Pas ringarde, la pointeuse: enregistrer le temps pour plus de flexibilité

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Pointer en entreprise semblait devenu totalement déplacé pour les cols blancs à l’heure du collaboratif et de l’autonomisation. La pandémie a remis l’enregistrement du temps au centre des préoccupations des entreprises. Mais pas pour les raisons que l’on croit…

En prenant le pouls ça et là dans les entreprises dans le cadre de l’écriture de sujets de ressources humaines, nous en étions venus à penser que la pointeuse était devenue un objet d’un autre temps pour les cols blancs. Pointer ou badger à l’heure de l’empowerment et du collaboratif? Cela ne semblait pas aller de pair. Pourtant, ces dernières années, Protime, le leader belge du marché de l’enregistrement du temps, a toujours connu une croissance à deux chiffres. Et en 2020, la société a réalisé sa meilleure année depuis sa création en 1995.

“Nous avons dépassé les 20% de croissance, confie Sophie Henrion, business manager chez Protime. Singulièrement via myprotime, la plateforme digitale de services RH utilisable à la maison, sur PC ou sur smartphone. Septante pour cent de nos nouveaux clients n’avaient, avant 2020, aucune gestion du temps organisée.”

Gestion de la pandémie

De nos jours, la pointeuse ou la badgeuse offre un éventail de services aux entreprises. Elle enregistre le temps de travail mais permet aussi de gérer, de façon fine et séparée, les accès aux bâtiments et autorisent d’autres services comme la confirmation d’un lunch à déduire de la paie, etc. Une plateforme comme myprotime permet aussi d’y gérer la demande de congés, la validation par le manager au lieu des RH, la planification des équipes, l’accueil des visiteurs, la performance, etc. Un éventail de services qui va bien au-delà du simple enregistrement du temps et qui s’intègre dans la stratégie de Protime et de SDWorx, son propriétaire, d’offrir des services digitaux complets ¬ même s’il ne faut pas avoir un contrat avec le second pour bénéficier, de façon indépendante, des services du premier.

Mais pourquoi donc ces systèmes d’enregistrement de temps ont-ils connu une telle vigueur l’an dernier? C’est que la pandémie a fait apparaître des besoins nouveaux. “D’abord, il y a l’aspect gestion de l’accès, explique Sophie Henrion. Certaines entreprises, dopées par le Covid, ont rajouté un bâtiment ou décidé de travailler en trois pauses au lieu de deux. Les conditions sanitaires drastiques qui interdisaient le contact entre les différentes équipes ont donc conduit à la création de nouveaux accès. Pour les cols blancs, la normalité s’est inversée. La maison est devenue le lieu de travail principal et le retour au bureau, une exception à gérer de façon précise. Notre plateforme permet de gérer cette inversion de normalité et donne un outil qui limite la présence au bureau dans des conditions sanitaires acceptables.

Je vois cet enregistrement du temps comme un indicateur. Il donne un cadre pour détecter ce qui ne va pas mais aussi pour aider ceux qui sont perdus et n’osent pas le dire.”

Sophie Henrion (Protime)

Ensuite, il y a l’aspect RH. Au printemps dernier, beaucoup ont pensé que le télétravail, c’était le Club Med, les vacances, etc. Mais très vite, les DRH se sont rendu compte du poids du télétravail sur le bien-être des employés et sur la répartition vie privée-vie pro. Et que ce n’était pas le Club Med et qu’au contraire, beaucoup travaillent trop ou se sentaient coupables de se déconnecter pour aller chercher les enfants à l’école par exemple. Myprotime, qui enregistre le temps de travail à la maison, fait de la flexibilité une force qui augmente la santé mentale et l’engagement. Ce n’est pas du contrôle mais une façon de gérer la flexibilité qui permet de vraiment organiser son temps et met des garde- fous en cas d’excès de prestations.”

Du collaboratif chez Brutélé

Pour bien comprendre comment fonctionne cette idée d’accompagnement du temps de travail, il suffit de pousser les portes de Brutélé. Cette intercommunale propose ses services de télédistribution et de télécommunications dans six communes bruxelloises et 24 wallonnes. En attendant son intégration dans Enodia ou la vente de l’ensemble Voo-Brutélé à un tiers, Brutélé emploie aujourd’hui 284 salariés mais donne du travail à 500 personnes si l’on tient compte des sous-traitants qui réalisent les travaux dans les rues, assurent les installations simples chez les clients, peuplent les call-centers externes ou proposent leurs services de consultant IT. Chez Brutélé, on était prêt pour le Covid. Et pour cause…

20%

Croissance enregistrée par la plateforme Protime en 2020, meilleure année depuis sa création.

“Nous avons lancé un vaste projet de transformation en 2016, confie Eric Thomas, chief human resources officer de Brutélé. Nous avons d’abord reçu tous les employés par groupe de 12 en leur demandant la réalité de leur travail, ce qui n’allait pas mais, surtout, leurs idées pour que cela aille mieux. Ces entretiens, combinés aux travaux d’une tribu de volontaires, ont permis l’élaboration d’un long trajet qui s’est achevé à la fin 2019. Avec le déploiement d’un mode collaboratif au sein de chaque équipe et tout en donnant du sens à chacune de ces équipes. Cela passe, par exemple, par plus de flexibilité sur le temps de travail. Nous avons ainsi autorisé le travail le samedi. Pourquoi? Parce que certains employés ont des conjoints indépendants qui bossent le samedi et sont en congé le lundi. Nous leur permettons donc de passer plus de temps en famille. A la veille de la pandémie, nous avions autorisé deux à trois jours de télétravail sur base des entretiens avec le personnel. Donc, oui, nous étions prêts sans le savoir. Vous savez, les RH marchent bien ici. J’ai 4% d’absentéisme, ce qui est très bas dans une intercommunale. La qualité et la vitesse des dépannages chez Brutelé sont bien meilleures que chez nos cousins liégeois…”

Autonomie

Chez Brutélé, 350 personnes sont désormais inscrites sur myprotime. Brutélé, dans son changement d’organisation, a choisi de doper les services proposés sur la plateforme. “Elle permet de s’inscrire en télétravail évidemment, poursuit Eric Thomas. Ou de choisir les bureaux dans lesquels on veut aller travailler: Bruxelles, Wavre, Charleroi ou Courcelles. Evidemment, dans le cadre des restrictions sanitaires, la plateforme permet de limiter les présences de façon simple. Si chacun se signale, nous ne contrôlons pas le temps de travail. Ce n’est pas le but. Evidemment, le chef d’équipe doit pouvoir planifier les rendez- vous ou organiser le service à la clientèle. Mais chez Brutélé, nous gérons des projets, des tâches et des activités; pas des heures prestées. Nous visons la qualité du travail fourni et le respect des objectifs. D’ailleurs, les 37 heures/semaine sont gérées sur base annuelle. Tous les deux mois, je reçois un rapport sur les heures prestées. Il s’agit de voir si certains ont beaucoup trop ou trop peu prestés et je le signale aux chefs d’équipe.”

La plateforme permet de s’inscrire en télétravail, évidemment. Ou de choisir les bureaux dans lesquels on veut aller travailler: Bruxelles, Wavre, Charleroi ou Courcelles.”

Eric Thomas (Brutélé)

Bien sûr, en dehors du cas précis de Brutélé, on ne peut empêcher certains de voir dans ce “pointage à la maison” une façon de contrôler. Il faut tout de même reconnaître des limites à ce contrôle (“je me suis signalé mais qui dit que je ne regarde pas Netflix?”) et, surtout, dans ce contexte si particulier de la pandémie, y voir une volonté d’accompagner les employés dans la gestion de leur autonomie et de leur flexibilité. Pas si simple si on en croit les problèmes de santé mentale évoqués ces derniers temps dont le burn-out digital.

“En tant que manager, je vois cet enregistrement du temps comme un indicateur, conclut Sophie Henrion. Il donne un cadre pour détecter ce qui ne va pas mais aussi pour aider ceux qui sont perdus et n’osent pas le dire. Ou pour dire à l’un ou à l’autre qu’il doit lever le pied. Je supervise 22 personnes et je ne peux pas suivre tout le monde tous les jours. Donner de l’autonomie et de la flexibilité à distance c’est aussi, puisqu’on ne contrôle pas, conclure un contrat moral de responsabilisation. Chez Protime, nous allons lancer l’envoi d’un e-mail bi-hebdomadaire pour que chacun voie où il se situe. Tout le monde n’est pas capable de s’autogérer ou de s’organiser. Notre outil ne fait pas perdre de l’autonomie mais il permet, au contraire, de bien l’organiser.”

Quatre télétravailleurs sur dix ne sont pas monitorés

Dans cette problématique de l’enregistrement du temps de travail et des réactions contrastées qu’il engendre, Protime a voulu objectiver la situation belge. Avec iVOX, le leader du marché a interrogé 1.000 Belges francophones qui, depuis le début de la pandémie, travaillent souvent ou constamment à la maison. Que ressort-il de ce panel représentatif des Wallons et des Bruxellois? D’une part, que le temps de travail de quatre télétravailleurs sur dix (39,8%) n’est pas enregistré. Pour mettre les choses en perspective, 60,2% sont donc soumis à un monitoring. C’est moins qu’en présentiel où le chiffre était de 65,7%. Quand l’enregistrement a lieu, il se fait principalement via un système sur PC ou laptop (52,6%), via un fichier Excel (22,1%), via une appli mobile (21,7%), sur papier (13,1%) ou sur base d’un autre moyen non spécifié (8,1%). Restait alors à objectiver les réactions des télétravailleurs face à ce monitoring à distance. Sans surprise, elles se chevauchent puisque 62% conviennent que c’est une manière de mieux dissocier vie privée et vie professionnelle mais ils sont quasi autant à penser (57%) qu’il s’agit d’un moyen de contrôle de l’employeur. Enfin, deux autres chiffres méritent notre attention dans le cadre de la gestion du bien-être à distance. 17,8% des personnes interrogées admettent commencer leur journée plus tôt et la finir plus tard en télétravaillant. Et une majorité (55,8%) estime aussi que travailler à la maison brouille davantage la frontière entre vie privée et vie professionnelle.

Attention à la législation

On l’a vu, les cols blancs se sont vu octroyer plus d’autonomie et de flexibilité dans la gestion de leur travail. En Belgique, l’enregistrement du temps n’est obligatoire que dans deux cas: les horaires décalés et les salariés à temps partiel qui s’écartent de leur horaire normal. Mais attention, en mai 2019, la Cour de justice européenne, dans une affaire qui opposait un syndicat espagnol à la Deutsche Bank, a stipulé que la protection sociale des travailleurs n’était pas garantie sans un système d’enregistrement des heures objectif, fiable et accessible. La Belgique estime ne pas être liée par cette décision. Toutefois, le tribunal du travail de Bruxelles, en mai dernier, a utilisé ce précédent judiciaire pour la première fois pour statuer en faveur d’une travailleuse licenciée: elle a droit à des heures supplémentaires même si elle ne fournit aucune preuve. Le poids de la preuve incombe à l’entreprise. On le voit, comme dans le cas des statuts trop rigides, la législation belge aurait bien besoin d’un dépoussiérage pour associer, dans les textes, la gestion moderne du temps de travail à l’heure du digital et une protection adéquate des uns et des autres.

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