Des parkings sur une voie de garage

A Genk, le parking de l'hôpital Oost-Limburg a fait l'objet d'une démarche d'écoconception. L'optimisation des portées structurelles offre notamment une grande flexibilité d'aménagement. © Archipelago

Les promoteurs immobiliers restent parfois avec près de 30% de places de parking sur les bras lors d’un nouveau projet résidentiel. La difficulté de les commercialiser combinée à une obligation d’en construire en nombre lors de la délivrance d’un permis les obligent à trouver des solutions alternatives pour ne pas sombrer financièrement.

Il en reste cinq. Invendues depuis 15 mois. Elles sont éparpillées au premier niveau de ce parking souterrain situé en plein centre de Bruxelles. Juste en dessous d’un immeuble résidentiel de 35 appartements. Un capital au point mort qu’il sera difficile de récupérer tant les candidats acquéreurs ne se pressent plus au portillon. Le vélo est devenu le mode de déplacement quotidien pour certains. Alors que le second véhicule familial a été définitivement délaissé par d’autres.

De plus en plus de promoteurs sont confrontés à un surplus de places de parking dans le développement de leur projet immobilier neuf. L’obligation de respecter un certain ratio de places à créer par logement entraîne régulièrement un déséquilibre entre offre et demande. Laissant de nombreux emplacements sur le carreau. De quoi plomber quelque peu le business plan du promoteur et rogner sur ses marges. Une situation que l’on retrouve un peu partout, d’Anvers à Bruxelles en passant par Namur. “Pendant 15 ans, je n’ai pas développé un seul projet immobilier sans qu’il ne me reste des places de parking sur les bras, se souvient Laurent Malard, ancien développeur immobilier de Bouygues, aujourd’hui directeur de CIT Red. Les ratios en la matière sont bien trop élevés.”

L’obligation de respecter un certain ratio de places de parking à créer par logement entraîne un déséquilibre entre offre et demande.

“C’est une situation que l’on observe dans 90% de nos projets résidentiels, confirme Aubry Lefebvre, administrateur délégué de Thomas & Piron Bâtiment. Il y a, en moyenne, entre 10 et 25% des places de parking que nous ne parvenons pas à vendre.” Sven Potvin, directeur général d’Antonissen Group, partage le même sentiment du côté d’Anvers.

Cette problématique concerne tant les projets résidentiels que de bureau. Elle est liée le plus souvent à des règlements inadaptés aux nouveaux modes de mobilité, à des velléités politiques antinomiques, voire aux deux. “Les projets immobiliers sont aujourd’hui confrontés à des ratios parking/logement dépassés, relève Aubry Lefebvre. Nous faisons d’ailleurs face à une non-prise en compte volontaire de cette évolution de mobilité par certaines communes. Les bourgmestres ou échevins savent très bien que la mobilité est le noeud principal lors d’une enquête publique ou d’une commission de concertation. En maintenant des ratios de parkings élevés, ils se couvrent de tous les risques car ils peuvent affirmer qu’ils ont pensé aux riverains. Or, il s’agit d’une vision à court terme qui ne prend pas en compte le coût sociétal d’une telle décision.” Un constat partagé par Denis Albertyn, directeur général de Bouygues Immobilier Belgique, qui regrette le manque de vision de certains édiles. “Obliger des promoteurs à construire deux emplacements de parking est incompréhensible, regrette-t-il. De nombreuses communes l’imposent pourtant encore. Et cela alors que l’on ne cesse de parler de voitures partagées, de mobilité douce ou de projets situés à proximité de gares.”

L’ambition “Good Living”

Ce débat autour des places de parking est devenu aujourd’hui incontournable. Si bien que le nombre de places octroyées détermine désormais le nombre de logements qui seront construits. “C’est le ratio de parkings qui fixe aujourd’hui la densité, tranche Aubry Lefebvre. C’est un peu le monde à l’envers.” Un ratio qui est variable d’une commune à l’autre. Il est de 1,05 à 1,8 à Anvers, selon la localisation ou la taille l’appartement. A Malines, c’est entre 1,3 et 1,5 par unité résidentielle. Alors qu’à Waterloo, ce ratio grimpe à deux places par logement. Chaque commune possède son propre règlement en Wallonie et en Flandre. A Bruxelles, tous les yeux sont tournés vers le Règlement régional d’urbanisme (RRU). Ce texte, datant de 2006, détermine le ratio de places de parking à prévoir lors d’un projet. Alors que sa révision était en voie de finalisation, le gouvernement bruxellois a décidé en mars dernier de repartir pour un tour, histoire de l’adapter aux nouveaux besoins apparus suite au covid. Le nouveau texte (baptisé “Good Living”) est attendu d’ici 2023. “La révision qui était sur la table était pourtant très intéressante et démontrait de réelles avancées en la matière, lance Pierre-Alain Franck, administrateur à l’Upsi. Cela allait clairement dans le bon sens.” D’après les premiers échos que nous avons obtenus, les changements envisagés dans le plan “Good Living” devraient être mineurs. On y retrouvera toujours une diminution des normes de stationnement en dehors des voiries, qui dépendront de trois zones (A, B, C) définies en fonction des dessertes de transports en commun. Par exemple, un appartement de 1 chambre situé en centre-ville ne devrait avoir que de 0,5 à 0,75 place par logement. Alors que ce type d’appartement situé en zone B devra avoir entre 0,75 et 1 place par logement. L’idée globale étant de diminuer le nombre d’emplacements en voirie. Ajoutons que la mutualisation des parkings est également encouragée, tout comme l’augmentation de la place dédiée au parking vélo (un emplacement par chambre). Sans oublier que l’obligation d’avoir un accès piéton directement relié à la voirie pour les parkings de plus de 25 places.

A Malines, une tour de stationnement multifonctionnelle a été construite sur l'ancien site d'Eandis. On y retrouve un parking
A Malines, une tour de stationnement multifonctionnelle a été construite sur l’ancien site d’Eandis. On y retrouve un parking “réversible” qui pourra être adapté ou réaffecté en fonction d’une évolution vers des véhicules partagés, l’automatisation des transports, voire la transformation de certains plateaux en bureaux.© POLO Architects, Archipelago Architects et Vogt Landscape architects

A l’heure actuelle, chaque promoteur tente de négocier sa petite réduction de ratio. L’un à 0,7, l’autre à 0, 8. Il en ressort certaines tensions. “On essaye de négocier un ratio de 0,7 place par logement, en ajoutant une station de voitures partagées, explique Denis Albertyn. Il faut aujourd’hui être innovant dans les projets.” Alors que Philippe Antoine, directeur général de l’Expansion économique chez Citydev.brussels, tente même d’être un peu plus gourmand: “Pour notre part, nous avons déjà réussi à négocier un ratio global de 0,8 dans le cadre de nos demandes de permis. En souhaitant atteindre le ratio de 0,6, qui correspond davantage à notre vision de la mobilité de demain. Nous espérons que nous serons écoutés. Car après un an, si les places de parking ne sont pas vendues, elles sont mises en vente auprès des riverains. Et là, le taux de TVA grimpe de 6 à 21%”.

L’alternative BePark

La plupart des promoteurs ne lient pas d’office appartement et place de parking lors de la vente. Cette possibilité est laissée en option. Même si, dans certains cas, pour des appartements de trois chambres par exemple, ils essayent de lier les deux, histoire de rentrer quelque peu dans leurs frais. “Quand ils possèdent un appartement à vendre à 300.000 euros, la plupart des promoteurs préfèreront vendre l’appartement et laisser les 30.000 euros que nécessite un parking pour plus tard (la construction d’une place coûte entre 20.000 et 40.000 euros et est le plus souvent vendue au prix coûtant, Ndlr), détaille Aubry Lefebvre. Sauf qu’ils ne récupéreront sans doute jamais ce montant.” Sans parler du fait que cette problématique entraîne son lot d’inconvénients. Notamment une gestion interne plus importante puisqu’il faut gérer les emplacements vides de manière à éviter qu’ils ne soient occupés par d’autres (et donc installer des arceaux), gérer les bornes de recharge électrique, etc. Un acteur a saisi la balle au bond et se frotte les mains de cette situation. BePark, société fondée en 2011 par Julien Vandeleene, propose aux promoteurs de rentabiliser leurs espaces de parking vides en les partageant avec des particuliers et des entreprises. Une solution alternative qui prend enfin de plus en plus d’ampleur. “La situation actuelle à Bruxelles nous offre de nouvelles opportunités, confie le CEO de BePark. La plupart des promoteurs ne laissent plus aujourd’hui 10 places libres sans faire appel à nous. Les besoins du marché ne correspondent pas aux parkings qui sont construits. Car la hausse du nombre d’investisseurs, et donc de locataires, se traduit par une hausse de la mobilité alternative. Dans les nouvelles promotions immobilières, le parking est heureusement construit de manière à être un socle indépendant. C’est important pour faciliter la mutualisation des espaces. Cette mixité d’utilisateurs amène aussi un contrôle social. L’idée est de proposer aux promoteurs de reprendre leur place et de leur offrir un rendement locatif.”

La diminution de 65.000 places de parking prévue par le gouvernement bruxellois devrait également faire l’affaire de BePark. “Actuellement, il n’y a pas de problèmes de parking mais un problème d’information pour les usagers, estime Julien Vandeleene. Il y a un million de places dans des parkings à Bruxelles, dont 260.000 dans des immeubles de bureau et 460.000 places en rue. Il faut simplement mieux informer les automobilistes. Si nous y parvenons, nous ferons un grand pas vers une meilleure mobilité.”

Prévoir des usages multiples

Les parkings de demain seront partagés, agiles, connectés et assez intelligents pour accueillir les voitures autonomes. Ils devront également pouvoir être reconvertis si leur utilisation n’est plus suffisante. Un changement d’affectation à prendre en compte dès la conception architecturale. Des éléments seront notamment mis en avant dans le futur document réglementaire “Good Living” prévu en 2023. D’après les premiers éléments qui ressortent du gouvernement bruxellois, la convertibilité des bâtiments existera désormais au niveau réglementaire. Un permis d’urbanisme pour des bureaux ne sera par exemple délivré que si l’on prévoit des parkings en gestion partagée. Alors que pour la transformation éventuelle de bureau en logement, les plans qui seront déposés devront permettre une convertibilité qui soit conforme au code de logement en termes de traversant et de luminosité.

Autre exemple, différent, à Liège. Dans le cadre du projet d’écoquartier Rives Ardentes, Willemen, CIT Blaton et Jan De Nul vont construire 1.325 logements et 1.000 places souterraines de parking. Soit un ratio de 0,6 place par logement. “La nouveauté, ce sera surtout que les parkings seront construits en fonction des besoins, de manière progressive, explique Laurent Malard, directeur de CIT Blaton. Si nous ne parvenons pas à en vendre, nous réduirons ou supprimerons les futurs parkings de manière à éviter toute construction ou dépense inutile. On mise également beaucoup sur la mutualisation des espaces de stationnement.” Les parkings seront également conçus de manière à pouvoir être reconvertis à l’avenir. “Dans 10 ans, si la mobilité évolue, il faudra pouvoir se retourner. Il faut donc songer dès maintenant à la réversibilité de ces espaces. Cela passe, par exemple, par la conception de plafond plus haut, de quoi permettre des livraisons ou du stockage de marchandises.”

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