Produit d’exception: un vin sculpté dans le marbre
Ils l’ont rêvé un soir d’été, ils l’ont réussi deux ans plus tard: Yannick Alleno, chef français tri-étoilé, Paolo Carli, patron de carrières de marbre, et Olivier Paul-Morandini, vigneron belge installé en Toscane, ont présenté la semaine dernière leur bébé: Fuori Marmo, le premier vin élevé dans un contenant en marbre naturel. Un produit juste… exceptionnel.
Une belle histoire commence toujours par hasard. Comme ce jour de 2016 où Yannick Alleno, chef tri-étoilé au Pavillon Ledoyen et au 1947 à Courchevel, est emmené aux puces de Saint-Ouen par son épouse, la sculptrice Laurence Bonnel, et se retrouve à la table d’Olivier Paul-Morandini, vigneron belge installé en Toscane depuis 2010, au domaine Fuori Mondo. A l’époque, Alleno cherche justement un pied-à-terre dans la région pour se reposer loin du bruit et de la fureur des cuisines. Mais il faudra attendre la fin du repas pour que notre compatriote se rende compte, en prenant la carte de son convive du jour, qu’il a déjeuné avec l’un des chefs français les plus talentueux du monde…
Quatre ans plus tard, une solide amitié est née et les deux compères se retrouvent un soir de juillet dans la maison du chef près de Forte dei Marmi. Un troisième larron, venu en voisin, s’est joint à la soirée: Paolo Carli. En 2003, l’Italien a racheté un solide morceau de l’histoire de son pays: les carrières Henraux, dans la Versilia, près de Carrare.
Dans la littérature, on ne trouve aucune trace d’un tel vin. Et pour cause: le marbre ne s’y prête pas forcément.”
Henraux, drôle de nom pour une entreprise italienne, non? “Peu de gens le savent mais la Versilia, ce n’est pas que des stations balnéaires, sourit Paolo Carli. La région est célèbre également pour son marbre et les carrières des Cervaiole sur le mont Altissimo proche de Seravezza. Celles-là même où allait s’approvisionner Michel-Ange. Notre histoire à nous a démarré avec Napoléon. Il chargea un fonctionnaire appelé Jean Baptiste Henraux de prendre le contrôle des carrières pour approvisionner tout l’Empire. A la mort de l’empereur en 1821, Henraux s’est associé à une famille italienne pour développer le commerce du marbre. Il a fini par devenir le seul propriétaire. Quand j’ai racheté l’entreprise en 2003, elle était quasiment en faillite. Nous l’avons redressée et avons décidé de poursuivre l’héritage: nous ne vendons aucun bloc, nous réalisons nous-mêmes les travaux en fonction des demandes des clients. Il est hautement probable que vous ayez déjà marché sur un de nos marbres quelque part dans le monde, sans le savoir. Un seul exemple: le sol en marbre de la Basilique St-Pierre de Rome, c’est Henraux.”
Deux cuves ovoïdes
Au cours de ce repas épique de juillet 2020, les trois amis lancent alors une idée un peu folle. “En toute fin de soirée, sourit aujourd’hui Yannick Alleno, nous nous sommes demandé en rigolant ce que nous pourrions faire ensemble. Il n’y avait en fait qu’une seule réponse: produire une cuvée qui aurait été élevée dans un contenant en marbre blanc. Dans la littérature, on ne trouve aucune trace d’un tel vin. Et, pour cause: le marbre, de prime abord, ne s’y prête pas forcément.”
“Cela m’a travaillé pendant deux jours, se souvient Olivier Paul- Morandini. Puis, je les ai appelés et j’ai dit: on y va!” Il faudra plus de six mois pour que les équipes de Paolo Carli transforment un bloc de quasi 38 tonnes en deux cuves ovoïdes de 17,5 hectolitres et d’un poids approchant les deux tonnes. “Nous travaillons aujourd’hui avec des lasers extrêmement sophistiqués, explique Paolo Carli. En fait, chaque cuve est issue d’un seul bloc choisi précieusement. Nous l’avons coupé en deux et avons soigneusement évidé chaque moitié avant de les reposer l’une sur l’autre. Il n’y a que du marbre naturel dans ces cuves, rien d’autre.”
Un vin tellurique
La suite ne fut pas de tout repos. Car il fallait que l’élevage apporte un plus au vin sans le dénaturer. Et comme rien dans la littérature ne donnait des indices, Olivier Paul-Morandini a dû tâtonner. Essayer, se tromper et recommencer. Entre autres à l’aide de petits carrés de marbre qu’il immergeait dans du vin pour voir comment évoluaient les paramètres.
“Je me suis vide rendu compte que le marbre absorbait tout l’oxygène, oxydait fortement le vin et, si on le laissait faire, allait quasiment le lyophiliser. La solution est venue d’une sursaturation en acide tartrique pour équilibrer les échanges et amener le contact des deux à l’harmonie. Quant aux cépages, j’ai essayé l’alicante nero, un cépage autochtone dans la Maremme, la région toscane où se situe mon domaine, et comparable au grenache. Je n’ai pas été convaincu. Pas plus que le sangiovese. Finalement, nous avons opté pour du cabernet sauvignon issu de parcelles en coteaux qui font face à l’île d’Elbe.”
Magnifique équilibre
L’élevage dans l’oeuf de marbre a duré trois mois. Aujourd’hui, ce vin est né et porte le nom de Fuori Marmo. Il a été présenté officiellement, en petit comité, la semaine dernière au restaurant Alleno Paris au Pavillon Ledoyen. Quand il l’a dégusté pour la première fois, le chef a évoqué le côté tellurique de la cuvée. Et c’est tout à fait ça. Voilà un cabernet sauvignon (millésime 2019 – appellation IGP Costa Toscana) tout bonnement exceptionnel et inédit, qui possède malgré sa jeunesse un côté soyeux, suave et long avec des tannins encore présents qui semblent s’effondrer en fin de bouche pour révéler un équilibre magnifique. Un vin frais, élégant et dense à la fois. Une magnifique réussite.
Olivier Paul-Morandini a produit quelque 2.300 bouteilles du premier millésime de Fuori Marmo. Mille bouteilles de 75 cl ainsi que quelques dizaines de magnums et de jéroboams seront vendus aux professionnels et aux particuliers. Evidemment, cette excellence a un prix: 1.085 euros la bouteille (807 au prix professionnel). Reste que les trois associés n’ont pas envie que leur bébé devienne un objet de collection que personne ne boit. Se contenter de le regarder serait en effet passer à côté d’un moment d’exception. Pour éviter la spéculation, le vin ne s’achète donc que sur le site du domaine selon un système d’allocation, via une plateforme de réservation mise en place spécifiquement à cet effet.
Deux oeufs supplémentaires
On en profite pour rappeler que les autres vins du domaine Fuori Mondo sont, eux, exclusivement vendus chez les importateurs. En Belgique, on les trouve chez Pépite-Cave à Manger à Namur et chez Start2Taste à Waregem. A titre personnel, on apprécie particulièrement le Libero, un travail sur le ciliegiolo, un cépage autochtone toscan ou Nelly, un ovni où le sangiovese, cépage typique du chianti, est vinifié en blanc.
Evidemment, cette première de Fuori Marmo, va connaître une suite. La cuvée suivante est déjà en route et Paolo Carli supervise la production de deux oeufs supplémentaires. Vu le succès en termes de qualité, le principe des cuves ovoïdes en marbre blanc a d’ailleurs été breveté…
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