Huit exportateurs sur dix souffrent de la hausse des prix énergétiques

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L’énergie impacte plus lourdement nos exportations que la guerre en Ukraine ou les ruptures d’approvisionnement, indique notre baromètre des exportateurs. Quarante pour cent des entreprises ont déjà dû renoncer à un projet à l’export à cause des prix énergétiques.

L’effondrement attendu n’est pas venu. Certes, la confiance des exportateurs atteint son niveau le plus bas en sept baromètres Credendo-Roularta mais l’indice reste au-dessus de la barrière symbolique du 5/10 et il est à peine plus bas qu’en 2016 et 2020. Face à la croissance des prix énergétiques, aux ruptures d’approvisionnement de certaines matières, à la plus forte inflation depuis les années 1970 et, bien entendu, au déclenchement d’une guerre aux portes de l’Europe, cette note de 5,5/10 paraît finalement plus qu’encourageante.

“Sur les foires et salons, dans les missions économiques, nous ressentons cet esprit offensif de nos exportateurs, confie Pascale Delcomminette, la CEO de l’Agence wallonne à l’exportation (Awex). L’économie se contracte et cela sera sans doute encore le cas l’an prochain mais ils se projettent déjà au-delà et s’investissent pour conquérir de nouveaux marchés.” Les répondants à notre baromètre sont ainsi un peu moins nombreux que ces dernières années à craindre une stagnation des exportations d’ici 2025. Ils ne tablent pas sur des hausses exceptionnelles mais ils sont bien dans une optique de croissance. “Quand tant de problèmes s’accumulent, soit on s’effondre, soit on finit par se dire que ça va passer, qu’il y a toujours une solution à tout, abonde Olivier Willocx, CEO de Beci. Je sens un peu de cela dans le climat actuel. Après la guerre, à un moment donné, il y a la paix et certains anticipent peut-être les opportunités.” Serait-ce donc pour cela que 4% des répondants estiment que la Russie offre de belles opportunités pour les exportateurs belges? Olivier Willocx invite toutefois à la prudence dans la lecture statistique: le 5,5 est une moyenne et un quart des répondants ont mis un indice de confiance entre 1 et 4. “Ce sont des entreprises qui ne savent pas très bien vers où l’on va, dit-il. Voir que 25% des entreprises sont dans cet état d’esprit, c’est inquiétant.”

Huit exportateurs sur dix souffrent de la hausse des prix énergétiques

Les pays limitrophes, et plus largement l’Union européenne, demeurent les premières cibles des exportateurs belges. Le baromètre révèle un net recul des ambitions affichées vers l’Asie ainsi que le Proche et Moyen-Orient. “A long terme, l’Asie reste pourtant un moteur de croissance, il ne faudrait pas trop se replier, prévient Nabil Jijakli, deputy CEO de Credendo. Je suis par ailleurs surpris que les exportateurs n’évoquent pas plus d’opportunités, à court terme, vers les pays producteurs de matières fossiles et qui bénéficient donc de l’actuelle envolée des prix.” On s’étonne par ailleurs que l’Amérique du Nord ne progresse pas, alors que la dépréciation de l’euro par rapport au dollar devrait avantager les exportateurs européens. “Nous relançons des actions vers la zone dollar, précise à cet égard Pascale Delcomminette. L’euro faible nous apporte un atout de compétitivité. Nous devons l’utiliser pour appuyer la diversification géographique de nos exportations.”

Huit exportateurs sur dix souffrent de la hausse des prix énergétiques

Répercuter les prix de l’énergie

Cet atout est toutefois tempéré par l’explosion des coûts énergétiques qui impacte lourdement les exportations: 83% des exportateurs estiment subir un impact négatif des prix énergétiques et 40% ont même dû renoncer à des projets d’exportation à cause de cela. “Je comprends que cela tétanise des exportateurs, concède Olivier Willocx. Les prix de transport explosent et cela va peut-être inciter des entreprises à chercher à produire plus localement. Je suis cependant convaincu que, à terme, la volatilité des prix énergétiques est bien plus perturbante que leur niveau. Une entreprise peut s’organiser pour répondre à des prix élevés mais c’est beaucoup plus difficile de répondre à d’incessantes variations de prix. Si je dois livrer un produit dans six mois, quel sera le prix de l’énergie à ce moment-là? Cette incertitude-là paralyse l’économie. Je ne pense pas que les exportateurs aient envie de jouer sans cesse au poker.”

Nabil Jijakli (Credendo)
Nabil Jijakli (Credendo)© pg

Deux répondants sur trois disent avoir pu répercuter une partie de la hausse du coût énergétique dans leurs prix et un quart envisagent de le faire. Bref, à peu près tout le monde compte revoir ses prix. “Je lis cela comme une illustration du pragmatisme belge, nuance le CEO de Beci. Ça veut juste dire ‘on va essayer’.” “Tout dépend vraiment de qui sont vos clients, ajoute Edward Roosens, l’économiste en chef de la FEB. Essayez donc de dire à Walmart ou à Tesco que vous augmentez vos prix de 20%: vous n’aurez plus beaucoup de commandes. Ce sera très compliqué de répercuter les surcoûts dans les prix.” Surtout si vous voulez aussi répercuter l’impact de l’indexation des salaires. Trois répondants sur quatre confirment que l’indexation impactera leurs perspectives à l’exportation ; 11% parlent même d’un impact “énorme” et 37% d’un impact “significatif”.

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Un approvisionnement toujours aléatoire

L’an dernier, notre baromètre mettait le focus sur l’approvisionnement et les chaînes de valeur. Manifestement, la situation ne s’est pas améliorée sur ce plan: 69% des répondants disent avoir subi des problèmes de livraison de la part de leurs fournisseurs au cours des six derniers mois et 60% envisagent de revoir leurs chaînes d’approvisionnement, essentiellement dans une optique de diversification et de rapprochement des fournisseurs. “La crise du covid nous a poussés à revoir la supply chain et la guerre en Ukraine en remet une couche, explique Pascale Delcomminette. Trouver de nouveaux points de sourcing pour les entreprises fait désormais partie de nos missions. Nous les aidons à diversifier leurs fournisseurs et redéfinir la manière de contractualiser à l’international.”

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“Au vu du prix des conteneurs et de l’incertitude quant aux délais, j’entends une réelle volonté des entreprises de produire plus localement, dans le sud de l’Europe ou en Afrique du Nord, ajoute Olivier Willocx. Par ailleurs, il faudra regarder l’évolution du commerce avec les pays géographiquement proches de la Russie et de l’Ukraine. La Pologne, la Turquie, Chypre ou certains pays d’Asie centrale pourraient récupérer des marchés. A chaque guerre ou chaque blocus, on finit par retrouver les produits autre part.” Il ajoute un autre élément, plus surprenant, à l’analyse: les bugs dans les chaînes d’approvisionnement auraient augmenté avec le… télétravail. Quand un grain de sable se glisse dans le processus et qu’il faut improviser dans l’urgence une réponse à un colis endommagé, c’est apparemment beaucoup plus compliqué de réagir efficacement à distance.

Olivier Willocx (Beci)
Olivier Willocx (Beci)© belgaimage

Si l’an dernier les formalités administratives étaient pointées comme premier frein aux exportations belges, en 2022 les coûts de production reprennent la première place pour cette question récurrente de notre baromètre (35%). Il est intéressant de constater la nette progression des risques de non-paiement (26%), des risques politiques (19%) ou des risques de change (14%). “Le risque politique revient clairement à l’avant-plan, analyse Nabil Jijakli. Cela se voit à travers la question sur les dommages subis à l’exportation, dont on retrouve en bonne place parmi les causes: les variations des taux de change, les guerres ou révolutions, les ruptures arbitraires de contrat.” Et en bonne logique avec ce constat, les exportateurs concèdent chercher un peu plus d’aide qu’auparavant auprès de leur banquier (29%) ou de leur assureur-crédit (13%).

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Les exportateurs délaissent les réseaux sociaux

Pour la première fois, le baromètre Credendo-Roularta constate un net recul de l’usage d’internet pour prospecter de nouveaux marchés à l’export. Seuls 43% des exportateurs, contre 60% l’an dernier et plus de 50% les autres années, citent le site web comme outil de prospection pertinent. Pour les médias sociaux, la proportion retombe à 19% (contre plus de 30% précédemment). Les outils digitaux avaient évidemment été privilégiés durant le covid et un rééquilibrage était attendu. Mais sans doute pas au point de retomber fort en dessous des chiffres de 2019. “Nous sommes sortis de l’ère covid, commente Nabil Jijakli. Les relations réelles prennent le pas sur les relations virtuelles. C’est cohérent avec un certain souci de diversification de l’approvisionnement. Les entreprises cherchent des fournisseurs plus proches et qu’ils peuvent donc plus facilement aller visiter.”

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Corollaire, il semble y avoir un retour en grâce des missions économiques, de la prospection sur place et, dans une moindre mesure, des foires et salons internationaux. “Nous sentons cet enthousiasme dans les dernières missions, que ce soit au Japon, en Arabie saoudite ou aux Etats-Unis, se réjouit Pascale Delcomminette. Le besoin de retrouver des contacts directs est évident. C’est irremplaçable pour établir des liens de confiance avec de nouveaux partenaires. Quant aux salons, s’ils sont un peu moins fréquentés qu’autrefois, ils ont à mon avis gagné en qualité. Les gens ne se déplacent plus juste pour voir, ils viennent avec des buts économiques précis.”

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Climat: les entreprises prêtes à agir

Même si d’autres éléments impactent plus leur business à court terme, les entreprises exportatrices confirment leurs préoccupations climatiques. Elles estiment, à une quasi unanimité, qu’elles doivent agir sans attendre des réglementations politiques. “Il faut inciter et aider les entreprises à investir dans la transition mais il faudra aussi des contraintes, affirme Nabil Jijakli (Credendo). Les deux vont de pair.” Il se réjouit de la présence de gros acteurs en Belgique comme John Cockerill dans l’hydrogène ou Deme dans l’éolien et salue le fait que “la lutte contre le réchauffement demeure une constante du baromètre, même si elle est moins mise en avant cette année”. “L’action climatique devient de plus en plus une orientation claire dans les business plans, ajoute Pascale Delcomminette (Awex). Certes, ce ne sont encore parfois que de petits pas mais le déclic est là. Le développement durable est au coeur de l’action de l’Awex, nous avons des entreprises de pointe dans les technologies environnementales, le traitement de l’eau ou des déchets.”

Le baromètre

Enquête en ligne réalisée par Roularta du 24 octobre au 9 novembre auprès de 894 entreprises belges. 35% des répondants sont des CEO et 21% des membres de comité de direction.

Huit exportateurs sur dix souffrent de la hausse des prix énergétiques
Huit exportateurs sur dix souffrent de la hausse des prix énergétiques
Pascale Delcomminette (Awex)
Pascale Delcomminette (Awex)© houet

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