Le secret des vaccins low cost d’Univercells

Une plateforme NevoLineOutre l'intensification des trois étapes de fabrication du vaccin, celles-ci sont reliées entre elles de façon automatisée et continue. © PG
Jérémie Lempereur Journaliste Trends-Tendances - retail, distribution, luxe

La société carolo spécialisée en “bioprocessing” vient de dévoiler sa plateforme de production d’un vaccin à bas prix contre la polio. Une usine miniature financée en partie par la Fondation Bill et Melinda Gates et qui pourrait permettre à terme la production d’autres vaccins jugés non rentables par l’industrie pharmaceutique. Voici sa formule secrète.

La Fondation Bill & Melinda Gates avait accordé en 2016 un financement de 12 millions d’euros à Univercells pour aider la biotech wallonne à mettre au point sa plateforme de production d’un vaccin à bas prix contre la polio. Elle vient de lui verser un rabiot de 4 millions, histoire de financer les derniers développements cliniques de l’outil. ” Il a été envoyé à notre partenaire Batavia, qui va commencer à mettre en place la production du vaccin, explique Hugues Bultot, CEO de l’entreprise qu’il a cofondée en 2013 avec José Castillo, directeur technique. C’est la première fois qu’un partenaire externe validera notre plateforme sur toutes ses opérations unitaires. Après les tests de validation (l’équipement doit être approuvé par des autorités réglementaires), Batavia va lancer les premières productions de vaccins destinés aux études cliniques. La production de lots cliniques est une étape importante. ”

Nous avons pour objectif de développer des vaccins qui sont dans le domaine public, mais dont le procédé de fabrication date d’il y a 30 ou 40 ans. ” – Hugues Bultot, CEO d’Univercells

Univercells est par ailleurs à la recherche de partenaires pharma pour la production du vaccin. ” Ce sont des producteurs soit indiens, soit chinois, qui ont un intérêt à adopter notre plateforme pour la production du vaccin anti-polio dans le cadre des programmes post-éradication “, précise le responsable. Si l’entreprise assure donc qu’elle ne produira pas elle-même le vaccin anti-polio, elle explique ne pas encore savoir si elle se chargera de la fabrication des plateformes ou si elle cédera cette tâche à un partenaire externe.

” Ce sont des réflexions stratégiques que nous menons en permanence au niveau du CA, explique notre interlocuteur. Il y a quelques années, je vous aurais dit qu’il n’y avait aucune chance pour une jeune start-up de mener à bien à la fois l’industrialisation et la commercialisation. Mais aujourd’hui, nous nous sentons plus à l’aise au niveau de l’industrialisation et nous pensons même pouvoir aussi nous occuper de la commercialisation. Nous avons des contacts très étroits avec les grands équipementiers qui regardent avec intérêt ce que nous faisons. Il y a des discussions sur de potentiels partenariats stratégiques. Mais à ce stade, aucune décision n’a encore été prise. ”

Hugues Bultot, CEO d'Univercells
Hugues Bultot, CEO d’Univercells© PG

Moins de 30 cents la dose

Depuis sa création en 2013, Univercells s’est fixé pour objectif d’entrer dans le secteur des vaccins génériques et des médicaments biosimilaires en inventant de nouvelles méthodes de production innovantes permettant de réduire les coûts. ” La façon de produire est plus intelligente, plus efficace et coûte moins cher, assure Hugues Bultot. Nous avons pour objectif de développer des vaccins qui existent déjà, qui sont dans le domaine public, mais dont le procédé de fabrication date d’il y a 30 ou 40 ans. Cela s’explique par la contrainte réglementaire tout à fait particulière au secteur de la biotech et de la pharma. Dans l’appréciation des grands groupes sur les 30 dernières années, le risque de devoir repasser par les phases réglementaires et donc de devoir refaire des études cliniques est trop important par rapport à l’opportunité de redessiner leurs procédés industriels. ” Or, ces procédés sont coûteux et la production du vaccin anti-polio n’est plus vraiment rentable pour les grands groupes pharmaceutiques. Pourtant, la demande augmente de manière exponentielle avec l’arrivée de tous les pays émergents sur le marché de la vaccination. Fournir un vaccin inactivé par injection à une échelle suffisante et à des prix abordables était donc nécessaire pour maintenir l’éradication de la maladie.

C’est ce qu’est parvenu à faire Univercells avec sa plateforme NevoLine. Concrètement, une usine conçue avec quatre unités NevoLine pourra délivrer jusqu’à 50 millions de doses de vaccin anti-polio inactivé trivalent par an à moins de 30 cents la dose. Pour y parvenir, la biotech s’est tout simplement attaquée au coût nécessaire pour une usine. Si cela coûte cher, c’est parce qu’il faut de grandes salles blanches (où l’atmosphère est strictement contrôlée) capables d’accueillir d’encombrants équipements. Comment fait-on pour réduire les salles blanches ? En réduisant la taille des équipements et le volume général du process. La plateforme créée par Univecells est en fait une usine de vaccins miniature de 6 m de long, 1 m de large et 2,5 m de hauteur. Il s’agit de trois isolateurs reliés les uns aux autres, qui font office de salles blanches et renferment toute la production du vaccin.

Le secret des vaccins low cost d'Univercells
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Intensification des procédés

Pour réduire les équipements et donc les coûts, l’entreprise a décidé d’intensifier tout le processus. Par intensification, on entend le fait de réduire drastiquement chaque étape de production. Dans le premier isolateur, qui renferme la culture cellulaire et la production virale, au lieu d’utiliser d’énormes bioréacteurs en inox, la solution imaginée par Univercells passe par une membrane tridimensionnelle fibreuse sur laquelle les cellules peuvent venir s’accrocher. ” L’intensité avec laquelle les grands de la pharma produisent se compare à la densité de population de l’Australie, explique Hugues Bultot. Dans les grands bioréacteurs dans lesquels ils font des bouillons de culture, la densité de cellules utiles pour la production est extrêmement infime. A l’inverse, ce que nous avons imaginé, c’est une façon de produire des cellules à la manière d’une ville comme Tokyo. Autrement dit, il faut mettre un maximum de population dans un espace le plus réduit possible. ” L’entreprise a imaginé une sorte de support en forme de spirale à travers lequel passe le milieu de culture. Cela permet de passer d’un bioréacteur de 550 litres à un bioréacteur de 50 litres.

Dans le deuxième isolateur, qui renferme l’étape de la purification (le virus est extrait et séparé de tous les débris cellulaires et autres impuretés), la solution imaginée consiste en une petite colonne de purification réutilisée plusieurs fois. ” Elle est également intensifiée, assure-t-on. Normalement, deux étapes sont nécessaires à la purification, mais nous n’en avons conservé qu’une seule grâce à cette colonne. Il y a plusieurs cycles. Le liquide passe plusieurs fois à travers la colonne et est purifié de plus en plus. ”

Dans le troisième et dernier isolateur se déroule l’étape de l’inactivation virale. Il s’agit d’un plus petit isolateur, essentiellement composé de deux grosses bouteilles. L’isolateur est plus petit qu’une salle classique d’inactivation virale car toutes les étapes réalisées en amont étaient déjà plus réduites.

Concaténation

Outre l’intensification de chaque étape, ces dernières sont reliées entre elles de façon automatisée et continue. C’est le chaining (ou concaténation). ” Au lieu de procéder par étapes unitaires, tout est lié par des tubes et le liquide passe automatiquement d’une étape à l’autre, explique-t-on. En temps normal, cela fonctionne davantage par lots. On récolte le bioréacteur, on l’extrait dans une grande cuve, on branche cette cuve à l’équipement suivant, etc. Ici, des tubes passent d’une étape à l’autre de façon continue. ”

Enfin, tout le processus se déroule de manière complètement autonome. Il n’y a aucun contact humain. ” Dans le cadre d’une production classique, il y a beaucoup d’opérations manuelles qui représentent un risque pour les humains et pour l’environnement. Le fait que tout le processus se fasse en circuit fermé garantit qu’une épidémie de polio ne resurgisse pas à cause de nouvelles usines. ” Nous voulions réduire la taille et donc l’investissement, mais par voie de conséquence, étant donné que nous utilisons un bioréacteur plus petit, nous avons besoin de beaucoup moins de milieu de culture et le lavage est simplifié. Nous avons donc aussi besoin de moins d’eau, d’électricité, de personnel aussi. ” Le voilà, le secret des vaccins low cost d’Univercells.

D’autres vaccins en ligne de mire

Univercells compte bien ne pas s’arrêter au vaccin anti-polio. La biotech carolo a bénéficié l’année dernière d’un tour de financement de série B de 17 millions d’euros auquel a participé comme investisseur principal, aux côtés d’investisseurs coréens et belges, le Global Health Investment Fund (GHIF), un fonds new-yorkais créé par la Fondation Bill et Melinda Gates. Cet argent doit permettre de développer, sur la même plateforme, un vaccin existant en rupture chronique d’approvisionnement. ” L’avantage, c’est que nous allons faire du retro-engineering, explique le CEO Hugues Bultot. Le vaccin anti-polio était le plus compliqué à produire car il requiert de grandes exigences en termes de confinement. La preuve étant désormais faite sur cette lignée, nous pouvons produire d’autres vaccins sur la même lignée. Ceux que l’on cite fréquemment sont les vaccins contre la grippe, la rougeole, la rubéole, la fièvre jaune, etc. Nous annoncerons au cours du deuxième trimestre celui que nous aurons décidé de développer. ” Après la polio, la Fondation a choisi en outre de financer un autre vaccin non rentable qui ne retient plus l’attention des groupes pharmaceutiques. ” Nous discutons avec elle d’une nouvelle molécule, mais dont nous ne pouvons pas encore révéler le nom, assure le responsable. Nous l’annoncerons également au cours du deuxième trimestre de l’année. ” Ce qui est certain, c’est que ces deux nouveaux vaccins seront produits sur la même plateforme, laquelle devra simplement être quelque peu adaptée. Alors que le vaccin anti-polio est purifié puis inactivé, d’autres sont d’abord inactivés avant d’être purifiés. D’autres, encore, sont uniquement inactivés, ou uniquement purifiés. Il faudra donc simplement inverser les étapes ou en supprimer certaines. A l’intérieur des isoloirs, il faudra parfois adapter la taille de la cuve, le nombre de colonnes de purification, etc. ” Tous les composants (bioréacteur, colonne de purification, filtres, tubes, etc.) sont à usage unique, explique-t-on. On peut donc tout désinfecter et tout jeter, l’idée étant de pouvoir brancher d’autres composants à usage unique qui permettent de produire d’autres vaccins. “

Prochaine étape : les médicaments ” biosimilaires “

Outre sa plateforme NevoLine, Univercells est en train de mettre au point, avec le soutien de la Région wallonne (qui a apporté 500.000 euros), une deuxième ” usine ” dédiée à la production de médicaments biosimilaires et plus précisément d’anticorps monoclonaux. Le terme ” biosimilaire ” est plus ou moins synonyme de générique, mais appliqué à des médicaments issus de constructions génétiques et dont le brevet est tombé dans le domaine public. ” Aujourd’hui, les plus gros blockbusters de la pharma sont des produits issus de la biotech, essentiellement placés dans les traitements anti-cancer et les maladies auto-immunes, explique Hugues Bultot, CEO d’Univercells. Le médicament phare, Humira (commercialisé par AbbVie), est un produit de la biotech, un anticorps monoclonal. Les brevets ont commencé à tomber dans le domaine public. ”

Comme il y a eu une vague de génériques sur les molécules chimiques dans les années 1990, on assiste maintenant à une vague de biosimilaires. Les gens commencent à copier les molécules les plus prometteuses. ” Contrairement aux vaccins qui retiennent notre attention, les grands de la pharma sont ici à la fois efficaces en termes de quantités et de prix, explique le responsable. Par contre, le coût d’entrée pour une usine d’anticorps est monstrueux. En termes de business, c’est une barrière énorme. Si vous êtes un pays émergent, vous avez deux barrières qui vous empêchent d’entrer sur le marché des biosimilaires : réglementaire, et en termes de coût d’une usine. Ce que nous souhaitons faire, c’est créer des unités de production à échelle beaucoup plus petite qui permettent d’éviter l’explosion des coûts de production. Nous ne serons jamais alignés sur les coûts de production d’un Amgen, mais nous serons suffisamment proches pour être attractifs, avec des usines qui coûtent 1/10e du prix. ”

Le secret des vaccins low cost d'Univercells
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