10 ans de start-up studio: la recette du succès d’eFounders

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Christophe Charlot
Christophe Charlot Journaliste

Quelques semaines après avoir annoncé une valorisation à 2 milliards de son portefeuille de start-up, le studio franco-belge peut célébrer sa première licorne (et la 16e sur le marché français). Retour sur un modèle couronné de succès.

Recevoir une licorne pour ses 10 ans. Le rêve de toutes les petites filles…

Mais c’était aussi certainement celui de Thibaud Elzière et Quentin Nickmans, les fondateurs d’eFounders, start-up studio belgo-français spécialisé dans les start-up software as a service, c’est-à-dire promouvant des logiciels qui tournent dans le cloud et s’utilisent sur abonnement. Et le rêve vient tout juste de se réaliser. En effet, la jeune pousse Aircall a franchi la valorisation symbolique du milliard de dollars (lire l’encadré “Aircall” ci-dessous).

Aircall: licorne française (un peu) made in Brussels

Peu importe son origine réelle, sa situation et la nationalité de sa structure juridique. Aircall est une licorne née au sein d’eFounders, studio juridiquement bruxellois. Le concept d’Aircall? Un software basé dans le cloud qui propose aux PME une solution de téléphonie saas, intégrée à leurs logiciels ‘métiers’ comme Salesforce, Hubspot, etc. Fondée en 2014, la firme qui emploie aujourd’hui 450 personnes réparties entre New York, Paris, Madrid et Sydney, vient de lever 120 millions de dollars, notamment auprès de Goldman Sachs Asset Management. Ce qui lui permet d’atteindre la valorisation du milliard de dollars et donc de devenir une “licorne”. Aujourd’hui, 35% du business d’Aircall est généré sur le sol américain, 15% en France.

Cette annonce intervient quelques semaines seulement après qu’eFounders a dévoilé la valorisation totale de son portefeuille. En effet, pour communiquer autour de ses 10 ans d’existence, les responsables du studio avaient annoncé un portefeuille valorisé à 2 milliards d’euros pour l’ensemble de ses start-up (une trentaine déjà lancées). Un sacré cap qui s’appuie sur quelques entreprises à succès comme Aircall, Front ou Spendesk, et une série d’autres pépites en pleine croissance ou en création.

Peu d’investisseurs croyaient réellement au modèle qu’on leur proposait. Ils préféraient investir dans l’e-commerce…”

Thibaud Elzière

Dans l’univers des start-up, eFounders suscite généralement l’admiration. Rares sont en effet les réussites de cet ordre, surtout sur la scène belge. Et ce même si le studio, légalement installé à Bruxelles, développe certaines de ses start-up en France ou aux Etats-Unis… Aujourd’hui, plus rien ne semble arrêter Thibaud Elzière et Quentin Nickmans qui enchaînent les succès là où d’autres entrepreneurs se sont cassé les dents. Car des start-up studios ambitieux, on en a vu naître une série, en Belgique ou ailleurs. Certains ont rendu les armes, comme Barefoot. D’autres vivotent mais peinent à enfanter des projets qui décollent. Tout le contraire d’eFounders, dont on détaille les trois ingrédients du succès avec ses fondateurs…

1. S’être spécialisé dans le “saas” à vocation “B to B”

Premier ingrédient identifié. Avoir choisi le saas… “On s’y est spécialisé un peu sans le savoir, admet modestement Thibaud Elzière. Les cinq premières idées émanaient de mon expérience de fondateur de Fotolia, sur la base de problématiques que j’avais rencontrées et qui pouvaient trouver une solution. Et il se trouve qu’il s’agissait à chaque fois de software as a service… Nous avons acquis une expérience sur laquelle on s’est alors dit qu’il fallait capitaliser.” Depuis, le studio n’est pas sorti de ce créneau du software utilisé dans le cloud, profitant de l’explosion du concept. “En 2011, c’était vraiment le début, se souvient le cofondateur. D’ailleurs, peu d’investisseurs croyaient réellement à ce créneau dans le modèle qu’on leur proposait. Ils préfé- raient, par exemple, investir dans l’e-commerce…” Aujourd’hui, le principe s’est généralisé. Le cabinet Synergy Research évaluait la demande mondiale pour le marché du saas à 101 milliards de dollars pour l’année 2019.

Toutefois, la spécialisation d’eFounders ne se fait plus désormais tant sur le concept du logiciel à la demande que sur le “persona” des entreprises cibles. En effet, les start-up créées pas le studio évoluent toutes en B to B, ciblant plutôt les PME entre 5.000 et 1.000 personnes. Au point de pouvoir offrir un véritable écosystème de produits qui leur permet d’informatiser la plupart des pans de leur gestion.

>>> Lire à ce sujet: Où va eFounders, le start-up studio belge devenu “milliardaire”?

2. Attirer les meilleurs talents

En lançant eFounders, Quentin Nickmans et Thibaud Elzière auraient pu s’inspirer du studio allemand Rocket Internet des frères Samwe, celui qui a lancé en Europe des firmes comme Zalando, TravelBird, HelloFresh ou Delivery Hero. Mais le duo franco-belge s’est rapidement investi dans une démarche qui s’appuierait davantage sur des entrepreneurs qu’ils impliqueraient très rapidement. Le studio a donc pris comme habitude d’engager pour chaque initiative deux porteurs de projet: un CEO et un chief technology officer, chargés de créer et développer la start-up au départ d’un concept ou d’une idée.

EFounders suscite généralement l'admiration. Dans l'univers des start-up, rares sont en effet les réussites de cet ordre.
EFounders suscite généralement l’admiration. Dans l’univers des start-up, rares sont en effet les réussites de cet ordre.© PG

Au tout début, bien que Thibaud Elzière puisse se targuer d’avoir vendu Fotolia 800 millions de dollars à Adobe, peu d’investisseurs étaient prêts à miser sur cette démarche. “Ils pensaient qu’on n’allait pas attirer les meilleurs entrepreneurs”, se souvient l’un des deux boss. On aurait en effet pu penser qu’en accordant aux CEO et CTO un “salaire” durant les premiers mois du lancement de chaque start-up, eFounders ne séduirait pas de “vrais” entrepreneurs mais plutôt des “managers”. Une frontière pas franchement évidente à distinguer. D’où quelques “ratés” au démarrage, quand les fondateurs ont changé quelques profils qui ne correspondaient pas à leurs attentes. “Il a fallu un peu de temps avant de vraiment attirer les meilleurs, reconnaît Thibaud Elzière. On a d’abord dû montrer une certaine réussite.” Après quelques années et l’investissement du duo comme cofondateurs de certaines start-up, les premiers succès sont arrivés. Mailjet, Mention ou TextMaster ont émergé, convainquant totalement l’écosystème. Cela a créé un cercle vertueux et la marque eFounders a commencé à vraiment jouer son rôle.

Pour les deux compères, l’enjeu fut alors rapidement clair: trouver le bon dosage d’intervention dans les start-up auprès des associés recrutés. Donc garder suffisamment d’engagement pour veiller à ce que l’idée (généralement développée par Thibaud Elzière et l’équipe du studio) prennent la bonne direction, mais laisser assez d’autonomie aux entrepreneurs pour qu’ils restent motivés et développent leur talent au sein de la jeune pousse. Voilà pourquoi ils “lâchent totalement la bride” après 12 ou 18 mois maximum. “Nous faisons le deuil du projet, insiste Thibaud Elzière. Les commandes sont laissées aux responsables de chaque start-up tant sur la vision produit que le recrutement ou les levées de fonds. L’idée consiste à donner la liberté à quelqu’un en qui on a totalement confiance, généralement après six mois. Si on constate après neuf mois qu’on n’ose toujours pas faire confiance, c’est que cela ne marche pas.” La machine eFounders ayant désormais fait ses preuves, le studio ne peine plus à trouver les bons profils, qu’ils soient entrepreneurs, développeurs, etc. Et le fait qu’une première licorne émane de l’écurie renforce encore son attrait.

Avec le temps, nos start-up ont commencé à attirer elles-mêmes l’attention des investisseurs.”

Quentin Nickmans

3. Séduire les bons investisseurs

Cela ne s’est pas fait du jour au lendemain. Mais les firmes issues de l’écosystème eFounders ont attiré l’ensemble des investisseurs les plus en vue de la planète. D’Index Ventures à Sequoia en passant par Balderton, Spark ou Goldman Sachs, tous ont investi dans l’une ou l’autre start-up née au sein du studio.

Au départ, ce sont les fonds français qui se sont engagés. “Je connaissais bien l’écosystème parisien des venture capitalists (VC), souligne Thibaud Elzière, ce qui nous a ouvert des portes pour Maijet, Mention ou TextMaster. Puis nous avons réalisé ce que peu d’Européens font: partir aux Etats-Unis. Quatre fois par an, nous nous rendions pendant deux semaines dans la Valley à la rencontre des gens de chez Sequoia, etc. Face à eux, nous défendions notre modèle et montrions ce qu’on pouvait faire. Ensuite, on a fait entrer des start-up chez Y Combinator (célèbre accélérateur américain de start-up, Ndlr). Enfin, nous avons incorporé des start-up aux Etats-Unis, condition essentielle pour espérer l’investissement de fonds locaux, qui sont les plus gros VC”. Du coup, eFounders possède aujourd’hui dans son portefeuille des entreprises américaines, elles-mêmes détentrices de filiales belges. Un modèle et une stratégie qui ont permis d’amorcer la traction et de susciter l’intérêt outre-atlantique.

Ce cercle vertueux ne s’est toutefois pas mis en place aisément. “Au début, le modèle du studio restait incompris, détaille Quentin Nickmans. Et les projets de start-up restaient très liés à Thibaud et moi: on nous demandait de nous montrer disponibles dans les projets et devions apparaître dans les pactes d’actionnaires. Mais avec le temps et les talents qui nous rejoignaient, nos start-up ont commencé à attirer elles-mêmes l’attention des investisseurs.” Comme le souligne le coresponsable d’eFounders, le métier qu’il exerce est très réputationnel. Les premiers succès ont attiré les uns, puis les autres. Il semble donc désormais exister un “label” eFounders: chaque projet obtient l’attention des investisseurs grâce au “laissez-passer” du studio. Reste bien sûr, quand même, à aussi prouver sa pertinence, sa viabilité, son marché, etc.

Qu’est-ce qu’un start-up studio?

Le concept, que certains appellent aussi “usine à start-up”, prend autant de formes qu’il existe de start-up studios. Mais tous affichent des caractéristiques communes. Soit des entreprises dont la vocation consiste à produire des start-up en série sur la base d’idées qui, le plus généralement, naissent en interne. A l’inverse des incubateurs qui accueillent des sociétés ayant une idée de business et qui les financent, les start-up studios font naître eux-mêmes de nouveaux projets et en financent les premiers développements. Ils en sont d’ailleurs les principaux actionnaires, du moins dans un premier temps. Pour aider leurs pépites dans leur lancement, les start-up studios disposent d’une structure qui mutualise les compétences en matière de finances, marketing, comptabilité, etc. Certes, lorsque les start-up commencent à lever des fonds, le studio voit son investissement dilué. Mais si tout va bien, il conserve un portefeuille de participations et se rémunère sur les exits.

>>> Lire à ce sujet: eFounders lance LogicFounders, un “fintech studio”

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