Le spectateur indolent

Noëlle Renaude, " Les Abattus ", éditions Rivages, 418 pages, 20,90 euros.

“Je suis né au village un soir de novembre. ” Ainsi fait-on la connaissance du protagoniste des Abattus. Noëlle Renaude nous entraîne dans l’existence de son narrateur depuis son point zéro à l’aube des années 1960 dans la province française. Il naît ainsi dans une famille de deux garçons. Un père parti, une mère courageuse mais dépressive, et l’arrivée au final par la suite d’un beau-père, Max, et d’une petite soeur, Ola, chez qui ” quelque chose cloche “. Le foyer, empreint d’une violence latente et d’une pauvreté poisseuse, n’est pas propice aux développements des ambitions. L’aîné s’échappe dès qu’il le peut du foyer pour réinventer sa vie. Le deuxième fond dans la délinquance. Notre narrateur a les ” capacités ” mais semble n’avoir que faire de se construire un avenir. ” Mon narrateur ne subit pas sa vie, nous prévient très vite Noëlle Renaude à propos de son ‘héros’. Personne n’est jamais victime dans ce que j’écris. Il reste absolument responsable de ses choix. Il se met en dehors du monde et il observe. ”

Mon avenir est en train de prendre une direction pas prévue.

Courtes phrases mais descriptions précises, les caractéristiques de l’écriture de Noëlle Renaude nous subjuguent par leur simplicité et leur efficacité. Et le lecteur d’assister au quotidien de ce type qui s’essayera à quelques métiers de bureau et de banque. Il ne fera des femmes qu’ils fréquentent que des passades sans véritable implication émotionnelle. ” Il n’est pas introspectif, il ne se pose pas beaucoup de questions “, admet la romancière.

Retiennent toutefois notre attention de mystérieux cadavres naissant autour de lui, en même temps que la réapparition de son petit gangster de frère poursuivi par des mafieux. Jusqu’au jour où… notre narrateur disparaît, s’évanouissant dans la nature comme dans les pages d’un roman qui n’aura que faire de lui. Les personnages ” secondaires ” – bien troussés, à l’instar de ce notaire haut en couleur, de ce beau-père à la soudaine profondeur – ne semblent pas se soucier de l’éclipse de celui qui jusque-là nous menait (par le bout du nez ? ) dans les journées de sa pitoyable existence, en spectateur indolent. Victime ? Suspect ? Les cartes se brouillent.

” Si sa disparition n’inquiète pas grand-monde, c’est qu’il n’a pas réussi à se créer attachant. Peu importe si sa parole est vraie ou pas, semble nous mettre en garde Noëlle Renaude. Les Abattus est le premier roman sur lequel elle appose son nom. Auteure pour le théâtre comptant plusieurs dizaines de pièces, elle a développé pour la scène une oeuvre où la (prise de) parole est un engagement en soi sans pour autant passer de “message”. “Dans mon travail d’écriture, je m’intéresse à l’oralité, à la phrase. Je ne savais rien de ça avant d’écrire”, nous confie-t-elle sur son parcours d’autodidacte considérant l’écriture comme une acte “très concret”, un agencement de mots et de phrases dont on perçoit le sens à la fin. “C’est pourquoi je ne m’attarde pas à la psychologie des personnages.”

La Française a fait ses armes dans le roman populaire dans les années 1980, publiant sous pseudonyme des romans sentimentaux et policiers pour feu l’hebdomadaire Bonne Soirée. En se frottant au roman noir à l’invitation des éditions Rivages, elle poursuit la veine stylistique creusée au fil des années. Son ” ignorance ” du genre lui permet d’être libre. ” Spécialiste des petits mondes “, comme elle se définit, Noëlle Renaude ne s’attache pas à la grande exploration sociétale, ni à la complaisance envers ses personnages, ne faisant preuve d’aucun manichéisme, n’émettant aucun jugement. ” La bêtise humaine est faite des jugements que l’on porte sur les autres. Et la meilleure manière d’être au monde aujourd’hui, n’est-ce pas d’être idiot ? ” Elle réussit à capter notre attention dans ce roman dans lequel on plonge sans trop savoir ce qu’il va advenir, sans réussir véritablement à palper le maître du jeu. Une mécanique invisible menant au vertige de l’inconnu…

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