Pour les assureurs, la crise du coronavirus n’est pas que négative

Lloyd's of london, à lui seul, estime sa facture à 5 milliards de livres. © Getty Images

En poussant les taux vers le bas et en ébranlant l’économie, la crise n’aide pas les assureurs. Mais le ciel n’est pas sombre partout pour autant.

Les assureurs et réassureurs mondiaux s’attendent à devoir avaler une perte de 200 milliards de dollars liée à la pandémie. Le célèbre marché britannique Lloyd’s of London, à lui seul, estime sa facture à 5 milliards de livres, ce qui en fait le sinistre le plus important de ces dernières décennies avec les attentats du 11 Septembre.

Pourtant, certains assureurs ou réassureurs séduisent les investisseurs. Chez nous, Ageas a fait l’objet d’une tentative d’approche par un groupe d’investisseurs qui se fait appeler BE Group. Et plus généralement, les réassureurs auraient déjà, depuis la crise, levé 13 milliards de dollars de capitaux frais : “Le calcul (des investisseurs) est simple, bien que risqué, note Oliver Ralph, le spécialiste assurance du Financial Times. La vague de demandes d’indemnisation liées à la pandémie ne submergera pas les compagnies d’assurance, mais leur permettra de justifier de fortes hausses de prix pour les nouvelles polices”. A noter que, quand bien même les réassureurs devraient augmenter leurs tarifs, rien ne dit que les assureurs, eux, répercuteront cette hausse sur leurs clients.

Et puis, dans certains pays, on ignore encore quel sera l’impact réel du Covid tant que la justice n’aura pas tranché. En France ou au Royaume-Uni, les assureurs doivent en effet faire face à une vague grandissante de plaintes émanant d’entreprises qui estiment avoir droit à une indemnisation.

Pas de plaintes en Belgique

Ce n’est toutefois pas le cas en Belgique. Car les contrats semblent plus clairs. Comme l’explique Pedro Matthynssens, le CEO de Vanbreda Risk and Benefits, le grand courtier d’assurance anversois, “la grande majorité des polices d’assurance belges qui couvrent les pertes d’exploitation contiennent une exclusion en cas de ’cause immatérielle’. Concrètement, cela signifie que les pertes d’exploitation résultant de dommages physiques directs tels qu’un incendie ou une inondation sont couvertes mais pas les pertes causées par une épidémie”.

“Par le passé, des contrats ont été proposés comprenant la couverture du risque de pandémie, ajoute François de Clippele, porte-parole d’Assuralia, l’association qui regroupe les acteurs de l’assurance, mais les entreprises ont en général trouvé qu’il ne valait pas la peine de payer pour se prémunir de ce risque. Quelques-uns se sont pourtant protégés et ne le regrettent pas.” “Les organisateurs de l’exposition Van Eyck à Gand, qui avait rassemblé la moitié de l’oeuvre du peintre, ont été obligés de fermer leurs portes en pleine pandémie. Mais ils s’étaient couverts et verront le remboursement des 130.000 tickets vendus et non utilisés pris en charge “, note François de Clippele. Mais c’est une exception.

D’où l’idée, explique Pedro Matthynssens, de s‘inspirer du mécanisme de couverture mis en place après les attentats à Bruxelles et Zaventem en 2016. Désormais, dans notre pays, les actes terroristes sont assurés à hauteur d’1,3 milliard d’euros par an grâce à un partenariat public-privé entre les autorités et l’industrie belge des assurances. L’idée serait de monter une structure similaire et de rendre obligatoire une assurance pandémie dans laquelle l’Etat serait solidaire des assurances pour couvrir le risque. Mais comme l’explique le patron d’Ageas, d’autres projets sont en discussion au niveau belge et européen.

Chez nous, les autorités sont déjà montées au créneau, mais pour soutenir l’assurance crédit, un outil qui joue un grand rôle dans la vie des affaires puisque le risque de factures impayées est couvert à hauteur de 57 milliards par an. Fin avril, les assureurs réunis sous la coupole d’Assuralia, ainsi que Credendo et l’Etat, ont signé un accord aux termes duquel Credendo joue un rôle de réassureur au profit de l’Etat qui s’engage à réassurer en partie les risques souscrits par les assureurs crédit belges. En échange de quoi, ceux-ci s’engagent à maintenir intactes autant que possible les limites de crédit en vigueur au 1er janvier 2020 et cela jusqu’à la fin de cette année, et donc à éliminer une bonne partie de l’effet Covid.

Pour les assureurs, la crise du coronavirus n'est pas que négative

Les sinistres liés aux crédits commerciaux, mais aussi ceux associés aux frais médicaux, à la protection des revenus, à l’annulation de voyages, vont probablement faire monter la note pour les assureurs. “Mais les programmes de réassurance contribueront certainement à atténuer cet impact”, souligne la Banque nationale, gendarme des assureurs. La BNB ajoute que “d’autres branches d’activités non vie, telles que les polices d’assurance liées aux véhicules, pourraient en revanche enregistrer un impact positif sur leurs sinistres, au moins pendant la période de confinement”.

13 milliards dollars: la somme de capitaux frais déjà levés par les réassureurs depuis la crise.

Quid de l’assurance auto ?

Les dernier résultats d’Ageas en témoignent : la branche “non vie” afficha au premier semestre de cette année un résultat de plus de 181 millions d’euros, en hausse de 56% par rapport au premier semestre 2019, et cela en grande partie à cause de la baisse du nombre de sinistres auto.

“Il faut nuancer cette impression positive, tempère François de Clippele. Certes, le confinement a fortement diminué le nombre d’accidents. En revanche, on semble observer que le nombre d’accidents grave n’a pas baissé, voire a un peu augmenté ; peut-être parce que les gens ont roulé plus vite puisqu’ils ne voyaient personne sur les routes. Et le trafic poids lourds ne s’est jamais arrêté. Donc tout dépend de la constitution du portefeuille de chaque assureur “. Mais obliger les assureurs à redistribuer les gains supplémentaires engrangés, comme le désire un projet de loi du PS, cela ne tient pas compte de l’impact de long terme ni de la grande concurrence qui règne dans ce secteur. C’est une idée très dangereuse, estime-t-il.

L’étau des taux

D’autant que si la branche non vie se porte bien, le contexte est plus difficile pour les assurances-vie et l’assurance pension. On le voit d’ailleurs avec les difficultés de L’Intégrale, l’assureur liégeois spécialisé dans l’assurance pension et l’assurance groupe qui, pressé par la Banque nationale, cherche toujours un partenaire pour renforcer son capital.

Car un des effets du Covid est de faire plonger encore davantage les taux, et pour longtemps. Or, les taux bas ont deux grands effets sur les assureurs. D’abord, ils gonflent automatiquement les bilans (une dette à taux fixe prend en effet davantage de valeur quand les taux baissent) et donc imposent d’avoir davantage de capital. Et puis, comme les assureurs investissent en grande partie les primes qu’on leur verse en obligations, cela réduit leurs revenus. C’est surtout embêtant pour les produits à taux garantis, même si cette activité reste profitable pour les assureurs (voir le graphique ci-dessus).

Mais ces taux plancher sont très embêtants pour les assurances groupe qui sont légalement obligées d’offrir un taux minimum garanti de 1,75%. Comment assurer cet objectif avec des obligations d’Etat qui rapportent un taux négatif (-0,15%) sur 10 ans ? La loi devrait être modifiée. La tâche n’est cependant pas facile. Par le passé, aucune majorité politique ne s’était dégagée pour changer la loi. Et nous attendons un gouvernement depuis près de deux ans.

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