“Le football européen est au bord d’un krach systémique”

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L’UEFA présente aujourd’hui un nouveau rapport précisant les modalités du “fair-play financier” censé réguler les transactions dans le football européen et assainir les finances des clubs. La réaction d’Olivier Ferrand, directeur de la Fondation Terra Nova, et coauteur du rapport “Changer ou disparaître, quel avenir pour le football ?”, paru en mars 2011.

Comment décrire la situation actuelle du football professionnel ?

Le football européen est au bord d’un véritable krach systémique. La bulle spéculative, dans laquelle il se trouve, risque d’éclater prochainement et, si c’est le cas, c’est tout le système qui est menacé. Les recettes commerciales des clubs ne couvrent pas leurs dépenses, qui ont explosé en même temps que les salaires des joueurs depuis l’arrêt Bosman (1995). Ces derniers représentent jusqu’à 80, 90, voire 95% du budget du club, c’est complètement fou! Les clubs ont un déficit structurel récurent. Le PSG, par exemple, n’a pas connu l’équilibre financier depuis 15 ans.

Qu’est-ce qui, selon vous, a provoqué cette dérive ?

On peut mettre en avant trois expédients. Le premier, c’est le surendettement. Cumulées, les dettes des clubs européens s’élèvent à 15 milliards d’euros environ. Ce phénomène, apparu au début des années 1990, a été rendu possible par une manipulation comptable, qui consiste à transformer les joueurs sous contrat en actifs financiers. En d’autres termes, la valeur supposée des joueurs est intégrée aux comptes du club.

Les plus-values financières sur la vente de joueurs constituent le deuxième expédient. Un club achète un joueur, puis le revend plus cher, ce qui lui permet de financer une partie de son déficit. Cela entraîne une hausse constante des prix du marché, qui atteignent des sommes astronomiques, comme le transfert de Ronaldo à Madrid (94 millions d’euros). A l’image de Pastore à Paris, des joueurs sont achetés pour des sommes bien supérieures à leur valeur. Le marché des joueurs ressemble maintenant à celui des subprimes : s’il se retourne, c’est le krach généralisé.

Enfin, le troisième expédient, et sûrement le plus inquiétant, est l’arrivée de mécènes dans le football. En investissant sans logique de rentabilité, souvent pour valoriser leur image, ils perturbent le marché et entretiennent de fait la bulle spéculative. C’est typiquement le cas du Qatar avec le PSG.

Le fair-play financier, qui imposera au club de ne pas dépenser plus que ce qu’ils accumulent comme recettes, est-il suffisant?

Le problème du fair-play financier, et de Michel Platini, c’est qu’il attaque le problème en biais. Cela va poser deux problèmes : celui des salaires, qui ne seront toujours pas plafonnés, et celui de l’application des règles. Que va-t-on faire si tous les grands clubs ne les respectent pas ? Les éliminer des compétitions européennes ? Ce n’est dans l’intérêt de personne. Je m’interroge donc sur la capacité de l’UEFA de mettre en oeuvre les sanctions prévues.

Que proposez vous de votre côté ?

Premièrement, la mise en place d’un salary cap (salaire maximum) pour les joueurs, à l’image de ce qui se fait en NBA, par exemple. Deuxième chose, la fin des prix de transfert. Là aussi, les Etats-Unis ont valeur d’exemple : en NBA ou en MLS (championnat de soccer nord-américain), les clubs ne font pas de plus-values financières sur les transferts. Du coup, mécaniquement, les joueurs ne pourront plus être considérés comme des actifs financiers. On peut également imaginer un système semblable à la draft en NBA * pour plus d’équité sportive. Enfin, il faut évidemment appliquer les règles du fair-play financier.

Avec ces mesures, ne craignez-vous pas que les meilleurs joueurs ne s’exportent hors d’Europe ?

C’est vrai que l’exemple de Samuel Eto’o (qui a signé au club russe d’Anzhi pour un salaire record) est le parfait exemple d’un joueur capable de s’exporter pour l’argent. Mais pour le reste, ce ne sont que des joueurs en fin de carrière. Je pense qu’à ce stade, le championnat européen n’a pas de concurrent sérieux et qu’il restera attractif malgré tout.

Cela voudrait dire aussi que les droits TV baisseraient, et donc que le prix des abonnements aussi ?

Tout à fait. C’est plutôt cool, non ?

Propos recueillis par Yann Duvert, L’Expansion.com

* En NBA, un classement des meilleurs jeunes joueurs est établi avant chaque début de saison. Lors de la draft, les franchises choisissent lequel d’entre eux va intégrer leur équipe. Pour plus d’équité sportive, un tirage au sort détermine qui choisira en premier, avec un pourcentage de chance plus élevé pour le dernier du championnat précédent, puis un peu moins élevé pour l’avant-dernier, etc. On peut tout de même souligner qu’il s’agit là d’un championnat élitiste, où les équipes (des franchises et non pas des clubs) sont les mêmes chaque saison, sans montée ni relégation (à part si une franchise fait faillite).

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