Le “démissionnaire silencieux” est-il un employé heureux?

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” Quiet quitting ” ou ” démission silencieuse “, ce concept venu des États-Unis a infiltré notre vocabulaire corporate, avide d’anglicismes. En quoi consiste réellement ” le quiet quitting ” ? Est-il pratiqué chez les travailleurs belges et comment le gérer ? Éclairage avec Ans De Vos, Professeure à l’Antwerp Management School (AMS).

Le “quiet quitting” – ou “démission silencieuse” – est un néologisme originaire des États-Unis. La pratique consiste à effectuer son travail au strict minimum, sans fournir d’heures ni d’efforts supplémentaires, au lieu de quitter son emploi. Pour certains employés, il s’agit plutôt de se ménager afin de réduire le stress et d’éviter le burn-out. Le phénomène est devenu viral sur les médias sociaux, en particulier au sein de la genZ, grâce, entre autres, à cette vidéo TikTok de Zaid Khan visionnée plus de 3 millions de fois en quelques semaines cet été.

Ans De Vos: C’est un phénomène de société. Une partie des travailleurs, les jeunes principalement, ont perdu le sens de leur travail. Ils se posent beaucoup de questions sur leur mission. Il y a différentes interprétations. On peut voir le “quiet quitting” comme un problème micro sociétal. Mais, à plus grande échelle, on observe aussi que certains employés relocalisent davantage sur le coeur de leur fonction, et tentent de ralentir le rythme. Ils prestent moins d’heures supplémentaires, acceptent moins de tâches pour ne pas être submergés et préserver leur santé mentale. Le concept revêt alors une signification plus positive. C’est un comportement plus sain pour se préserver d’un burn-out.

Le terme “quiet quitting” n’est alors pas vraiment approprié si on se focalise sur l’essence de son job pour se protéger d’un surmenage. Mais, quand on cache à son employeur qu’on fait le strict minimum, c’est différent.

On observe ce comportement davantage chez les jeunes générations, pourquoi ?

Ce n’est pas un hasard si cette tendance est particulièrement perceptible chez les jeunes. Nombreux sont ceux qui n’ont pas bénéficié d’un démarrage en entreprise classique, et qui n’ont donc pas appris ce qu’est un comportement dit “normal” au bureau en observant leurs collègues. Cela ne veut pas nécessairement dire que la génération de travailleurs plus âgés ne pratique pas le “quiet quitting”. C’est juste moins visible chez eux car ils ne le montrent pas ouvertement sur les réseaux sociaux.

L’influence des réseaux sociaux sur la génération Z, TikTok, instagram en tête, est très grande.

L’influence des réseaux sociaux, TikTok, instagram en tête, est très grande. On voit dans nos recherches des différences entre les générations. Les plus jeunes se sentent beaucoup moins investis dans leur job. Ils attendent plus de compréhension de la part de leur entreprise au niveau privé et ont plus d’attentes d’équilibre vie privée-vie professionnelle.

Est-ce une conséquence de la pandémie ?

Oui, la pandémie a transformé notre façon de travailler. Les jeunes travailleurs n’ont jamais eu un réel lien physique avec leur lieu travail. Ils n’ont pas observé comment les gens se parlent et interagissent au bureau, combien de temps les collaborateurs passent à la machine à café… En quelque sorte, ils n’ont pas été éduqués aux pratiques en entreprise, car ils sont restés chez eux la plupart du temps depuis le début de leur contrat. Qu’est qu’un travailleur ? Ils n’ont pas cette notion, cette référence. Ils se fient plutôt à ce qu’ils voient passer sur les réseaux sociaux plutôt qu’à leurs collègues. La pandémie, la révolution numérique et la guerre des talents, tous ces éléments combinés ont accentué ce phénomène. De nombreux paramètres sont réunis actuellement pour créer une “tempête parfaite” propice à ces comportements.

De nombreux paramètres sont réunis actuellement pour créer une “tempête parfaite” propice à ces comportements.

La démission silencieuse est-elle liée à la “grande démission” qui sévit notamment aux États-Unis ou plus près de nous, en France ? On pourrait croire que le “quiet quitting” apporte plus de sécurité que de démissionner en pleine crise économique ?

Il est difficile de mesurer si de nombreux travailleurs pratiquent le “quiet quitting” en Belgique. Il est aussi difficile de comparer les marchés du travail américain et belge dans ce contexte. Ils sont en réalité très différents. Dans les entreprises belges, on ne remarque d’ailleurs pas de “big quit”, de grande démission. Les employés, et les jeunes sont beaucoup moins à la recherche d’un nouveau job comme c’est le cas outre-Atlantique et dans d’autres pays en Europe.

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Le “quiet quitting”, ou la loi du minimum syndical.© GETTY

Un “démissionnaire silencieux” peut-il être un travailleur heureux ou est-ce la dernière étape avant la démission ?

Pour moi, quand on pratique la “démission silencieuse” dans le sens de faire le strict minimum, au lieu d’éviter le surmenage, c’est la dernière étape avant la démission. Si une personne ne trouve plus de sens dans son job, ne se sent pas respectée, il sera plus sain pour elle de partir et de trouver un autre job. Sinon, elle ne sera pas heureuse à rester dans sa fonction même en faisant le minimum syndical.

Est-ce une menace pour l’employeur ?

Le “quiet quitting” est un risque pour l’employeur, car il n’est pas visible. Les employés réduisent leur investissement et cela peut se faire ressentir parmi les collègues. Ce qui me marque c’est que le concept est beaucoup discuté dans les médias, sur les réseaux sociaux, mais pas dans les entreprises. C’est un sujet tabou. Et pour une organisation, c’est dangereux de le nier. En tant qu’employeur, il faut, au contraire, lutter contre la culture du silence. L’employeur doit aussi savoir comment se sentent ses travailleurs, quelles sont leurs attentes. Les dirigeants doivent pouvoir se regarder dans le miroir et changer leur fonctionnement si nécessaire.

En libérant la parole et en levant le tabou, les relations et les comportements peuvent déjà changer dans le bon sens.

Cette perte de valeurs, tous ces employés en recherche de sens, est-ce une nouvelle lame de fond dans le milieu du travail ?

C’est une tendance sur le long terme. On doit revoir comment on organise le travail, quelles sont les interactions entre un employé et un employeur, il faut redéfinir le contrat de travail qui unit les deux parties. Cette transformation était latente, mais les choses ont explosé avec la pandémie suite à l’instauration structurelle du télétravail et la nouvelle manière d’organiser le travail.

Comment éviter le “quiet quitting” au sein des travailleurs ?

Bien souvent, les gens n’osent pas parler de leur santé mentale, de la perte sens qu’ils éprouvent vis-à-vis de leur job à leur supérieur, car ils ont peur des conséquences négatives. C’est un vrai problème. Les entreprises ont l’immense responsabilité de discuter de ce genre de sujets avec leurs employés. C’est d’autant plus important pour les jeunes travailleurs qui n’ont pas côtoyé beaucoup leur supérieur à cause du télétravail instauré depuis la pandémie.

Le dialogue est primordial pour trouver des solutions et éviter que les employés pratiquent le “quiet quitting” aux dépens de l’entreprise pour laquelle ils travaillent. En libérant la parole et en levant le tabou, les relations et les comportements peuvent déjà changer dans le bon sens.

Après le “quiet quitting”, le “quiet firing”, la mise au placard 3.0

Dans la même tendance que le “quiet quitting”, le “quiet firing”, ou le fait de licencier “sans bruit”, fait référence aux comportements des managers qui licencient indirectement les travailleurs en les empêchant d’accéder à des possibilités d’évolution sur le lieu de travail. Cette attitude malveillante passe par la démotivation du travailleur en lui assignant de tâches monotones ou irréalistes. Ces patrons refusent à répétition des congés à leurs collaborateurs, leur retirent progressivement et sournoisement leurs responsabilités, les poussant au bore out ou de brown out et, in fine, à la démission. On parle aussi de “mise au placard 3.0”.

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