Les problèmes psychosociaux augmentent dans les entreprises

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Les chiffres de l’Inami sont implacables. Les burn-out de longue durée ont augmenté de plus de 30% en quatre ans. La sortie de pandémie va encore accentuer le phénomène. La santé mentale des employés, mais aussi des dirigeants, clairement sous pression, est devenue un enjeu majeur du monde de l’entreprise.

Que la pandémie allait charrier son lot de problèmes psychosociaux au travail, personne n’en doutait. Dès le mois d’avril 2020, moult spécialistes avaient alerté les responsables de ressour- ces humaines et les chefs d’entreprise des risques potentiels liés au télétravail, mais aussi au retour au bureau. Personne n’avait prédit à l’époque que plus d’un an plus tard, la situation n’aurait pas vraiment évolué. Même si la quille est proche en termes de relations sociales, pratiques sportives et sorties culturelles ou au restaurant. Même si la fin du télétravail obligatoire approche. Les derniers chiffres de l’Institut national d’assurance maladie-invalidité (Inami) qui font état d’une augmentation de plus de 30% du nombre de personnes en incapacité de travail de longue durée pour cause de burn-out n’ont pas surpris les professionnels de la santé impliqués dans les entreprises, pas plus que les spécialistes de la prévention au travail.

Des chiffres très éclairants

L’Inami a mis récemment à jour les données concernant l’incapacité de travail (de plus d’un an) pour cause de dépression et de burn-out. Avant de continuer, une importante précision s’impose pour les chiffres liés au burn-out: l’Inami n’analyse pas leurs causes. En d’autres termes, il ne faut pas déduire de facto que l’ensemble des données sont liées au travail. Un burn-out peut avoir d’autres causes, par exemple un burn-out parental. Entre 2016 et 2020, le nombre de personnes en incapacité de travail de longue durée pour cause de dépression et de burn-out a augmenté de 38,72% (burn-out seul: 32,53%) chez les salariés et les demandeurs d’emploi et de 50,93% (burn-out seul: 43,38%) auprès des indépendants. Dans la première catégorie, le burn-out et la dépression représentent 24,14% de la totalité des incapacités de travail de longue durée, le burn-out seul 7,14%. Parmi les indépendants, ces mêmes chiffres varient de la façon suivante: 17,32% – 6,33%. Au 31 décembre dernier, il y avait 33.402 personnes (dont 1.831 indépendants) en invalidité pour burn-out. Avec la ventilation suivante: 17.330 en Flandre, 12.523 en Wallonie, 3.081 à Bruxelles, 23.533 femmes et 9.869 hommes. En 2019 (derniers chiffres disponibles), le coût de l’invalidité en raison de dépression ou de burn-out pour l’assurance indemnités s’élevait déjà à 1,517 milliard d’euros, soit une progression de 33,25% sur quatre ans.

Et encore, ces chiffres ne tiennent pas compte des cas d’épuisement professionnel de moins d’un an. Il faut tout de même spécifier qu’entre fin 2019 et fin 2020, cette augmentation fut tout à fait comparable à celles des deux années précédentes. Il n’y a donc pas encore à proprement parler un effet covid et c’est logique puisqu’on parle d’absences de longue durée.

Le burn-out ne se vit pas qu’en bas de l’échelle, il est aujourd’hui ouvertement avoué par le management.

“Je me souviens de plusieurs réunions au printemps de l’an dernier, explique Caroline Aelvoet, DRH de Sodexo Belgique, où tant Elke Van Hoof, une clinicienne bien connue (elle est prof de psychologie à la VUB et fondatrice de la Maison de Résilience et du Ally Institute, spécialisé dans le stress et le burn-out, Ndlr), que François Perl, alors directeur à l’Inami, mettaient en garde contre une explosion significative des cas de problèmes psychosociaux dans les entreprises au moment de la relance économique et du retour progressif à une autre normalité. Nous y sommes bientôt. A ce jour, malgré l’incertitude dans notre secteur et notre plan social, je n’ai pas noté une hausse significative de ces risques chez nous. Mais je suis effectivement plus inquiète quand toutes nos activités vont reprendre sur nos sites chez les clients ou quand nous allons reprendre la vie au bureau. Soit quand la sécurité que nous avons bâtie personnellement aujourd’hui changera.”

Je remplis ma consultation privée rien qu’avec des cas de burn-out. C’est assez parlant, non?

Laurence Goraj (psychologue clinicienne)

Privé de nos ressources

Après voir été responsable RH dans de grandes entreprises comme ING, PwC ou Johnson & Johnson, Laurence Goraj a repris aujourd’hui son métier de psychologue clinicienne. Elle s’est spécialisée dans le burn-out tant dans ses consultations privées que dans son rôle de coach et de formatrice en entreprise. Les chiffres Inami, elle les a vu grimper au jour le jour dans sa pratique.

“Je remplis ma consultation privée rien qu’avec des cas de burn-out. C’est assez parlant, non? Ce que j’ai vu ces derniers temps, c’est une forte augmentation de gens très à la limite. Ils sont en stress chronique mais tiennent le coup grâce à des ressources privées ou liées au travail. Mais dès que l’un des deux s’efface, ils tombent. Or, qu’a fait la pandémie et ses mesures sanitaires? Nous retirer nos ressources. Le contact social n’est plus autorisé ou quasi, nous ne pouvons plus voir nos amis, ni aller à la salle de sport, au restaurant ou au café… Sans compter que le digital a augmenté le stress. Quant à l’absence de déplacement domicile-travail, pour certains, ce fut un bienfait mais cela a privé d’autres d’une période tampon où ils se vidaient la tête et faisaient une douce transition entre vie pro et vie de famille. J’ai vu dernièrement des gens dans un sale état…”

La sécurité physique, vu nos métiers, a toujours été une priorité. La pandémie a modifié ces priorités et la santé mentale a pris de l’importance.

Caroline Aelvoet (Sodexo)

Depuis le printemps dernier, les secrétariats sociaux et les services de prévention et de protection externes ont été extrêmement sollicités pour accompagner les entreprises dans leur gestion du télétravail et dans le soutien tant de leurs managers que de leurs équipes au sens large. Chez eux aussi, cette augmentation des maladies du groupe mental n’est pas une surprise.

“Je vois cette progression dans nos trajets de réintégration de malades de longue durée, confirme Gretel Schrijvers, directrice générale de Mensura, le leader belge de la prévention et de la protection au travail. Aujourd’hui, la partie liée aux risques psychosociaux est montée à un tiers de tous les cas. Au même niveau que les troubles locomoteurs. Et il est certain que cette proportion va encore augmenter quand les effets de la pandémie seront visibles dans les trajets. Mon combat actuel, c’est de pouvoir intervenir plus vite. Aujourd’hui, le premier contact initié soit par l’entreprise, soit par l’employé, soit par la mutuelle arrive souvent après quatre ou cinq mois. Il faudrait pouvoir commencer au bout d’un mois. Pour commencer l’accompagnement plus vite. C’est un dossier qui concerne Frank Vandenbroucke pour l’aspect santé mais aussi Pierre-Yves Dermagne pour le côté obligations légales liées aux services externes. Mais les gens sont réceptifs. Et pour cause, il faut agir. Nous approchons les 500.000 malades de longue durée pour un coût proche des 9 milliards d’euros! J’aimerais aussi qu’on change d’approche. Qu’on ne se concentre plus sur ce que quelqu’un ne sait plus faire en raison de son incapacité mais sur les compétences qu’il peut encore exercer.”

Les dirigeants sont aussi touchés

La flambée de problèmes psychosociaux fait aussi tomber des tabous. Le burn-out ne se vit pas qu’en bas de l’échelle, il est aujourd’hui ouvertement avoué par le management, voire le top management. Ainsi, d’habitude tournée vers les employés et les ouvriers, Mensura a reçu cette année et pour la première fois une demande d’employeurs.

“C’est assez marquant comme démarche, poursuit Gretel Schrijvers. Le burn-out du top management, on en parle peu. C’est tabou. Il n’est pas question de montrer sa vulnérabilité à ses employés. Mais quoi qu’ils en disent ou pensent, les chefs d’entreprise ont aussi le droit à l’erreur. Des employeurs, notamment dans le secteur de la construction, sont venus nous voir pour du soutien, arguant d’une pression énorme liée à la pandémie. Nous allons entamer en Flandre un projet pilote d’accompagnement psychosocial pour chefs d’entreprise.”

Nous approchons les 500.000 malades de longue durée pour un coût proche des 9 milliards d’euros!

Gretel Schrijvers (Mensura)

Laurence Goraj fait le même constat dans sa pratique quotidienne. “C’est clairement plus marqué qu’avant. J’ai fréquemment à traiter des membres de comités de direction coincés avec un groupe international au-dessus d’eux ou des middle managers qu’on presse comme des citrons et qui se retrouvent avec une direction totalement déconnectée de la réalité du terrain et des employés en difficulté qu’il faut gérer. Moi, je veux bien prendre en charge des employés au sens large à la demande d’une entreprise si cette dernière joue le jeu et prend en charge sa part de responsabilité pour que cela change. Je suis d’ailleurs occupée avec plusieurs grandes entreprises sur des projets qui mêlent formations et changements organisationnels pour diminuer les risques psychosociaux et les burn-out. J’ai aussi beaucoup de demandes pour former à la détection de ces risques et pour bien soutenir les équipes. C’est certain que les managers ont leur rôle à jouer pour éviter les cas mais pour autant qu’on les soutienne eux aussi. Et on m’appelle aussi beaucoup pour mettre en place le prochain retour au bureau. Clairement, et c’est un bon signe, je ressens un changement au sein des entreprises. Les analyses de risques obligatoires liées à la loi de 2014 doublées de quelques formations sans suivi pour se donner bonne conscience, c’est fini. Je suis plus challengée. Il faut que cela marche, il faut trouver des solutions. Et j’ai ça dans tous les secteurs: public, pharma, énergie, automobile, etc.”

Le choix de la liberté

Chez Sodexo Belgique, en tout cas, on a décidé d’être proactif sur la question du bien-être. D’une part, pour les employés du siège, a été mise en place une politique constructive en matière de télétravail. Liberté totale est donnée pour organiser son travail sans limite de jour pour télétravailler. Tout se discute avec le manager en fonction des besoins de l’équipe.

“Tout est ouvert, conclut Caroline Aelvoet. A côté de cela, pour l’ensemble de nos employés dont une partie importante demeure en chômage temporaire Corona, nous avons mis en place un parcours-programme bien-être. Chez Sodexo, la sécurité physique, vu nos métiers, a toujours été une priorité. La pandémie a modifié ces priorités et la santé mentale a pris de l’importance. Car nous devons agir surtout pour le bien-être de nos employés. Nous avons donc mis en place une plateforme qui donne de l’information sur un certain nombre de problématiques ainsi que les outils à disposition pour y remédier. Mais comme c’est un sujet qui peut être tabou, nous allons nous contenter d’indiquer le chemin pour prendre sa santé en main. Nous allons accompagner cela de campagnes de sensibilisation mensuelles sur des sujets précis comme le sommeil, la déconnexion, l’alimentation, etc. Securex, notre partenaire, va aussi porter ce programme sur nos sites. Les responsables de ces sites pourront le solliciter s’ils détectent des soucis.”

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