Les doutes sur la voiture à hydrogène, battue par les véhicules électriques à batterie?

La Toyota Mirai, l'une des rares voitures, avec la Hyundai Nexo, à rouler à l'hydrogène. © PG
Robert Van Apeldoorn
Robert Van Apeldoorn Journaliste Trends-Tendances

Pourquoi tant de constructeurs automobiles boudent-ils ce carburant si prometteur et si propre, soutenu à coup de milliards d’euros par l’Union européenne, la Belgique, la France et l’Allemagne?

“Je vais sans problème en vacances en Bretagne avec ma voiture à hydrogène”, indique André Bertin, CEO de Coxepair, une entreprise spécialisée dans les matériaux composites aéronautiques. C’est un pionnier: il représente à lui seul 2% du marché belge de la voiture à hydrogène dont le parc ne dépasse pas… les 48 exemplaires, sur un total de plus de 5,8 millions de véhicules. Il roule dans une Hyundai Nexo, l’une des rares automobiles, avec la Toyota Mirai, à utiliser ce carburant très particulier. Le principe? L’hydrogène est converti en électricité au fur et à mesure de son utilisation via une pile à combustible qui alimente ensuite un moteur électrique.

André Bertin fait le plein en quelques minutes, mais il doit pour cela chercher les rares stations à hydrogène: il y en a deux en Belgique (bientôt huit). “Pour les vacances en Bretagne, je parviens à faire le plein à Paris, puis à Vannes”, explique-t-il. Il a parcouru 27.000 km sans souci notable mais il est sans doute le seul particulier en Belgique à rouler à l’hydrogène. Il doit aussi être prêt à essuyer les maladies de jeunesse: “Cela me rappelle quand j’ai découvert internet au début des années 1990, quand c’était quasiment inconnu”, s’amuse-t-il.

Optimiser l’éolien et le solaire

Cela fait plusieurs décennies que l’hydrogène est présenté comme le carburant de l’avenir. L’Union européenne, la Belgique, l’Allemagne et la France misent des milliards d’euros sur ce gaz pour décarboner les grandes sources de CO2 (industries, transports, etc.), notamment à travers les plans de relance et le Pacte vert pour l’Europe. Des milliards d’euros sont prévus, entre autres pour encourager la production d’hydrogène vert par électrolyse au départ d’éoliennes ou de panneaux solaires, puisqu’une partie du courant produit par ceux-ci est perdue lors des creux de la demande. Le stockage de masse de l’électricité reste très difficile, voire impossible. Donc, la conversion en hydrogène offre une solution avec un gaz utilisable sous diverses formes dans l’industrie ou les transports (camions, avions, navires, trains, voitures) et de différentes manières (combustion, pile à combustible, etc.) avec zéro émission de CO2.

André Bertin a parcouru 27.000 km sans souci notable avec sa Hyundai Nexo.

Pourtant, l’industrie automobile européenne reste sceptique. Sa solution zéro carbone à elle, c’est avant tout l’électrification directe des véhicules avec des batteries rechargeables. Le groupe Volkswagen a investi des dizaines de milliards dans cette technologie. Mercedes a abandonné un projet de voiture à hydrogène tout en continuant de s’intéresser à cette technologie pour les camions (en joint-venture avec Volvo). Les Français sont également tièdes sur ce gaz, sauf pour les utilitaires. Seuls des constructeurs asiatiques y croient, Toyota et Hyundai en tête.

Une voiture à hydrogène a besoin de trois à quatre fois plus d’éoliennes qu’une électrique pour parcourir la même distance, ce qui la rend trois à quatre fois plus chère pour se déplacer”, a critiqué Herbert Diess, le CEO du groupe Volkswagen, lors d’une conférence organisée par PwC sur les énergies propres. “C’est la raison pour laquelle de plus en plus de constructeurs abandonnent les piles à combustibles.” Les chiffres lui donnent raison: dans l’Union européenne, à peine 749 voitures à hydrogène ont été immatriculées en 2020 (483 en 2019) contre 538.772 voitures électriques classiques.

Les doutes sur la voiture à hydrogène, battue par les véhicules électriques à batterie?

Déperdition importante

“C’est exact que la déperdition d’énergie est nettement plus importante dans le modèle de la voiture à hydrogène”, reconnaît André Bertin, qui est aussi ingénieur. La conversion de l’électricité d’une éolienne (ou de panneaux solaires) en hydrogène entraîne cette déperdition, et la transformation de ce gaz en électricité dans le véhicule génère une autre perte. A l’arrivée, 80% de l’énergie est dissipée sur tout le cycle, contre 30% de pertes seulement pour une voiture à batteries rechargeables (voir infographie). “Mais la production d’électricité par éolienne ou panneaux solaires est de moins en moins chère et cette déperdition est moins problématique qu’on ne le pense”, tempère André Bertin, qui a également introduit un charriot élévateur Toyota à hydrogène dans son entreprise.

Il n’empêche, un groupe comme VW préfère encore investir plus de 30 milliards d’euros dans les voitures électriques à batteries, espérant qu’elles atteignent 70% des ventes en 2030. Certains conservent toutefois un orteil dans la voiture à hydrogène: BMW collabore avec Toyota pour sortir un SUV basé sur la X5, en petite quantité en 2022, mais le gros de ses voitures zéro émission restera électrique.

“Chacune leur mérite”

“C’est une erreur d’opposer les automobiles électriques à batteries et les voitures à hydrogène, avance de son côté Joris Proost, professeur à l’Ecole Polytechnique de l’UCLouvain. Elles ont chacune leurs mérites. La voiture à batteries est plus efficiente en termes énergétiques si l’on prend l’ensemble du cycle de production de l’énergie, c’est vrai, mais la voiture à hydrogène est plus rapide à charger. Et les stations, dans un contexte de volume, sont moins coûteuses qu’un système de bornes de recharge électrique. Je vais oser la comparaison avec le Covid. Pour combattre ce dernier, on a besoin de plusieurs vaccins. De la même manière, pour arriver à rouler en zéro carbone, nous aurons besoin de plusieurs technologies.” Le professeur ajoute qu’il est prêt à passer à l’hydrogène “car il y aura bientôt une station dans mon coin, à Louvain.”

Si la voiture électrique à batteries semble, pour l’heure, l’emporter en Europe, c’est que les constructeurs ne peuvent investir dans deux technologies zéro carbone de front. L’électrique à batteries leur semble plus compétitive et plus séduisante car elle peut être rechargée à domicile ou au bureau, en attendant qu’un réseau de bornes publiques se développe. Ce qui n’est pas le cas pour l’hydrogène, pour lequel il faut des stations délivrant le gaz liquide à une pression de 700 bars, encore trop peu nombreuses en Europe. Du coup, l’offre est minime, même si Toyota a sorti une nouvelle Mirai plus attractive.

C’est une erreur d’opposer les autos électriques à batteries et les voitures à hydrogène.”

Joris Proost (UCLouvain)

“Il sera très difficile pour les voitures de concurrencer cette technologie”, estime William Todts, directeur exécutif de l’ONG Transport & Environment. Il voit l’hydrogène plutôt dans des systèmes plus lourds, comme les camions, les avions, les trains, pour lesquels l’électrification par batteries est compliquée, voire impossible. Le coût de production de l’hydrogène vert est aussi un souci: 6 euros le kilo, contre 1,4 euro pour l’hydrogène gris. L’ONG pense que le prix va baisser mais pas de manière compétitive avant 2030, par rapport au coût de l’électricité pour les voitures à batteries.

Les limites du rechargeable

Joris Proost insiste sur le fait que nous sommes juste au début de l’histoire. Pour le moment, 95% de la production de ce gaz provient d’une transformation du gaz naturel ; c’est l’hydrogène dit “gris” car le processus génère du CO2. La production d’hydrogène vert, elle, reste encore à développer. Elle sera fonction de l’évolution de celle de l’électricité renouvelable. “On considère que l’on ne peut utiliser que maximum 10% du renouvelable pour produire de l’hydrogène vert”, précise Joris Proost.

Il y a encore tout un travail d’organisation, d’investissements, de développements, de dimensionnement, pour définir les usages qui seront dévolus à l’hydrogène vert et l’hydrogène bleu (celui produit au départ de gaz naturel, donc gris à l’origine, en capturant le CO2 issu du processus pour le rendre “propre”). “L’hydrogène vert, le plus pur, convient aux systèmes utilisant des piles à combustible, tandis que l’hydrogène bleu, moins pur, est adapté à un usage en combustion, dans des turbines à gaz par exemple”, explique Joris Proost.

Dans plus de 10 ans, il n’est pas exclu que la voiture à hydrogène devienne pertinente. “Si l’on pousse à fond la vente des voitures à batteries, on atteindra peut-être des limites dans la gestion des réseaux électriques, avec donc des contraintes pour la recharge, qui rendront la voiture à hydrogène plus attractive. On pourrait avoir besoin des deux technologies“, analyse le scientifique de l’UCLouvain.

L’exception japonaise

Comment se fait-il que les constructeurs asiatiques, eux, soient si chauds sur l’hydrogène? Hyundai, polythéiste, mise à la fois sur les voitures à batteries et les véhicules (automobiles et camions) à hydrogène. Toyota croit davantage à la pile à combustible. “Mais pas tellement pour valoriser les énergies renouvelables, observe Joris Proost. Je me suis rendu compte que le Japon compte peu d’éoliennes, le pays étant très sensible aux tremblements de terres et aux typhons, qui font que des pannes d’électricité peuvent survenir. Dans ce contexte, la voiture à hydrogène offre une plus grande sécurité.” D’ailleurs, la brochure de la nouvelle Toyota Mirai fait état d’un dispositif pour subvenir aux besoins électriques de son domicile en proposant une alimentation de secours au départ de la voiture en cas de situation d’urgence. La pile à combustible sert alors de générateur pour la maison.

Comment ça marche?

  • Voitures électriques. Les voitures à hydrogène sont en réalité des véhicules électriques, mais le courant est produit par une pile à combustible alimentée par de l’hydrogène stocké dans des réservoirs.
  • Réservoir. L’hydrogène est stocké à haute pression dans des réservoirs robustes en matériaux composites. Une Toyota Mirai compte trois réservoirs d’une capacité totale de 5,6 kg, pour rouler 500 à 600 km.
  • Stations. Le plein se fait comme pour une voiture à essence ou au gasoil, à des stations où l’hydrogène est injecté dans les réservoirs en quelques minutes. La Belgique compte deux stations (Zaventem et Hal).
  • Coût. La Hyundai Nexo est vendue 80.499 euros et la Toyota Mirai, 75.020 euros. L’hydrogène, pressurisé à 700 bars, coûte environ 10 euros par kilo à la pompe. Joris Proost (UClouvain) pense que le tarif pourrait descendre à 7,5 euros le kilo, un coût équivalent aux autres carburants.
  • Statistiques. Sept immatriculations en Belgique en 2020 (vs 14.987 électriques). Idem en 2019. Mais déjà 13 immatriculations les deux premiers mois de 2021 (nouvelle Toyota Mirai).

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