La responsabilité sociale des entreprises? Si les résultats suivent…

La mise à pied d'Emmanuel Faber est-elle réellement la conséquence de ses positions jugées iconoclastes? © GETTY IMAGES
Jérémie Lempereur Journaliste Trends-Tendances - retail, distribution, luxe

Une politique forte de responsabilité sociale des entreprises (RSE) n’a en théorie aucun lien avec la longévité des CEO. Sauf quand les performances financières dérapent, la plupart du temps pour d’autres raisons. Les patrons engagés dans cette voie ont alors deux fois plus de risques de se voir indiquer la porte de sortie.

La mise à pied d’Emmanuel Faber, d’abord de la direction générale et ensuite de la présidence du géant mondial de l’alimentation Danone, a lancé le débat. D’un côté, ceux qui estiment que le dirigeant a fini par payer ses nombreux investissements en responsabilité sociale et environnementale ainsi que ses positions parfois jugées iconoclastes contre le capitalisme débridé de Milton Friedman – ou quand les actionnaires activistes virent le patron humaniste. De l’autre, ceux qui, pragmatiques, observent les résultats et en concluent que le désormais ex-PDG n’a tout simplement pas répondu aux attentes. Les performances boursières et la marge de l’entreprise sont en effet bien en-deça de celles de ses principaux concurrents, Nestlé et Unilever.

Certains affirment que les marchés financiers détestent la RSE. Ce n’est pas vrai. Ils ne sont en fait ni pour, ni contre.”

Jérôme Barthélemy (Essec)

Alors, quels enseignements tirer de cette éviction? Les patrons fortement engagés dans la voie de la RSE ont-ils plus de risques de se voir indiquer la porte de sortie? De puissants objectifs sociaux et environnementaux pèsent-ils automatiquement sur les performances financières d’une entreprise, du moins à court terme? La littérature scientifique sur le sujet permet d’apporter des réponses nuancées à ces questions.

Les marchés ni pour, ni contre

Une récente étude (*) menée auprès de plusieurs centaines d’entreprises américaines montre ainsi que l’importance accordée ou non par un patron à la RSE n’a, en tant que telle, aucun effet direct sur la longévité de ce patron. Les dirigeants qui investissent massivement dans la responsabilité sociale et environnementale ne courent ni plus, ni moins de risques de recevoir leur C4 que ceux qui ne s’y intéressent pas, ou dans une moindre mesure. “Certains affirment que les marchés financiers détestent la RSE. Ce n’est pas vrai, conteste Jérôme Barthélemy, professeur de stratégie et directeur général adjoint de l’Essec Business School, à Paris. Ils ne sont en fait ni pour, ni contre.”

En revanche, l’étude met en lumière – et c’est là tout son intérêt – le fait que les investissements en RSE exacerbent l’impact des performances financières sur le sort que les actionnaires réservent aux dirigeants. Dit plus simplement: quand un patron mise sur une RSE forte, mieux vaut que les résultats financiers suivent!

Si les performances financières sont à la hauteur, les marchés valorisent fortement les investissements en RSE. “Le patron est en quelque sorte considéré comme un génie puisqu’il démontre qu’il parvient à allier les deux”, affirme notre expert. Il aura, d’après l’étude, deux fois moins de risques de perdre son poste qu’un dirigeant qui fournit de bons résultats mais n’accorde pas beaucoup d’importance à la RSE. Inversement, si les performances sont mauvaises, un patron qui investit fortement en RSE aura deux fois plus de risques d’être débarqué que son confrère qui délivre les mêmes mauvais résultats financiers mais accorde moins d’importance à la responsabilité sociale et environnementale. “Cette dernière apparaît suspecte quand l’entreprise va mal, explique Jérôme Barthélémy. Le raisonnement des marchés est le suivant: la RSE a déconcentré le patron, qui en a oublié la performance économique. C’est impardonnable!”

Pas de lien entre RSE et performances financières

Si faire de la RSE exacerbe donc l’impact des performances financières sur le sort du dirigeant, il est par ailleurs important de souligner que les deux ne sont pas forcément liés. En réalité, le sujet est éminemment idéologique. Prenez les études publiées dans les revues scientifiques spécialisées dans l’éthique: elles montreront plutôt un lien positif entre les investissements en RSE et les performances financières d’une entreprise. Les études publiées cette fois dans les revues dédiées à l’économie et la finance auront, elles, davantage tendance à démontrer un lien neutre, voire négatif. C’est l’illustration d’une certaine méfiance des économistes à l’égard de la RSE, qui aurait obligatoirement une incidence négative sur la rentabilité des entreprises.

Certaines politiques environnementales peuvent engendrer moins de rentabilité à court terme.”

Marek Hudon (Solvay Brussels School)

Mais si l’on regroupe toutes les études en la matière, on remarque qu’il n’y pas de lien – ou un lien légèrement positif – entre RSE et performances économiques. “Certains tiennent un discours selon lequel la RSE permettrait de créer de la valeur, d’améliorer les performances économiques. La recherche montre que ce n’est pas le cas, explique Jérôme Barthélemy. Elle ne rapporte pas, mais ne coûte pas non plus.”

Moins de rentabilité à court terme

Des chercheurs se veulent cependant plus nuancés. C’est le cas de Marek Hudon, professeur de finance durable à la Solvay Brussels School (ULB). Oui, dit-il, les méta-analyses agrégeant différentes études d’impact ont tendance à montrer que les performances économiques et écologiques ne sont pas toujours liées. Mais tout dépend des décisions concrètes qui sont prises. “Il peut y avoir des politiques gagnant-gagnant, assure-t-il. Performances environnementales et économiques sont alors positivement liées. Je pense notamment aux économies d’énergie. A contrario, des décisions visant à améliorer l’impact sociétal peuvent aussi avoir un certain coût et faire baisser la rentabilité. Certaines politiques environnementales peuvent ainsi engendrer moins de rentabilité à court terme. Chez Danone, si les actionnaires ont mis en avant la comparaison avec les résultats de Nestlé et Unilever, il faut aussi noter que la RSE est particulièrement forte. Le récent passage au statut d’entreprise à mission (Danone est la première entreprise cotée de cette taille à adopter ce statut, Ndlr) exige une évaluation annuelle de la contribution sociétale du groupe par un board indépendant, ce qui nécessite un reporting beaucoup plus important, de nouveaux indicateurs, etc. Tout cela ajoute de la complexité et renforce la pression.”

En conclusion, s’il est vrai que la multinationale affiche des standards plutôt élevées en matière de RSE et que son ex-dirigeant était une figure pour le moins atypique du Cac40, on peut toutefois affirmer qu’il a surtout payé ses mauvais résultats, ceux-ci étant essentiellement le fait d’autres facteurs que l’accent mis sur la responsabilité sociale et environnementale. On a notamment évoqué des errements stratégiques quant à certaines acquisitions. Cependant, si l’on se réfère à l’étude portant sur la longévité des CEO engagés dans la voie de la RSE, il n’est pas exclu que l’ex-PDG de Danone, en raison de ses mauvais résultats, ait été plus rapidement débarqué qu’un patron qui aurait délivré les mêmes résultats sans fanfaronner autour de l’environnement et du capitalisme à visage humain. “On lui reproche d’autant plus d’avoir délaissé le business”, conclut Jérôme Barthélemy. Pour en avoir le coeur net, reste à suivre avec attention ce qu’il adviendra du statut d’entreprise à mission et des initiatives de responsabilité sociale mises en place ces dernières années par le numéro un mondial du yaourt.

(*) Hubbard, T.D., Christensen, D.M. et Graffin, S.D., 2017, Higher Highs and Lower Lows: The Role of Corporate Social Responsability in CEO Dismissal, Strategic Management Journal, vol. 38, n°11.

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