Comment rebondir après une faillite

Gilles Quoistiaux Journaliste Trends-Tendances

Le programme régional Restart aide les entrepreneurs touchés par une faillite à lancer une nouvelle activité. Avec la pandémie qui reprend de plus belle, ses organisateurs se préparent à accueillir une nouvelle vague de candidats au rebond entrepreneurial.

Zahira Azzouz est styliste et modéliste. Face à des charges qui s’accumulent et à une situation financière tendue, elle est contrainte de fermer sa boutique-atelier. A la faillite s’ajoutent un divorce et un contexte familial difficile. Pour sortir de cette mauvaise passe, elle cherche du soutien et de l’accompagnement professionnels ; après quelques tâtonnements, elle intègre le programme Restart. Nous sommes alors en 2018.

L’objectif de Restart est d’aider les entrepreneurs à remettre le pied à l’étrier. “Ils nous bousculent dans tous les sens, se souvient Zahira Azzouz. Cela m’a permis d’identifier mes lacunes mais aussi de me rassurer sur mes forces.” Elle comprend qu’elle doit acquérir des compétences plus poussées en comptabilité, en marketing, en communication. Elle se rend compte aussi que l’entrepreneuriat est fait pour elle : “Le profil entrepreneur, je l’avais, souligne-t-elle. Mais j’avais brûlé les étapes. J’ai aussi fait face à des imprévus, comme tous les entrepreneurs. Enfin, il manquait certaines cordes à mon arc.”

Malgré les difficultés liées à la crise du Covid-19, l’entrepreneuse s’attelle à relancer son business. Elle donne désormais des formations en stylisme, une activité qu’elle se prépare à digitaliser pour s’adapter au contexte sanitaire. Le chemin est encore long, mais Zahira Azzouz est repartie dans une dynamique positive grâce, notamment, aux conseils prodigués par les experts du programme Restart. Créé en 2016 à l’initiative du ministre bruxellois de l’Economie de l’époque, Didier Gosuin, Restart est piloté par Beci, qui apporte 30% du financement, le reste étant pris en charge par la Région. “L’objectif ultime du programme, c’est de relancer l’entrepreneuriat”, souligne Eric Vanden Bemden, le coordinateur de Beci, la chambre de commerce bruxelloise.

Alors qu’en temps normal, on dénombre quelque 1.000 faillites par mois en Belgique, les chiffres tournent entre 300 et 700 depuis avril.

Se relever après un échec

Au moment de lancer le programme, le constat est limpide : les faillites s’accumulent sur le territoire bruxellois (entre 2.000 et 3.000 par an !). Les entrepreneurs qui déposent le bilan sont souvent découragés, vidés, après des années passées à lutter pour sauver leur commerce, leur petite société, leur activité. Après cet échec difficile à avaler, ils peinent à se relever ; bien souvent, ils vont grossir les chiffres du chômage.

“Un entrepreneur met généralement plusieurs années avant de rebondir, constate Eric Vanden Bemden. Avec notre accompagnement, nous parvenons à réduire cette durée à un an en moyenne.” Le programme, entièrement gratuit, s’étale sur cinq mois et vise à apporter aux candidats un soutien technique mais aussi, moral. L’expérience d’une faillite est en effet souvent difficile à digérer. “Beaucoup d’entrepreneurs ont vécu un traumatisme non seulement professionnel mais aussi financier et social, qui a fréquemment des répercussions sur leur sphère familiale, poursuit Eric Vanden Bemden. Ils ont tout donné durant des années pour leur entreprise ; ils se sentent seuls, démunis, incompris par leurs proches. Nous essayons de créer une dynamique collective pour les aider à surmonter ces difficultés.”

Comment rebondir après une faillite
© PG

Les “Faillis Anonymes”

Pour insuffler cette dynamique, les entrepreneurs sont réunis par groupes de 10. Qu’ils soient commerçants, avocats, architectes ou patrons de PME employant une dizaine de collaborateurs, ils ont vécu des expériences similaires. Le programme les rassemble et leur permet de partager leurs difficultés, à la fois lors des réunions physiques et via le groupe WhatsApp créé pour l’occasion. “Ça permet d’échanger, de se libérer, voire de se réconforter. C’est un peu le principe des ‘Faillis Anonymes'”, sourit Eric Vanden Bemden.

Le coordinateur du programme sait de quoi il parle : il est lui-même passé par la case faillite et a connu les galères de l’entrepreneur et l’incompréhension de ses proches. “J’avais mis toutes mes économies dans le rachat d’un club de tennis que j’ai transformé en espace de sport et de fitness, témoigne-t-il. J’ai vu débarquer la concurrence des salles de sport low cost comme Basic-Fit. J’ai eu des soucis avec mon associé. J’ai réinjecté plusieurs fois de l’argent dans la société mais ça n’a jamais vraiment décollé. J’ai encore eu de la chance de trouver un repreneur qui a racheté l’affaire pour un euro symbolique.” Cette expérience, Eric Vanden Bemden n’hésite pas à la partager avec les participants : “Le fait de savoir que je suis passé par les mêmes étapes qu’eux, ça les met en confiance”, poursuit-il.

Les entrepreneurs bénéficient aussi de formations spécifiques destinées à leur permettre d’acquérir des outils en matière de marketing, de stratégie numérique, de comptabilité, de statut social, de gestion du stress, de business plan, de financement… Chacun d’eux est en outre suivi individuellement par un coach certifié à raison de 10 séances sur l’ensemble du programme.

Eric Vanden Bemden (Beci) Pour lui, le moratoire sur les faillites est
Eric Vanden Bemden (Beci) Pour lui, le moratoire sur les faillites est “une bombe à retardement”.© PG

200 entrepreneurs accompagnés

En trois ans d’existence, Restart – “un programme unique en Belgique”, précise son responsable – a accueilli plus de 200 entrepreneurs bruxellois touchés par une faillite. “50% d’entre eux ont repris une activité professionnelle. Parmi eux, la moitié sont désormais salariés, les autres ont lancé un nouveau business”, calcule Eric Vanden Bemden.

Pour David Germeau, c’est une solution hybride qui s’est imposée. Cet entraîneur et nutritionniste a essuyé deux faillites en l’espace de 10 ans. ” La première fois, c’était à cause d’erreurs de jeunesse. La deuxième, j’avais accumulé trop de dettes et j’étais affaibli moralement “, résume-t-il. Passé par le programme Restart en 2018 pour se remobiliser, il cumule aujourd’hui un mi-temps et une activité complémentaire, toujours dans le domaine du sport : “Quand on se lance comme indépendant, on sait que ce n’est pas sans risques et qu’on ne va pas forcément avoir une vie de rêve, observe David Germeau. Mais on n’a pas peur de travailler et on ne compte pas ses heures. Aujourd’hui, j’ai envie de grandir et de recréer mon entreprise.”

Après un échec difficile à avaler, les entrepreneurs peinent à se relever et bien souvent, ils vont grossir les chiffres du chômage.

La crise sanitaire a quelque peu chamboulé le programme cette année. Confinement oblige, certains groupes ont dû mettre leurs sessions en suspens, d’autres sont restés en contact par vidéoconférence. Deux groupes suivent actuellement le programme de formation, qui a d’ailleurs été adapté pour préparer les participants au contexte de crise qui les attend. Toutes les formations sur les sujets liés au numérique (stratégie, marketing, e-commerce, etc.) ont été renforcées pour inciter les candidats à lancer un business en ligne, ou prenant résolument en compte la composante numérique.

Deuxième vague de faillites

Si Eric Vanden Bemden n’est pas encore surchargé de demandes d’entrepreneurs touchés par la crise du Covid-19, il s’attend à un afflux de candidats dans les semaines qui viennent. Il faut voir là un effet mécanique du moratoire sur les faillites : les dépôts de bilan sont pour l’instant en mode pause. Pour rappel, en mars, le gouvernement avait prononcé un arrêt complet des faillites. Ce moratoire a été levé le 17 juin mais il a en quelque sorte été prolongé par un moratoire de fait : l’ONSS et l’administration fiscale se retiennent, depuis, de citer les entrepreneurs en faillite. Comme ils sont la principale porte d’entrée vers la faillite, les dépôts de bilan ont plutôt eu tendance à se raréfier ces derniers mois.

Alors qu’en temps normal, on dénombre quelque 1.000 faillites par mois en Belgique, les chiffres tournent entre 300 et 700 depuis avril. Mais la réalité, sur le terrain, est très différente : “Le Centre pour entreprises en difficulté (CED), avec lequel nous collaborons étroitement, m’indique que les entrepreneurs touchés par la crise sanitaire sont de plus en plus nombreux à venir chercher des conseils, pointe Eric Vanden Bemden. Pour certains d’entre eux, le seul conseil qui puisse être proposé est de faire aveu de faillite : il ne faut pas oublier qu’en lui évitant de reporter les problèmes financiers et d’accumuler les dettes, la faillite peut aussi être une vraie solution pour l’entreprise en bout de course.”

Pour l’instant, le moratoire protège les entrepreneurs. Mais il s’agit hélas d’une illusion. La situation économique est tendue. La crise touche de plein fouet les indépendants, les commerçants, les PME. Dès que l’ONSS et l’administration fiscale réclameront les factures impayées, les faillites exploseront. “C’est une bombe à retardement”, déplore Eric Vanden Bemden. “Je m’attends à avoir énormément de demandes d’ici janvier.”

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