l’intelligence artificielle (IA) pour aider les avocats à mieux naviguer dans leurs bases de données juridiques.

Les cabinets d’avocats traitent beaucoup, beaucoup de données. Entre les dossiers des clients, les documents internes, les bases de données jurisprudentielles, les multiples réglementations, la doctrine juridique…, l’inflation de fichiers fait chauffer les ordinateurs. Et la classification de toute cette masse de données n’est pas toujours limpide.

“Notre constat est le suivant: les avocats manquent d’outils sophistiqués permettant de mettre en relation tous ces documents”, indique Edouard d’Oreye, cofondateur et CEO d’EisphorIA. Avec Olivier de Changy et Vsevolod Salnikov, il a créé cette start-up “legaltech” basée à Suarlée, près de Namur. La jeune pousse développe un outil d’intelligence artificielle capable de naviguer dans un océan de mots et de termes juridiques pour en retirer les informations pertinentes.

Porte d’entrée unique

Edouard d’Oreye a passé 15 ans chez le consultant PwC, au service tax. C’est le juriste de l’équipe. Grâce à sa pratique, il a pu décortiquer le métier de professionnel du droit. Voici son analyse: “Un juriste ou un avocat doit traiter des données textuelles assez volumineuses, avant de les confronter à un ensemble de données techniques et théoriques. Ensuite, il apporte son analyse et son expertise personnelle sur le dossier. Au départ, c’est donc un métier de traitement de données”.

Cette étape indispensable de traitement peut être améliorée et facilitée par l’utilisation d’outils numériques. Tous les cabinets d’avocats d’une certaine taille disposent d’accès à des bases de données juridiques et de logiciels permettant d’organiser leurs propres documents et ceux de leurs clients. EisphorIA apporte une surcouche à ces outils numériques afin de permettre aux professionnels du droit de bénéficier d’une seule et unique porte d’entrée vers l’ensemble de ces informations.

“Notre ambition est de devenir une référence dans le monde juridique”, indique Olivier de Changy, cofondateur d’EisphorIA. Ce spécialiste du marketing digital et de l’analyse de données a travaillé pendant 17 ans chez le géant de l’informatique Cisco, puis chez Microsoft. C’est le commercial de l’équipe. Il est en contact avec plusieurs cabinets d’avocats intéressés par la solution développée par EisphorIA. La start-up a notamment signé avec LawTax, un cabinet d’avocats fiscalistes basé à Bruxelles, ainsi qu’avec Luther, un cabinet d’affaires luxembourgeois comptant plus de 400 avocats en Europe et en Asie. Un cabinet belge qui se présente comme “leader sur le marché de l’arbitrage international” s’est également offert les services de la jeune pousse.

La promesse de la start-up wallonne est d’apporter des outils d’intelligence artificielle dernier cri, qui intègrent ce que l’on appelle la recherche contextuelle.

La start-up vise les structures comptant au moins une quinzaine d’avocats. Les tous grands cabinets internationaux, qui disposent d’importants moyens pour développer leur propre technologie ou s’adjoindre les services d’entreprises spécialisées, font-ils partie de la clientèle ciblée? “C’est vrai qu’ils sont déjà bien équipés au niveau technologique. Mais ils ont parfois investi il y a quelques années dans des technologies d’ancienne génération”, avance Olivier de Changy.

Recherche contextuelle

La promesse de la start-up wallonne est d’apporter des outils d’intelligence artificielle dernier cri, qui intègrent ce que l’on appelle la recherche contextuelle: “C’est le nouveau paradigme en matière de recherche. Le système va retrouver l’information la plus pertinente en tenant compte du contexte de l’affaire traitée”, explique Vsevolod Salnikov, cofondateur d’EisphorIA. Ce professeur de data science à l’Université de Namur est l’expert en technologie de l’équipe. C’est lui qui développe les systèmes d’intelligence artificielle proposés par la start-up.

Son modèle de base, c’est l’algorithme BERT développé par Google. Ce modèle de traitement automatique du langage est l’une des évolutions les plus récentes et les plus significatives de l’algorithme de recherche de Google. Il saisit beaucoup mieux les relations entre les mots au sein d’une phrase. C’est ce qui a permis des avancées très marquantes en matière de traduction automatique, rendant Google Translate beaucoup plus pertinent qu’avant. En résumé, ce type d’intelligence artificielle va au-delà du simple mot clé ou de la simple traduction “mot à mot” et englobe la compréhension d’une phrase, d’un texte, d’un contexte. C’est ça qui intéresse les trois fondateurs d’EisphorIA, cette nouvelle start-up de l’écosystème legaltech (nouvelles technologies au service du droit). Grâce à l’utilisation de ce nouveau type d’algorithme, un cabinet d’avocats peut faire une recherche bien plus large et bien plus poussée qu’à partir d’un ou plusieurs mots clés. Un avocat peut, par exemple, chercher une information à partir du mail complet d’un client qui lui pose une question juridique. Pour confectionner son outil, la start-up ne se contente pas d’utiliser l’algorithme de Google. Elle y ajoute son expertise et l’adapte au secteur du droit: “Nous prenons les meilleures choses de cet algorithme et nous y ajoutons nos propres couches. Ensuite, nous entraînons notre outil sur des bases de données publiques, comme par exemple celle de la Chambre”, détaille Vsevolod Salnikov. L’ambition de la jeune pousse est de servir de porte d’entrée vers l’ensemble des données juridiques publiques (législation, jurisprudence) belges mais aussi européennes. C’est la raison pour laquelle EisphorIA vient de créer un data hub. Ce service est proposé à la carte aux cabinets d’avocats et juristes d’entreprise qui souhaitent bénéficier d’un accès immédiat aux sources juridiques qui les intéressent, sur la base d’un abonnement mensuel. La start-up propose notamment les données de Fisconet (SPF Finances), la Cour constitutionnelle, la Chambre, Juridat (jurisprudence belge), Eur-Lex (législation européenne), Curia (Cour de Justice de l’Union européenne), etc. Progressivement, de nouvelles sources de données publiques viendront s’y ajouter.

A côté de ce produit, la start-up commercialise un système permettant d’explorer des bases de données et d’en sortir rapidement les informations pertinentes. Cet outil sert, par exemple, à un avocat qui souhaite étudier un dossier volumineux transmis par son client. La tarification se fait alors dossier par dossier, avec un système de tarif dégressif.

4 langues : les outils développés par EisphorIA sont actuellement déjà disponibles en français, néerlandais, anglais, allemand.

Internationalisation

EisphorIA bénéficie d’un programme d’incubation auprès du centre de recherche flamand Imec, ce qui inclut un coaching d’un an et un financement de 50.000 euros. La start-up fonctionne actuellement sur fonds propres, ce qui est une volonté de ses fondateurs. EisphorIA est active en Belgique et au Luxembourg mais l’ambition de ses dirigeants est de s’étendre rapidement à l’international en intégrant de nouvelles bases de données. Les outils développés en interne sont déjà disponibles en quatre langues: français, néerlandais, anglais et allemand. L’équipe se mettra en recherche active de capitaux d’ici la fin de l’année, avec pour premier objectif un lancement dans les pays limitrophes de la Belgique.

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