Hans De Cuyper (futur CEO d’Ageas): “Nous travaillons à une assurance contre les pertes d’exploitation”
Le futur CEO d’Ageas explique l’impact du Covid sur les couvertures des risques auto, incendie, assurance-vie et pertes d’exploitation.
Hans De Cuyper deviendra le nouveau CEO d’Ageas, maison mère d’AG Insurance, à l’issue de la prochaine assemblée qui se tiendra le mois prochain. Pour Trends-Tendances, il détaille les conséquences de la crise sanitaire et du confinement sur les différents segments du secteur de l’assurance, et des mesures à prendre pour l’avenir.
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Trends-Tendances. On voit dans certains pays voisins (la France, le Royaume-Uni) que des entreprises vont en justice pour contraindre les assureurs à les indemniser contre les pertes d’exploitation liées au Covid. Mais pas en Belgique. Pourquoi ?
Hans De Cuyper. Dans certains pays, les conditions générales sont moins claires qu’en Belgique. Le grand principe dans les polices belges est que la perte d’exploitation est couverte quand elle est liée à la survenance d’un autre risque de base : incendie, rupture électrique, etc. Mais c’est différent lorsque l’on constate une perte d’exploitation seule, comme dans le cas d’une pandémie. La couverture est donc moins évidente. Mais nous sommes conscients qu’une solution devrait être trouvée. Divers groupes de travail, en Belgique, en Europe, planchent sur le sujet. Car, on le voit aujourd’hui, ce risque touche tous les pays et tous les secteurs de l’économie et ne peut pas être supporté par les assureurs seuls.
Un tel travail peut prendre des mois. Il ne sera pas abouti pour cette crise-ci.
Quelles solutions sont envisagées ?
Nous sommes en train d’évaluer le mécanisme TRIP (“terror reinsurance and insurance pool”) d’assurance contre le terrorisme, qui fait intervenir les assureurs, un système de réassurance et l’Etat. Il offre une couverture totale qui se limite à environ 1,3 milliard. L’impact de la pandémie est bien au-dessus de ce montant. Un tel mécanisme pourrait peut-être néanmoins aider les entreprises à passer le cap dans une période de confinement limitée. Un second mécanisme possible est celui qui a été appliqué en 2008 et puis ces derniers mois en soutien à l’assurance crédit. Nous sommes en train de voir si un mécanisme similaire ne pourrait pas couvrir les pertes d’exploitation.
On pourrait avoir bientôt une telle assurance contre les pertes d’exploitation ?
Nous étudions les spécificités du marché belge et nous suivons les évolutions en Europe. Je n’ai pas de calendrier exact, mais un tel travail peut prendre des mois. Il ne sera pas abouti pour cette crise-ci.
Vous avez déjà une idée de l’impact de la crise sur le secteur de l’assurance ?
Il est différent d’un assureur à l’autre. Mais si je prends les grands portefeuilles, comme l’assurance auto (qui représente environ un tiers de l’assurance non vie en Belgique, Ndlr), à fin juin, la performance était meilleure que celle des années précédentes car il y avait eu moins de voitures sur les routes. Mais attention, cependant, il n’y a pas un lien direct entre le nombre de voitures sur les routes et le coût des sinistres. La période de réouverture du trafic est plus dangereuse, car les gens doivent réadapter leur style de conduite. Nous avons assisté en juin à beaucoup d’accidents graves impliquant des camions car ces derniers avaient été habitués, pendant le confinement, à rouler plus rapidement. Or, on sait que 30% du montant total payé pour indemniser les sinistres provient de seulement 0,24% des accidents. Des accidents graves, avec des dommages corporels importants.
J’ajoute que depuis des années, l’assurance auto n’est pas la branche la plus rentable. Les primes moyennes ont à peine bougé depuis 2005. Elles n’ont pas suivi l’inflation. En termes réels, elles sont donc environ 20% meilleur marché qu’il y a 15 ans. C’est notamment le résultat d’une baisse de fréquence de sinistres, même si les coûts des réparations ont augmenté.
Les primes auto vont évoluer ?
La branche auto est très concurrentielle. Les primes pourraient en effet s’adapter, mais c’est un peu tôt pour le dire. Il faudra appréhender les évolutions dans le temps. Le Covid aura clairement un impact à long terme sur la mobilité. L’enthousiasme pour les transports publics qui avait été causé par la prise de conscience des enjeux climatiques s’est refroidi aujourd’hui. Les gens ont repris leur voiture. En revanche, il devrait y avoir davantage de télétravail dans le futur, même après la crise, et donc moins de trafic.
Et dans les autres branches ?
En assurance incendie, je m’attends à une année finalement stable, même si nous avons observé davantage de sinistres en juillet et en août car les gens sont restés davantage en Belgique. Dans la branche accidents du travail et responsabilité de l’entreprise, il y aura un impact car le calcul des primes est basé sur la masse salariale, le nombre de travailleurs et le chiffre d’affaires. Mais il faudra attendre la fin de l’année pour en connaître l’ampleur, même si l’activité industrielle semble se reprendre plutôt bien. Et dans les soins de santé, nous observons deux phénomènes : les hospitalisations liées au Covid amènent des factures importantes mais les autres activités hospitalières, qui avaient été suspendues, ne tournent encore aujourd’hui qu’à 80-90% de leur niveau de l’an dernier. Et puis, l’épidémie a obligé le report de certains soins et l’on s’attend à une recrudescence du nombre de pathologies graves et donc à une hausse des indemnisations.
Dans l’assurance-vie, malgré la baisse des taux, les produits de la branche 21, à taux garantis, restent étonnamment très populaires.
Il est clair que les taux d’intérêt resteront bas dans les années à venir, et les assureurs vont donc continuer à adapter leurs taux garantis comme ils l’ont fait ces dernières années. Malgré tout, le rendement final pour les clients reste attractif si on le compare aux comptes d’épargne. Le rendement total (avec les participations bénéficiaires) varie chez la plupart des assureurs entre 1,5 et 2,20%, d’autant que ces produits bénéficient souvent d’un stimulus fiscal. Ils restent profitables pour les assureurs, à conditions d’obéir à une certaine discipline. Il faut aligner les rendements des investissements à ceux des produits et ne pas toucher aux anciennes obligations, qui présentent d’énormes plus-values latentes, mais qui sont nécessaires pour couvrir les garanties.
Un problème important est le taux minimum garanti de 1,75% pour les assurances de groupe, un taux supporté par les employeurs, mais difficilement tenable à terme.
Chez AG Insurance, nous avons été clairs : nous pourrons au minimum garantir aux clients ce taux pour 2020 et 2021. Mais un élément important est l’inflation. Si l’inflation s’approche de l’objectif de 2% des banques centrales, il est important d’avoir une rémunération de l’épargne à long terme en ligne avec l’inflation. Il y a donc un équilibre à trouver. Nous devrons discuter avec les autorités. Ce n’est pas une urgence immédiate, mais ce sera un sujet important pour le prochain gouvernement.
Une dernière question. Vous continuez à discuter avec le groupes d’investisseurs qui voulaient lancer une OPA sur Ageas ?
Le management et le conseil ont évalué cette offre et ne la jugent pas réaliste. Mais je ne peux malheureusement pas commenter davantage.
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