Comment la “proptech” va bouleverser l’immobilier
L’innovation n’est pas vraiment le premier mot qui vient à l’esprit quand on parle d’immobilier. Un secteur plutôt conservateur, le plus souvent réfractaire au changement, qui commence toutefois à enfin opérer son virage digital. Près de 130 start-up belges gravitent désormais dans le monde immobilier. De quoi réinventer d’ici peu tout un modèle ?
Mieux vaut tard que jamais. Le petit monde de l’immobilier belge a enfin effectué, ces derniers mois, le grand saut vers le numérique. Il a fallu le pousser dans le dos, tant ce secteur pour le moins conservateur était assis sur ses certitudes. Et sur ses vieilles habitudes, qui continuent toutefois de faire recette. Sauf que rien ne résiste vraiment au digital. Sauf que les millennials sont passés par là. Sauf que les pratiques et les mentalités sont en train de changer. Et qu’il faut donc bien s’adapter à de nouvelles tendances. Résultat : les dizaines de start-up qui gravitent autour de l’immobilier commencent à être entendues par les grands promoteurs. Des partenariats se nouent, des investissements s’effectuent, des nouvelles pratiques voient le jour. La mutation numérique semble donc avoir amorcé son réel départ.
La propriété sera de plus en plus remplacée par le droit d’usage, que ce soit en termes d’habitat ou de mobilité.
En immobilier, on parle de proptech ou de real estech. Le même dérivé que fintech (finance), foodtech (alimentation) ou encore medtech (médical). ” Il s’agit d’un terme collectif qui est utilisé pour les start-up qui fournissent des produits innovants, technologiques ou des modèles nouveaux pour les marchés immobiliers “, explique Vincent Pavanello, le fondateur du réseau Real Estech Europe et co-auteur de L’immobilier demain, la real estech des rentiers aux entrepreneurs. Un ouvrage qui balise la manière dont la révolution numérique va bouleverser l’immobilier à l’avenir.
130 start-up et 200 millions de chiffres d’affaires
Si la France semble avoir encore quelques longueurs d’avance, la Belgique dispose depuis l’an dernier d’un PropTech Lab, une sorte de fédération des start-up actives dans l’immobilier et dont l’objectif est de soutenir et encadrer la transition digitale du secteur. Selon elle, on recense aujourd’hui en Belgique plus de 130 start-up dans le secteur, qui génèrent ensemble un chiffre d’affaires de près de 200 millions d’euros et emploient environ 1.850 personnes. Ces start-up sont actives dans le monde de la construction, des bâtiments intelligents, des locations courte et longue durées, du market place, du property management, de la mobilité, des visualisations 3D ou encore de l’investissement via crowdfunding. Bref, elles occupent tous les pans du secteur et ont toutes pour objectif de simplifier la vie des différents acteurs de la chaîne immobilière. ” Je pense vraiment que nous sommes actuellement dans un momentum, explique Idriss Goossens, fondateur du PropTech Lab. Le monde immobilier est à un tournant de son existence. D’où l’idée d’avoir créé il y a deux ans une plateforme qui met en lien les promoteurs et les start-up actives dans la proptech. Nous sommes vraiment suivis de près puisque notre board est composé des décisionnaires de grandes entreprises telles que Thomas & Piron, ION, Besix Red, Immoweb, AG Real Estate, Realty, Verstraete Development ou encore Re-Vive. Lors de nos premières conférences, une quarantaine de personnes étaient présentes. Nous rassemblons aujourd’hui à chaque fois près de 200 personnes. Des postes sont spécialement créés à cette fin. Comme celui de head of innovation ou de chief innovation officer. La Belgique commence également à avoir de beaux exemples en matière de start-up innovantes. Les promoteurs sont de plus en plus conscients de cette évolution. Ils développent des stratégies spécifiques pour ne pas passer à côté de la montre en or. ”
Cinq stratégies pour les promoteurs belges
Si la France a cinq ans de retard sur les Etats-Unis, deux ans de retard sur la Grande-Bretagne et se trouve au même niveau que l’Allemagne, on peut également dire que la Belgique a deux ans de retard sur la France. Après un essor vertigineux ces dernières années, l’Hexagone a connu une année 2018 de transition avec une consolidation du marché. On y trouve aujourd’hui 420 start-up qui opèrent dans l’immobilier et la construction. Elles ont levé 204 millions en 2018 et cinq start-up ont été rachetées par des grands groupes. ” Cette baisse ne traduit pas un recul dans les perspectives du secteur mais tout simplement une raréfaction des opportunités, note Vincent Pavanello. Les segments les plus faciles à pénétrer ont déjà vu arriver de nouveaux acteurs innovants. Sur d’autres, la concurrence est trop intense pour durer. Ainsi, sur les 12 derniers mois, pas moins de six start-up ont été créées dans le domaine de la garantie des loyers impayés et de la caution locative. ” Un constat que partage Idriss Goossens, son alter ego belge : ” Pour le moment, les promoteurs français sont plus matures dans leur transformation digitale que les promoteurs belges. C’est en grande partie dû à l’intégration, lors de grands projets, du volet innovation dans leurs appels d’offre. Cela a obligé les promoteurs à innover “.
Les promoteurs belges déploient actuellement leur stratégie de cinq manières différentes. Il y a tout d’abord la stratégie d’incubation. Immoweb en est un bel exemple avec son souhait de créer de nouvelles lignes de business. Le site d’annonces immobilières a introduit la blockchain via une nouvelle plateforme destinée à simplifier et à sécuriser l’état des lieux. ” HomeStamp fait appel au timestamping, qui permet d’associer une date et une heure à un événement, précise Idriss Goossens. Immoweb avait racheté un peu plus tôt ConstructR, une sorte de Pinterest du marché belge de la construction. L’idée étant toujours d’être présent à toutes les étapes des projets de construction des candidats bâtisseurs et rénovateurs. L’objectif de cet incubateur est de générer entre 10 et 20% du CA d’Immoweb d’ici 2022. ”
Seconde stratégie, celle de l’accélération. Besix, par exemple, a créé un accélérateur de start-up, qui a pour objectif de générer 50 millions d’euros de revenus supplémentaires d’ici 2022 via trois nouvelles lignes de business. ” Cette stratégie permet de sourcer l’innovation de l’extérieur, en analysant un nombre de start-up, en sélectionnant celles qui intégreront le programme d’accélération, et en les aidant dans leur croissance via du coaching stratégique et une facilitation de l’accès au marché “, fait remarquer Idriss Goossens.
Troisième stratégie, celle de l’innovation sur le terrain. Comme l’a fait AG Real Estate dans le cadre de son projet Scholen van morgen, qui visait à investir 1,5 milliard d’euros dans la construction de 200 écoles en Flandre. ” Nous avons travaillé avec des start-up qui n’étaient pas encore matures, de quoi les façonner en fonction de notre projet et les tester sur le terrain, lance Philippe Monserez, chief design & build officer chez AG Real Estate. Nous n’investissons pas dans des start-up, mais nous accélérons leur développement. Nos projets sont des plateformes de test. Parmi les start-up avec lesquelles nous travaillons, on peut citer Asoreco, Aproplan et Axxerion. Ce segment va exploser à l’avenir. ”
Quatrième stratégie, celle du département Recherche et Développement. A l’instar d’Eiffage Construction, qui avait créé Phosphore – un département de R&D composé d’experts de différentes disciplines qui établissaient une vision sur ce que sera la ville de demain -, Willemen a créé Willemen Innovation Hub, un programme de recherche destiné à encourager l’innovation en interne.
Dernière stratégie, plus classique, celle de l’investissement dans des start-up. On le voit avec des acteurs tels que Matexi à travers le fonds Qaerock. Ils ont notamment investi dans Aproplan, Hoplr, et SweepBright. A l’instar de Bird, le fonds d’investissement de Bouygues Immobilier, leur stratégie est d’investir dans des start-up pour avoir davantage d’agilité et pour déployer celles-ci dans leurs propres projets.
Augmenter la chaîne de valeur
Selon PropTech Lab, il y a aujourd’hui plus de 2.300 start-up actives dans les proptechs en Europe. Et parmi elles, aucune licorne (société valorisée à plus d’un milliard). Les 22 licornes qui sont recensées actuellement dans le secteur proviennent uniquement des Etats-Unis et de Chine. ” La fragmentation du marché européen est le principal frein, explique Idriss Goossens. Chaque pays possède sa langue et sa réglementation. Nous plaidons donc au niveau européen pour unifier ces marchés et définir une législation commune, de manière à faciliter les process et créer des standards industriels, c’est pourquoi nous avons créé PropTech House, la fédération européenne des réseaux proptechs nationaux. ”
Si les perspectives sont nombreuses, que peut-on vraiment attendre de cette digitalisation à l’avenir ? On peut penser que l’offre de services va se multiplier et que les acteurs de l’immobilier vont intégrer de plus en plus de volets différents, de manière à augmenter leur chaîne de valeur. ” Un bel exemple, c’est le courtier Cushman & Wakefield qui rachète Admos, spécialiste en design & build, fait remarquer Idriss Goossens. Cela permet de louer un bureau et d’ensuite proposer de l’aménager et de le décorer. L’idée étant toujours d’offrir un service clé sur porte. “
L’expérience client va également se renforcer. Le consommateur a de nouveaux besoins, il veut une expérience de transparence, d’hyper-connectivité et de lien. La propriété sera de plus en plus remplacée par le droit d’usage, que ce soit en termes d’habitat ou de mobilité. ” La valeur des biens immobiliers dépendra de plus en plus des opérateurs qui les gèrent, conclut Idriss Goossens. Un immeuble qui est doté d’un espace de coworking pourra par exemple voir sa valeur décuplée grâce au branding de l’opérateur. Une nouvelle ère pour l’immobilier est sur les rails. “
Dans leur ouvrage L’immobilier demain, la real estech des rentiers aux entrepreneurs, Robin Rivaton et Vincent Pavanello évoquent les différents bénéfices que pourrait tirer l’immobilier de ce virage numérique. Ils divisent le champ d’actions actuel en quatre segments.
1. Investir plus facilement. Cela passe par un renouvellement des modes de financement, en faisant notamment davantage appel au crowdfunding pour faciliter l’accès aux capitaux. Un promoteur se finance habituellement via les fonds propres, les crédits bancaires et les préventes. L’idée est de faciliter le financement pour répondre aux besoins en matière de logements. ” De nombreuses start-up proposent des solutions pour mieux mettre en relation prêteurs et emprunteurs, lance Robin Rivaton. Cela permet de diminuer le nombre d’intermédiaires. Le crowdfunding immobilier va exploser. Certaines plateformes permettent de mieux apprécier le risque de chaque opération. ”
2. Construire plus vite et moins cher. Moderniser les processus de construction va devenir un enjeu essentiel pour rencontrer les besoins en termes de logements. ” L’utilisation de drones devrait par exemple entraîner des gains de productivité importants pour les outils photographiques de très haute définition, lance Vincent Pavanello. Le BIM ( Building Information Modeling) va faciliter l’organisation des chantiers. Alors que l’industrialisation (révolution des matériaux, maquette numérique et robotisation des usines) doit permettre de répondre à la multiplicité des intervenants. L’automatisation de la production sur site devrait achever cette évolution. ”
3. Reprendre la main sur la gestion des biens. Les technologies numériques devraient permettre aux propriétaires, particuliers ou professionnels de se réapproprier la gestion de leur bien dans l’achat-vente, la gestion locative et la maintenance. Accélérer la transmission d’un bien sera un réel enjeu. Des start-up permettent aujourd’hui, en quelques minutes, d’en savoir davantage sur la qualité d’un bien que l’on va acheter. Avec ce scénario, le rôle des intermédiaires va sérieusement diminuer. Ou alors ils devront se réinventer.
4. Les usages au centre jeu. La plupart des observateurs s’accordent sur cette tendance : dans le futur, l’usage prendra le pas sur la propriété. Cela signifie que la jeune génération préférera – ou n’aura d’autres choix, vu la hausse des prix – louer un bien plutôt que l’acheter. Une manière de consacrer son budget à d’autres priorités et donc de se garantir une liberté d’action. ” La préférence pour l’usage est aussi la conséquence d’une complexification des services accessoires associés à la propriété d’un bien et donc d’une augmentation des coûts en temps et en argent pour les sélectionner et en surveiller la réalisation “, conclut Vincent Pavenello.
Parmi les différents promoteurs actifs sur le segment digital, Besix Red fait office d’élément le plus actif. Il a établi une stratégie de partenariats et de financements avec certaines start-up belges. Une stratégie qui doit lui permettre d’améliorer les échanges avec ses acquéreurs et de mieux répondre à leurs besoins. ” Notre ambition est vraiment d’anticiper les futures tendances de l’immobilier et de proposer des services uniques et innovants qui peuvent faciliter le quotidien de nos clients, explique Charlotte Mahieu, responsable du marketing et de la communication chez Besix Red. C’est dans cet objectif que nous avons noué des partenariats stratégiques avec quatre start-up. Ziggu permet à un promoteur de se rapprocher de ses clients, de créer un lien avec eux à une période où la communication devient de plus en plus impersonnelle. Avec un accès gratuit à leur interface privée, les acquéreurs peuvent facilement poser leurs questions, suivre leur flux de paiement ou encore recevoir des informations et mises à jour du chantier. Un projet pilote a été mis en place sur notre développement résidentiel Oxygen, à Auderghem. Un réel succès, tant du côté de nos clients qu’en interne. On envisage donc d’implanter cette plateforme digitale dans d’autres projets. Nous collaborons également avec la conciergerie intelligente Bringme (qui permet de recevoir et de renvoyer des colis facilement), avec Colive (société de coliving avec qui Besix Red échange des informations) ou encore avec une dernière start-up avec laquelle nous développons un passeport numérique intégrant la technologie blockchain (passeport qui regroupe des documents tels que les permis, les actes notariés, les plans de construction, les prêts hypothécaires, les polices incendie, les certificats de garantie, etc.). Ces collabo-rations en appellent en tout cas bien d’autres. ” Un système de plug and play pour rendre ses bâtiments future-proof est par exemple étudié.
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