Comment eFarmz digère sa croissance monstre
La plateforme de commerce en ligne bio et local a multiplié son chiffre d’affaires par trois depuis le début de la crise. Comment cette pépite de la “foodtech” belge supporte-t-elle une croissance aussi forte et rapide? En investissant massivement, histoire de “prendre le marché” avant qu’il ne soit trop tard.
Muriel Bernard n’arrête pas. Cet après-midi encore, elle le passe à auditionner des candidat(e)s sur Zoom. En quête de son(sa) nouveau(elle) responsable des opérations. Au total, depuis la rentrée de septembre, 20 nouveaux visages auront ainsi rejoint l’entreprise bruxelloise active dans l’e-commerce bio et local, tant dans des fonctions opérationnelles (préparation des commandes notamment) que de management. “Lors du premier confinement, nous avons fait appel à de nombreux intérimaires recrutés dans l’urgence, explique la fondatrice et CEO d’eFarmz. Les profils n’étaient, du coup, pas toujours adéquats et nous avons dû corriger le tir. Au niveau du management, une même personne pouvait précédemment gérer plusieurs pans du business. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Nous avons engagé huit personnes en plus et disposons aujourd’hui d’une vraie équipe spécialisée.”
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La jeune boss n’avait absolument pas prévu de devoir gonfler ses équipes aussi rapidement. Mais la crise a eu un effet d’accélération monstre sur ses activités. EFarmz a multiplié son chiffre d’affaires par trois depuis le début de l’année, atteignant les 10 millions d’euros (prévision 2020). L’entreprise peut aujourd’hui compter sur une base de 40.000 clients. C’est bien simple: en quelques semaines, elle a réalisé ses objectifs prévus sur deux ans.
Petit retour en arrière.: nous sommes en mars 2020, à l’annonce du premier confinement. “En une semaine, nos ventes ont explosé, explique Muriel Bernard. Les gens se sont précipités sur l’e-commerce.” En sous-capacité, l’entreprise se voit alors forcée de bloquer les commandes sur son site, d’autant que les équipes doivent gérer en parallèle la fermeture de certains fournisseurs ainsi que de plusieurs points dépôts, nécessitant de renforcer la livraison à domicile. “Nous avons dû installer sur notre site un système destiné à contrôler les flux et les volumes, affirme notre interlocutrice. Nous n’acceptions qu’un nombre limité de commandes par jour. Le problème, c’est que dès que nous rouvrions le site, trop de personnes commandaient en même temps, ce qui nous a amenés à devoir créer des files d’attente. Une fois que nous avions enregistré le nombre maximum de commandes pouvant être traitées, nous étions obligés de fermer le site pendant plusieurs jours. C’est vraiment dommage que nous n’ayons pas eu la capacité suffisante, nous aurions pu sinon multiplier nos ventes par cinq.”
Repérer les points de friction
Au-delà de la manière dont l’entreprise a dû s’adapter dans l’urgence, tout l’enjeu est aussi de savoir comment, en tant que jeune PME, gérer sur le long terme une croissance si importante et rapide. “Nous avons énormément appris”, assure Murielle Bernard, qui explique que l’intérêt de voir son business s’accélérer aussi rapidement est surtout de repérer en un clin d’oeil les différents points de friction dans les process.
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L’un des premiers obstacles était évidemment le manque d’espace au sol pour gérer l’afflux de commandes. Lors du premier confinement, eFarmz disposait de deux petits entrepôts de 300 m2. L’entreprise en a bien trouvé un troisième de taille similaire au mois de juin mais cela restait clairement insuffisant, et surtout très peu pratique. Depuis fin octobre, toutes les opérations ont migré vers un tout nouvel entrepôt de 1.800 m2 acquis sur emprunt et situé à quelques centaines de mètres des anciennes installations, à Anderlecht. “Il est beaucoup mieux organisé et nous permettra de grandir encore”, se réjouit la CEO. Les lieux sont divisés en trois zones bien distinctes: une zone de réception des marchandises et d’envoi des commandes, une autre permettant de préparer les paniers et les box repas, et enfin la traditionnelle zone de picking (préparation des commandes). “Nos bureaux sont situés en hauteur afin de ne pas mordre sur l’espace de préparation, et nous avons doublé notre surface de frigos”, ajoute la responsable.
Autre point de friction découvert lors du premier confinement: l’absence de système destiné à assurer une qualité optimale du picking et d’ainsi éviter les erreurs. “Avant, le picking et le contrôle de la qualité se déroulaient en une seule fois, par une seule personne, explique notre interlocutrice. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Grâce aux nouveaux engagements, lors de la préparation d’une commande, une personne s’occupe du picking tandis qu’une autre est chargée de l’emballer et de contrôler encore une fois la qualité. Cela permet de disposer d’un contrôle en plus. Par ailleurs, alors que la réception des marchandises était auparavant effectuée par différentes personnes, cette opération est aujourd’hui entre les mains d’un seul collaborateur chargé de vérifier les produits. De manière générale, nous avons mis en place des audits qualité à différentes étapes de la chaîne.”
Enfin, le boom des commandes au printemps a fait apparaître l’insuffisante digitalisation des opérations. “Nous travaillons encore avec pas mal de papier, avoue Muriel Bernard. Cela devient compliqué. Nous préparons pour le moment un gros projet de digitalisation, l’objectif étant d’informatiser tout ce qui peut l’être.” Le but n’est pas du tout d’automatiser la préparation des commandes, mais plutôt de suivre les produits à la trace depuis leur arrivée dans l’entrepôt jusqu’à leur livraison chez le client. “Nous devons pouvoir scanner les articles dès leur réception pour assurer leur suivi de manière informatique”, explique Muriel Bernard.
Rétention des clients
EFarmz est aujourd’hui prêt à supporter sa très forte croissance sans se retrouver en sous- capacité comme ce fut le cas au printemps. L’entreprise ne devrait plus fermer son site, assure sa fondatrice. Le scénario du deuxième confinement est toutefois quelque peu différent. “Nous avons encore enregistré une croissance de 30% en novembre, mais nous ne sommes plus dans un contexte d’explosion des ventes comme en début d’année, affirme la patronne. Les consommateurs sont moins paniqués et ne font pas de réserves.”
10 millions: en euros, le chiffre d’affaires d’eFarmz attendu pour 2020.
L’un des plus grands défis pour cette jeune entreprise créée en 2013 est forcément la rétention des (nombreux) clients nouvellement acquis durant cette période. Mais Muriel Bernard se veut optimiste. “Nous n’avons pas constaté de chute importante de nos ventes depuis le déconfinement, dit-elle. Une grosse partie des clients reste et nous sommes aujourd’hui en train de faire de la croissance supplémentaire sur ce volume acquis au printemps. Maintenant, il est vrai que la rétention des clients reste notre plus grand challenge. C’est évidemment plus simple avec nos abonnés mais, de manière générale, nous devons continuer à innover en proposant de nouveaux produits chaque semaine et en assurant une qualité de service impeccable. Grâce à nos newsletters personnalisées, nous pouvons en outre relancer les clients et comprendre pourquoi, par exemple, ils ne commandent plus.”
Toucher un public plus large
Ayant engagé huit nouvelles recrues au sein de son équipe de management, eFarmz voit déjà plus loin. L’entreprise ne cache pas ses ambitions: elle veut devenir la plateforme d’e-commerce bio et local de référence en Belgique francophone et toucher un public plus large. “Il faut que nous dépassions les early adopters, affirme Muriel Bernard. Avant la crise, notre croissance était surtout tirée par les box repas. Aujourd’hui, nous constatons un regain d’intérêt pour notre shop, à savoir des clients qui font leurs courses classiques chez nous. Nous sommes d’ailleurs en tain d’élargir notre gamme de produits. Dans les prochaines semaines, 200 nouvelles références viendront s’ajouter à notre offre actuelle.”
Pour se faire connaître, la jeune pousse entend ré-appuyer sur l’accélérateur marketing. “Notre budget en la matière n’a jamais été aussi bas que cette année, mais nous comptons réinvestir, assure notre interlocutrice. Nous sommes même en train d’envisager une campagne télé.” Muriel Bernard se dit soutenue à 100% par son conseil d’administration. “On m’incite à engager et à voir plus loin que mon plan de base, dit-elle. Nous avons dû nous surdimensionner lors de cette crise et nous sommes aujourd’hui prêts pour notre deuxième phase de croissance, à savoir les 20 millions d’euros de chiffre d’affaires l’an prochain. Essayons de défendre l’e-commerce belge! Notre pays a peut-être raté le train de l’e-commerce non alimentaire, mais pas celui de l’alimentaire. C’est maintenant qu’il faut investir. Nous sommes prêts, et voulons prendre le marché.”
Côté financement, la responsable ne se fait d’ailleurs pas trop de souci. “Nos actionnaires historiques nous soutiennent”, assure-t-elle. Ceux-ci avaient déjà participé à une levée de fonds début mars. Destiné au départ à être investir dans le marketing, cet argent frais l’a finalement été dans l’infrastructure, vu le contexte. Aujourd’hui, l’entreprise finalise son plan financier pour 2021. “Avec une croissance comme la nôtre, impossible d’avoir un problème de trésorerie, d’autant que nos clients nous paient avant que nous ne fassions de même avec nos fournisseurs, conclut Muriel Bernard. Notre situation est on ne peut plus saine. Si nécessaire, je pourrai trouver du financement…”
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