L’impact des citoyens dans l’octroi des permis d’urbanisme: l’improbable entente
La place des citoyens dans les projets immobiliers ne semble convenir à personne aujourd’hui. Trop importante pour les promoteurs, trop faible pour les associations ou les riverains. En attendant de trouver une voie médiane, les recours au Conseil d’Etat se multiplient. Des visions antagonistes qui coûtent du temps et de l’argent aux deux parties.
C’est une tendance de plus en plus marquante. Pratiquement plus aucun projet immobilier d’envergure ne parvient désormais à éviter le feu nourri des critiques de riverains, citoyens ou associations diverses, qu’elles soient portées sur l’environnement, l’urbanisme ou la défense du patrimoine. Une réalité que les développeurs de projets immobiliers ont d’ailleurs ajouté dans leur planning, même s’ils ne le crient pas sur tous les toits et qu’ils sont loin d’accepter de gaieté de coeur. “Les projets qui ne font pas l’objet d’un recours au Conseil d’Etat deviennent en effet de plus en plus rares”, relève Pierre-Alain Franck, administrateur à l’Upsi, l’Union professionnelle du secteur immobilier.
Les projets qui ne font pas l’objet d’un recours au Conseil d’Etat deviennent de plus en plus rares.”
Pierre-Alain Franck (Upsi)
Une tendance qui n’est pas neuve mais qui semble s’être encore accentuée ces dernières années. La possibilité que des promoteurs et des riverains trouvent un terrain d’entente devient de plus en plus ténue. Ce n’est pourtant pas faute d’essayer. Que ce soit via des charrettes urbanistiques, des ateliers participatifs ou des réunions d’information, certains promoteurs tentent désormais de rapprocher les points de vue voire de faire émerger un projet commun. Une piste qui semble davantage exploitée en Flandre et en Wallonie qu’à Bruxelles. “Par exemple, Matexi organise désormais des ateliers urbains dans la plupart de ses grands projets”, lance l’avocat Francis Haumont, du cabinet HSP. On l’a notamment vu il y a peu dans le cadre du projet des Bétons Lemaire à Ottignies (650 logements).
Reste que, il ne faut pas se voiler la face, ce type de concertation vise avant tout pour un promoteur à diminuer au maximum les risques de recours plutôt que de sonder réellement les envies locales. Perdre six mois dans un tel processus sera toujours plus intéressant que se dépêtrer des affres d’un recours qui dure le plus souvent de deux à trois ans. “Je ne crois absolument pas à ces principes de concertation, tranche de son côté l’avocat Philippe Coenraets, du cabinet Coenraets & Associés. L’urbanisme concerté est une grande illusion. Les intérêts des deux parties sont très difficilement conciliables. De plus, les autorités compétentes, qu’elles soient politiques ou administratives, ne sont pas là pour tenter de trouver un consensus mais pour trancher et être au-dessus de la mêlée. A Bruxelles, une des grandes erreurs est, par exemple, de croire que la Commission de concertation est un lieu où chacun peut donner son point de vue. Ce n’est pas le cas. Le demandeur entend les récriminants mais ce n’est pas le lieu pour discuter. L’urbanisme est une police administrative. Ce n’est pas une matière où l’on va contractualiser des intérêts divergents. L’autorité doit trancher dans l’intérêt général.”
Un son de cloche qui, assez étonnamment, est partagé par Inter-Environnement Bruxelles (IEB), l’une des forces d’opposition les plus présentes dans la capitale en matière d’urbanisme. Elle introduit entre trois et cinq recours chaque année contre des projets immobiliers d’envergure qui entraveraient leur vision de la ville. “Et on gagne le plus souvent, sourit Claire Scohier, chargée de projet chez IEB, qui travaille actuellement sur des recours contre les projets Lebeau (Immobel), Spectrum (Ghelamco) et Key West (BPI et Immobel) de même que sur certains PAD (Plans d’aménagement directeur). Je ne crois toutefois pas à la co-construction de projets. C’est un leurre. Chacun doit garder son point de vue et une autorité doit trancher.”
Un point de vue partagé par Marion Alecian, la directrice de l’ARAU (Atelier de recherche et d’action urbaines), une autre structure bruxelloise particulièrement active en matière de recours: “La co-construction, c’est un piège à cons. La confrontation des visions est fondamentale de manière à ne pas être instrumentalisé par le demandeur et à perdre sa légitimité de contre-pouvoir. A Bruxelles, il y a tellement peu de dialogue entre les différentes parties que cela crispe et cristallise les tensions. Les riverains sont aujourd’hui consultés bien trop tard dans les procédures. Il faudrait avancer la Commission de concertation au début de la demande de permis. Pour un projet comme Brouck’r (Immobel), dans le centre de Bruxelles, le système de participation citoyenne est le même que si quelqu’un ajoute une véranda à sa maison. Ce n’est pas normal.”
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Sur la Commission de concertation, Philippe Coenraets a en tout cas une autre vision, confirmant toutefois implicitement qu’elle n’est pas à sa place: “j’estime surtout qu’il faut la supprimer! Elle n’existe, par exemple, pas en Wallonie. Elle est aujourd’hui davantage une chambre de règlements de compte. La co-construction n’est possible que pour le volet planification. Et non pour les projets immobiliers.”
Cadrer les recours
La situation actuelle n’arrange donc personne. Les promoteurs estiment que les espaces accordés aux citoyens pour s’exprimer sont suffisants, voire doivent être davantage encadrés. Alors que les riverains ou autres associations estiment que leur voix n’est pas suffisamment entendue. “Avec une réunion d’information, une enquête publique et une Commission de concertation (du moins à Bruxelles, Ndlr), les citoyens disposent d’un certain espace pour se faire entendre, lance Rudy Dupont, partner auprès du cabinet d’avocats Allen & Overy Belgique. D’autant qu’ils ont des possibilités de recours. Renforcer leur présence me semble compliqué. Le demandeur doit rester maître de sa demande. Et les autorités doivent à un moment trancher dans l’intérêt général, sinon la situation est sans fin.”
Cette question de la place de la participation citoyenne reste en tout cas centrale. D’autant que les politiques veulent l’accentuer. “Il est toujours difficile de déterminer la place que devraient avoir des citoyens dans une demande de permis d’urbanisme, lance Pierre-Alain Franck. Une consultation citoyenne via des ateliers paraît plus adéquate pour des questions de planification que sur des projets immobiliers précis. Car pour ces derniers, à quel moment estime-t-on que les citoyens sont représentatifs de l’intérêt général? Ceux qui sont favorables ne se déplacent pas. Il faut donc trouver un modus operandi qui satisfait le plus grand monde.”
Si certains promoteurs ont, à un moment donné, évoqué du bout des lèvres la possibilité de responsabiliser davantage ceux qui déposent des recours en mettant en place un dédommagement pour les recours abusifs ou en augmentant le tarif pour déposer un recours – pour 25 euros, il est déjà possible de déposer un recours administratif auprès du ministre régional (permis unique ou d’environnement), ces propositions ont été vite remballées par les avocats spécialisés. “Quand on lit la Constitution belge et les règlements internationaux, restreindre ces droits est tout bonnement impossible et politiquement intenable, précise Rudy Dupont. A vrai dire, il y a peu de solutions. La société devient de plus en plus clivante et cela rejaillit également dans le cadre de projets qui modifient l’environnement.”
La société devient de plus en plus clivante et cela rejaillit également dans le cadre de projets qui modifient l’environnement.”
Rudy Dupont, avocat
Transparence et communication
Du coté des promoteurs, la question reste en tout cas centrale. Même si les perspectives de solution sont plutôt minces. “Cette question de la participation citoyenne est un débat délicat, qui touche beaucoup d’aspects, explique Stéphan Sonneville, le CEO d’Atenor, grand habitué des recours en tous genres contre ses projets immobiliers. Certains décident de déposer un recours contre un projet car ils ne se sentent pas écoutés. Or, ce n’est pas cela la démocratie participative. Ce n’est pas la minorité qui doit décider. Actuellement, l’état d’esprit général est de vouloir voir son point de vue s’imposer quoi qu’il arrive, d’estimer qu’il est le meilleur et que les promoteurs ne pensent qu’à l’argent. C’est une vision très manichéenne. Des procédures existent et il faut les respecter. Il ne faut plus changer les règles aujourd’hui mais plutôt faire accepter certains principes démocratiques et simplement faire respecter les règles en vigueur.”
A Namur, le projet de centre commercial situé juste en face de la gare (parc Léopold) a longtemps fait l’objet d’une vive opposition locale. La Ville a même été jusqu’à organiser une consultation citoyenne sur l’opportunité de construire ce centre commercial. S’en sont suivis des ateliers urbains pour préciser les souhaits des Namurois. De quoi permettre au nouveau propriétaire, Besix Red, d’avoir une vue plus précise des désidératas locaux. Et d’en ressortir un projet mixte présenté fin janvier, bien différent des premières versions. “La clé pour tout développement immobilier, c’est de faire preuve de transparence au plus tôt sur le projet, estime Raphaël Legendre, directeur Belgique de Besix Red. Donner le plus d’information en amont est essentiel. Cela permet d’évacuer les doutes et les fausses rumeurs. C’est là que le bât blesse actuellement dans la plupart des projets immobiliers: la communication est inadaptée. Chez Besix Red, nous avons décidé de déployer cette stratégie dans la plupart de nos développements. Et cela semble aller dans le bon sens. D’autant plus quand les projets sont vertueux et apportent une plus-value au quartier. Comme l’est l’immeuble Cosmopolitan dans le quartier Sainte-Catherine à Bruxelles ou pourrait l’être le projet mixte développé à Namur. Ils répondent aux besoins et aux enjeux locaux. Je le répète souvent à nos détracteurs: il faut arrêter de voir les projets pour ce qu’ils sont mais pour ce qu’ils font. Des personnes mécontentes, il y en aura toujours. Reste que je suis certain qu’il est possible de diminuer les risques et de trouver des solutions équilibrées qui conviennent à chacun.”
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