Deal of the Year: comment attire-t-on KKR et Bill Gates dans son capital?
Séduire de tels investisseurs n’a pas été une mince affaire mais a permis à la biotech de Jumet d’être fin prête pour entrer sur le Nasdaq l’an prochain.
Une entreprise wallonne qui attire dans son capital des investisseurs tels que KKR, Bill Gates et George Soros méritait bien d’être récompensée par le jury de Trends et Trends-Tendances qui lui a décerné le titre de Deal of the Year.
Univercells, le groupe biotech carolorégien, a en effet levé l’an dernier 120 millions d’euros via une double opération. Dans la première, elle a séduit la plate- forme spécialisée Gamma Biosciences de KKR, qui injecte 50 millions d’euros dans Univercells Technologies, la filiale d’Univercells spécialisée dans la fabrication et la commercialisation d’équipements tels que des bioréacteurs ou des unités intégrées de production de vaccins et de vecteurs viraux. Ces fonds serviront à développer le portefeuille de produits et financer d’éventuelles acquisitions.
Déstructurer pour restructurer
“L’arrivée de KKR est le résultat d’une histoire personnelle, explique Hugues Bultot, CEO d’Univercells. Voici six ans, lorsque j’étais encore CEO de MaSTherCell, j’avais croisé Kugan Sathiyanandarajah, la personne de référence chez KKR en Europe pour ce type de dossier. Je lui avais rendu visite deux fois à Londres, nous avions sympathisé. J’avais été transparent avec lui, ce qu’il avait apprécié. Le deal ne s’était pas fait mais nous étions restés en contact et en avril 2019, j’ai senti une ouverture.” Hugues Bultot prend alors son bâton de pèlerin, va voir l’équipe de KKR à Palo Alto, laquelle décide de s’intéresser à la société belge. “Mais pour réaliser cet investissement, KKR avait ajouté un prérequis, poursuit Vincent Vanderborght, le directeur financier d’Univercells. Nous devions filialiser les activités dédiées aux équipements et au manufacturing”. Car le fonds américain n’était intéressé que par cette activité spécifique.
Tout est déjà mis en place pour pouvoir défendre le dossier devant les autorités boursières américaines.”
Vincent Vanderborght, directeur financier d’Univercells
“Nous avons dû nous déstructurer, puis nous restructurer”, souligne Hugues Bultot. Un exercice qui n’est pas des plus simples et auquel Univercells va s’atteler au cours du premier semestre 2020. Le groupe redécoupe alors ses activités en quatre filiales: Univercells Technologies (où KKR est présent), Exothera (qui abrite les activités de sous-traitance, ou CDMO dans le jargon), Unizima (spécialisée dans les transferts de technologies clé sur porte dans les pays émergents) et Quantoom Biosciences (active dans le développement clinique et les vaccins à ARN).
> Lire à ce sujet: Le défi d’Univercells: réduire le coût des vaccins ARN par… 100
Impact sociétal et rentabilité
Mais le travail ne s’arrête pas là. Car en parallèle, pour assurer le développement de ses autres métiers, Univercells travaille à une augmentation de capital de 70 millions d’euros, au niveau de sa maison mère cette fois.
Adjuvant Capital, un fonds de la galaxie de la Fondation Gates qui était déjà entrée au capital d’Univercells quelques années auparavant (via un autre véhicule, le Global Health Investment Fund) injectera 15 millions. Le reste sera apporté par d’autres fonds internationaux de premier plan (dont celui de la Fondation Soros) ainsi que la SFPI et la SRIW.
Pourquoi de telles signatures ont-elles été convaincues? “Elles ont pu apprécier la réalité de notre mission, qui est de favoriser l’accès aux médicaments ou aux vaccins à un prix abordable, de promouvoir la durabilité mais tout en proposant un business model rentable et un rendement sur investissement attractif. L’impact sociétal ne peut se concrétiser que si la pérennité financière de la société est assurée”, explique Vincent Vanderborght.
Univercells a donc levé en tout 120 millions d’euros l’an dernier. “Sans forfanterie, notre deal était un des plus compliqués, commente Hugues Bultot. Il a fallu atomiser notre ancienne structure centrale pour se restructurer. Il a fallu amener des investisseurs à deux niveaux. Il a fallu négocier avec des gens comme KKR qui sont ‘la crème de la crème’ avec une exigence technique très élevée. Et au niveau de notre augmentation de capital dans la maison mère, il a fallu une capacité didactique pour expliquer l’opération à des investisseurs très différents mais tous exigeants et n’acceptant pas l’argument d’autorité.”
Y a-t-il une recette pour attirer des investisseurs d’un tel niveau? “On pourrait écrire une thèse de doctorat sur le sujet”, répond Hugues Bultot qui pointe une série d’ingrédients tels la notoriété grandissante d’Univercells dans le marché ou le fait que le secteur dans lequel l’entreprise s’est positionnée, le bio manufacturing (l’utilisation de biomatériaux pour fabriquer des médicaments, Ndlr), a pris la lumière depuis cinq ou six ans.
Et puis, ajoute Hugues Bultot, “il faut être un peu commerçant dans l’approche, créer des liens personnels et réaliser un réseautage efficace, chacun dans son style mais avec honnêteté et sincérité”. Ensuite, il faut faire en sorte que “les gens qui se sont assis autour de la table ne la quittent pas”, ajoute le CEO d’Univercells qui souligne l’expertise, ainsi que le patient et rigoureux travail des équipes de Vincent Vanderborght. “Dans les négociations, il y a un moment où les parties s’opposent, dit-il. Et comme je suis le décideur en dernier ressort pour l’entreprise, j’ai parfois pris des positions tranchées qui n’étaient pas nécessairement appréciées par toutes les parties.”
Mais l’attractivité du business model et la dynamique de l’entreprise qui emploie aujourd’hui environ 400 personnes font boule de neige. Après avoir attiré de grands investisseurs anglo-saxons l’an dernier, Univercells a décroché un nouveau prêt de 30 millions de la BEI cette année. Il va permettre à Univercells de produire dans sa nouvelle usine de Jumet “de gros volumes de vaccins prophylactiques contre le Covid-19 et co-développer une réserve de vaccins”, précise la BEI.
“La crise sanitaire a constitué un accélérateur important de notre activité, poursuit Vincent Vanderborght. Nous nous sommes positionnés dans la lutte contre la pandémie, en mettant notamment des capacités de fabrication à disposition via notre CDMO Exothera. Et une nouvelle usine a été aménagée à Jumet pour produire des doses de vaccins.” Parallèlement, Univercells est en discussion sur d’éventuels nouveaux partenariats.
> Lire aussi: Le secret des vaccins low cost d’Univercells
IPO en vue
Et au programme l’an prochain? Univercells prévoit de s’introduire sur le Nasdaq américain. “Nous préparons cette entrée en Bourse depuis un certain temps déjà, ajoute Vincent Vanderborght. Elle est prévue pour l’an prochain et sera sans doute précédée d’une levée de fonds préparatoire avec des investisseurs spécialisés. L’organisation, le reporting financier, la compliance, l’organisation de la gouvernance: tout est déjà mis en place pour pouvoir défendre le dossier devant les autorités boursières américaines. Mais la date dépendra évidement de l’ouverture sur les marchés financiers d’une fenêtre pour une telle opération.” “C’est beaucoup de travail, conclut le directeur financier, mais cette introspection sur notre manière de fonctionner est intéressante et ne peut que bénéficier à l’entreprise.”
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