Fortino, fonds start-up méconnu

Duco Sickinghe - L'ancien CEO de Telenet est arrivé sur le marché belge des start-up tech à un moment où peu d'investisseurs privés locaux se positionnaient avec autant d'argent. © D. Telemans
Christophe Charlot
Christophe Charlot Journaliste

Bien qu’il soit l’un des fonds privés les plus importants en Belgique, celui lancé par l’ancien CEO de Telenet reste assez peu présent côté francophone. Quel est son positionnement, dans quelles start-up est-il entré et avec quel retour?

Cent-cinq millions d’euros sont prêts à être investis dans les “jeunes entreprises prometteuses actives dans la production de logiciels et de technologie B to B dans toute l’Europe, et plus particulièrement au Benelux, en France et en Allemagne”.

Cofondée par l’ancien CEO de Telenet Duco Sickinghe, la société d’investissement Fortino vient d’annoncer la clôture d’un nouveau fonds, cinq ans après le lancement de son prédécesseur, Fortino Capital Venture I, lui-même doté de 80 millions d’euros. Celui-ci devient l‘un des plus gros gestionnaires dans la tech en Belgique. Surtout qu’entretemps, Fortino a aussi lancé un fonds de growth capital doté de pas moins de 242 millions d’euros.

Ce nom de Fortino apparaît de temps à autre lors de levées de fonds sur la scène tech en Belgique mais cet investisseur reste relativement discret. A fortiori du côté francophone où il n’a confirmé que quelques investissements seulement. “Au début, il a fallu un moment pour trouver notre niche, admet d’emblée Renaat Berckmoes, partner chez Fortino et ancien CFO de Telenet, qui a démarré l’aventure avec Duco Sickinghe et Baudouin Jolly. Nous investissions avec nos propres fonds et n’avions pas de stratégie prédéterminée ni de spécialisation. Cela a pris quelques années avant que l’on se structure – en 2016 – et que l’on commence à se concentrer vraiment sur le software B to B.” D’ailleurs, forts de leur expérience chez l’opérateur Telenet, les responsables de Fortino n’avaient pas seulement investi dans des start-up mais étaient surtout entrés chez deux acteurs télécoms. L’un au Portugal (Cabovisao) et l’autre à Malte (Melita) avec des retours très différents: gros échec au Portugal et succès à Malte.

Il y a en Wallonie, à l’exception des alentours de Louvain-la-Neuve et Liège, moins de sociétés de logiciels dans lesquelles un ‘venture capitalist’ peut intervenir. Mais cela ne nous empêche pas de regarder.”

Renaat Berckmoes (Fortino)

Mais le fond emmené par Duco Sickinghe a surtout commencé à s’intéresser au numérique et est arrivé sur le marché belge des start-up tech avec énormément de promesses à un moment où peu d’investisseurs privés locaux se positionnaient avec autant d’argent. Il y avait bien de-ci de-là des investisseurs, mais aucun disposant d’une manne financière aussi importante si ce n’est, dans une moindre mesure, le fonds flamand Volta Venture. “Ils ont comblé un vide et ont donc rapidement attiré le regard des start-up belges ambitieuses qui devaient lever plusieurs millions d’euros pour se développer, confirme un entrepreneur bruxellois. L’arrivée de Fortino sur le marché belge était une excellente nouvelle. Duco Sickinghe, un capitaine d’industrie, est arrivé avec sa belle notoriété, son aisance à se connecter avec de jeunes talents à haut potentiel, créant énormément d’attente.”

Teamleader, Mobilexpense, Riaktr…

Fortino est alors entré dans une série de pépites sur le marché belge et néerlandais. En Belgique, le fonds a notamment investi dans Teamleader, jeune pousse flamande de Jeroen De Wit dans laquelle elle a injecté 2,5 millions d’euros (en 2014 et 2015), mais aussi dans Real Impact Analytics lorsque la firme bruxelloise a levé 12 millions (en 2016), dans MobileXpense avec un montant de 20 millions d’euros, etc. Et avec un angle principal: le B to B dans le numérique.

“Nous avons quitté assez tôt le secteur B to C, indique Renaat Berckmoes, car pour pouvoir atteindre le consommateur, on est rapidement coincé entre de grands acteurs comme Facebook et Google. Les moyens à déployer en marketing sont très vite considérables et les marges souvent faibles.” Fortino s’en est donc tenu à quelques exceptions comme Bloomon, entreprise néerlandaise de livraison de fleurs. “Il s’agissait d’un acteur de niche dans un domaine avec peu de concurrence, enchaîne le responsable. Mais nous sommes très contents de cet investissement dans une start-up qui a triplé son chiffre d’affaires depuis notre investissement, pour dépasser les 42 millions, et qui est devenue rentable.” Une participation revendue en avril dernier.

BloomonLa start-up de livraison de fleurs est l'une des rares sociétés
BloomonLa start-up de livraison de fleurs est l’une des rares sociétés “B to C” dans lesquelles Fortino a investi. Mais avec succès…© PG

Pour les logiciels B to B, Fortino voit plus d’avantages – et notamment la réinvention plus facile des entreprises – lorsque le marché ne répond pas totalement favorablement au produit. Renaat Berckmoes évoque l’exemple de Zentrick, firme gantoise dans laquelle Fortino est entré en 2013. “La start-up était active dans le domaine de la pub vidéo interactive mais on s’est rendu compte que le produit n’allait jamais pouvoir faire l’objet d’un gigantesque marché. Or, la société commençait à arriver à court de cash car elle avait pas mal de vendeurs qui prospectaient. Heureusement, parmi les produits, certains avaient un beau potentiel. Les fondateurs se sont alors redirigés avec succès dans l’analyse de pub vidéo, sur YouTube notamment. Le logiciel permet de couper des films, coller des pubs, suivre les clients et réaliser des analyses selon l’âge, le sexe et une série de paramètres. Zentrick a quadruplé son chiffre d’affaires en deux ans et a finalement été racheté par DoubleVerify, ex-filiale de News Corp.” Un exit “de plus de cinq fois notre mise”, se réjouit Renaat Berckmoes selon qui, dans le logiciel B to B, “on trouve toujours un acheteur pour une start-up, même si le prix n’est pas toujours exceptionnel”. De quoi limiter les frais en cas d’insuccès.

Quasi absent en Wallonie

Le fonds de Duco Sickinghe s’est davantage tourné vers le marché néerlandais que vers le marché francophone. Tout au plus Fortino a-t-il investi dans quelques start-up bruxelloises ou du Brabant wallon (que d’aucuns qualifient plus de bruxelloises que wallonnes), mais rien à Liège, Charleroi, etc. “Nous ne croisons quasiment jamais Fortino sur des dossiers dans lesquels nous sommes sur le point d’investir, nous confirme un responsable d’un fond wallon. Ce qui peut s’expliquer par leur intérêt essentiellement tourné vers le marché flamand et néerlandais. Mais aussi parce qu’ils vont généralement investir des tickets relativement élevés et cherchent donc des tours de table pour lesquels il y a encore peu de prétendants. En réalité, du côté wallon, c’est un fonds qui n’est pas présent et qui compte peu…”

Selon Renaat Berckmoes, cette absence n’a rien d’intentionnel: “Il y a en Wallonie, à l’exception des alentours de Louvain-la-Neuve et Liège, moins de sociétés de logiciels dans lesquelles un venture capitalist peut intervenir. Mais cela ne nous empêche pas de regarder. D’ailleurs, nous avions fait une proposition à Koalaboox… mais notre offre n’a pas été retenue.” Une déception pour plusieurs acteurs de l’écosystème francophone. Et qui s’ajoute à une réputation parfois un peu écornée de l’investisseur… “Fortino n’a pas toujours l’image d’un fonds très founders friendly, nous glisse un observateur flamand de la scène tech. Leurs conditions d’investissement peuvent se révéler assez dures et on a déjà vu pas mal de conflits avec certains CEO fondateurs.” Côté francophone, il y a un exemple bien connu: l’investissement dans Real Impact Analytics avait débouché sur un conflit avec Sébastien Deletaille, le fondateur, sur la manière de faire évoluer l’entreprise. Cette divergence de vues avait précipité le départ volontaire du cofondateur. Selon nos informations, dans d’autres entreprises aussi, l’investisseur se serait opposé aux fondateurs, menant à des changements de CEO, des conflits au sein des conseils d’administration, etc. “C’est un fonds créé par des personnes brillantes mais issues du milieu des grandes entreprises, nous explique un fin connaisseur du secteur. Ils n’avaient au départ que peu d’expérience d’investissement, surtout dans les start-up. Ils n’ont sans doute pas toujours eu confiance dans les fondateurs et sont beaucoup intervenus, au point que certains leur ont attribué un rôle de belle-mère et ont préféré quitter l’entreprise.”

Vers des entreprises plus matures

“Des conflits arrivent avec tous les fonds, tempère toutefois un entrepreneur. Fortino aussi a dû passer par une période d’apprentissage. Et depuis quelques temps déjà, ils se tournent avec leur fonds de private equity vers entreprises plus matures et en croissance, comme la bruxelloise Efficy, active dans les logiciels de relation clients. C’est là que Fortino est le plus à sa place ; pas dans de trop jeunes pousses qui doivent entre trouver leur marché, pivoter, etc. Car ces entreprises-là ne peuvent se piloter avec des indicateurs clés de performance (KPI), des plans très bien ficelés, comme ce doit être le cas dans de grandes structures ou des opérateurs comme Telenet. Sur ce plan, Fortino a créé une équipe adaptée et efficace.” On y retrouve notamment Jacques Beghin, ancien senior partner chez McKinsey, au titre de senior advisor, aux côtés d’une armée de spécialistes.

De quoi identifier les meilleures opportunités pour faire fructifier les fonds injectés par les investisseurs, dont de nombreuses fortunes belges. A en croire Renaat Berckmoes, Fortino n’enregistrerait que très peu d’échecs. L’homme évoque seulement Riaktr et l’opérateur télécom portugais Cabovisao… Actuellement, beaucoup de regards se tournent vers Teamleader qui pourrait avoir un impact significatif sur le portfolio de Fortino. “Nous avons déjà effectué de belles sorties, comme Zentrick, Piesync, Melita et Bloomon, détaille Renaat Berckmoes. Nous ne sommes pas pressés. Le fonds peut encore fonctionner jusqu’en 2026. Les entreprises restantes réalisent presque toutes des flux de trésorerie positifs et peuvent continuer à se développer par elles-mêmes. Nous sommes toujours prêts à soutenir les participations en cours si elles ont besoin d’argent pour une acquisition.” Avec 105 nouveaux millions d’euros, Fortino se tient prêt.

La galaxie Fortino

1. Fortino Capital Venture 1 (2016): 80 millions euros

18 investissements parmi lesquels Teamleader (B), BuyBay (P-B) et inSided (P-B). Dont 10 sorties notamment Trendminer (Software AG), Zentrick (DoubleVerify), Piesync (Hubspot), Melita (EQT) et plus récemment, Bloomon (Bloom&Wild) et Riaktr (SDS).

2.Fortino Capital Venture 2 (2021): 105 millions euros

7 investissements. Kaizo (P-B), Zaion (F), ReaQta (P-B), Vaultspeed (B), Oqton (B/E-U.), iObeya (F), Fooddesk (B/P-B)

3.Fortino Capital Growth PE I: 242 millions euros

7 entreprises de ce type, parmi lesquelles Maxxton (P-B), Efficy CRM (B), Odin Groep (P-B), Tenzinger (P-B) et Cenosco (P-B).

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