Baromètre Credendo-Roularta: plus d’un exportateur sur trois a subi une annulation de commande
De nombreuses entreprises s’attendent à ce que les conséquences de la crise sanitaire et économique se prolongent jusqu’en 2022 au moins. Mais elles s’adaptent, notamment en accélérant la numérisation de leur business et en diversifiant leurs partenaires commerciaux.
Le premier trimestre de l’année avait été, paraît-il, exceptionnel pour les exportateurs belges. Depuis, le Covid-19 s’est installé aux quatre coins de la planète. Redoutablement installé, même: 75% des exportateurs s’attendent à ce qu’il pèse sur leurs ventes en 2020, d’après le cinquième baromètre Credendo-Roularta auquel 1.164 personnes, dont 43% de CEO, ont participé. Les répondants se sont également prononcés sur les dispositions prises pour s’adapter à cette situation inédite et sur les leçons qu’ils en tirent pour le futur.
1. Pourquoi la confiance des exportateurs ne s’est-elle pas effondrée?
L’effondrement attendu ne s’est pas produit – pas encore, nuanceront les plus prudents – mais les chiffres sont là: l’indice de confiance des exportateurs calculé par le baromètre Credendo- Roularta reste dans le vert, avec une note de 5,6 sur 10, soit un recul de 0,2 point seulement par rapport à l’an dernier. Il s’agit néanmoins de la note la plus basse des cinq éditions du baromètre. “Les entreprises subissent le choc de la crise sanitaire mais je mesure aussi leur capacité de rebond, de résilience, d’adaptation, souligne le ministre wallon de l’Economie Willy Borsus (MR), impressionné par la vigueur de la croissance du PIB au troisième trimestre (+10%, après une chute de 11% au deuxième trimestre). Cette capacité de résilience doit être soutenue par les pouvoirs publics, ce que nous faisons à travers les aides européennes, fédérales et régionales.”
Cette relative sérénité peut aussi s’expliquer par des biais statistiques. D’une part, l’enquête a eu lieu en octobre, à un moment où l’économie semblait repartir (le PIB a crû de près de 10% au troisième trimestre, notamment grâce aux exportations) et où le deuxième confinement n’était encore qu’une hypothèse. D’autre part, on parle bien d’un baromètre des exportateurs et pas de l’ensemble des entrepreneurs. “Le retail et l’horeca, les plus touchés par le lockdown, ne sont pas des acteurs tournés vers l’exportation, pointe Olivier Willocx, administrateur délégué de BECI, la fédération patronale bruxelloise. Et à l’inverse, le confinement n’a pas beaucoup d’incidence sur l’industrie pharmaceutique belge, notre premier secteur à l’export”
2. Quels sont les principaux obstacles rencontrés par les exportateurs à cause du Covid-19?
Pour l’année 2020, 75% des répondants concèdent attendre des conséquences négatives, qui pourraient aller, pour 14% des entreprises interrogées, jusqu’à une division par deux du volume des exportations. A ce stade toutefois, les finances des sociétés ne semblent pas en péril, même si 27% d’entre elles admettent avoir des difficultés de trésorerie. Les mesures de soutien prises par les autorités expliquent peut-être ce phénomène. ” Nous n’avons effectivement pas constaté de hausses significatives des sinistres, confirme Nabil Jijakli, deputy CEO de l’assureur-crédit Credendo. Je crains hélas que ce soit le calme avant la tempête. Nous vivons une crise de la demande plus qu’une crise des liquidités. Sans être défaitiste, on peut raisonnablement penser que 2021 sera plus compliquée pour de nombreuses entreprises, y compris parmi celles qui étaient saines avant la crise.”
Le baromètre conforte cette analyse. Les difficultés rencontrées par les exportateurs ne résultent que très peu de l’arrêt de la production (malgré le confinement) ou même de problèmes logistiques ; en revanche, maintes entreprises ont dû affronter la diminution et même parfois l’annulation de commandes. Nous sommes clairement dans une crise de la demande et la situation pourrait bien se prolonger. “Les grands projets prennent des mois, parfois des années de négociations, poursuit Nabil Jijakli. Ce pipeline n’a pas été remis en cause et les entreprises ont pu vivre dessus en 2020. Mais il n’a pas été renouvelé et c’est ce qui me fait craindre des difficultés en 2021.” C’est d’autant plus vrai que les pays émergents ont vu s’effondrer les recettes du tourisme et les envois d’argent par les travailleurs expatriés, alors même que les cours des matières premières étaient au plus bas, sur fond d’économie mondiale tournant au ralenti. “La demande ne va donc pas redémarrer à grande vitesse, conclut le deputy CEO de Credendo. Le consommateur risque d’être beaucoup plus précautionneux pendant quelque temps.”
S’il se félicite de la résilience logistique de notre économie – “c’est impressionnant de voir à quel point elle a réussi à continuer à fonctionner, au port d’Anvers par exemple” -, Olivier Willocx s’étonne de l’abondance des annulations de commandes. “Cela pose une importante question juridique, raisonne-t-il. Que vaut encore un contrat dans une période comme celle que nous traversons? Face aux annulations de commandes, vous ne pouvez pas faire grand-chose d’autre qu’attendre. Certes, vous pouvez attaquer en justice pour faire valoir vos droits mais c’est comme si vous niiez la souffrance de vos clients.”
3. Peut-on espérer une reprise dès 2021?
S’ils restent sereins, les exportateurs n’en sont pas moins lucides: 39% d’entre eux ne s’attendent pas à la moindre croissance de leurs exportations durant les trois prochaines années. Jamais cette proportion n’avait été aussi élevée. On l’a vu: chez Credendo, on partage cette inquiétude.
Pascale Delcomminette et Olivier Willocx se montrent un peu plus optimistes. Leur raisonnement peut aussi s’appuyer sur les résultats du baromètre. Ils sont globalement influencés par les vives craintes des petits exportateurs (moins de 25% du chiffre d’affaires à l’international), dont les trois quarts tablent sur une croissance nulle ou inférieure à 5% dans les trois années qui viennent. Cette proportion n’est que d’un tiers chez les gros joueurs (plus de 75% d’export). “La Chine connaît une vraie reprise et a relancé ses programmes d’investissement, explique l’administratrice déléguée de l’Awex. Au Moyen-Orient aussi, l’activité reprend. Nos entreprises sont conscientes qu’elles doivent être prêtes car quand cela démarre, cela peut aller très vite.” Une société comme Dirty Monitor (mapping vidéo) a déjà signé de beaux contrats au Moyen-Orient, tandis que Picanol (fabrication de métiers à tisser) profite de la reprise du textile en Chine. “Parfois, quand on retourne aux volumes d’avant-crise, on ne voit pas cela comme une croissance, souligne Olivier Willocx. Cela explique peut-être les résultats prudents du baromètre.”
“La pandémie a fait s’écrouler le commerce mondial de manière synchrone mais la reprise va, elle, se dérouler de manière a-synchrone dans les différentes parties du monde, analyse quant à elle Claire Tillekaerts, CEO de Flanders Investment & Trade. Je pense que la Flandre connaîtra une reprise relativement rapide grâce à ses liens directes avec les économies fortes des pays voisins. Ce fut déjà le cas après la crise bancaire de 2008-2009: la Belgique a été plus impactées que d’autres mais la reprise y fut aussi plus forte. Cela dit, depuis, la croissance semble plus faible et nous devrons en tenir compte.”
4. Relocaliser, un voeu pieux?
Au printemps, tout le monde parlait de la nécessité de “relocaliser” l’industrie. Cela n’apparaît guère dans le baromètre puisque 5% à peine des répondants placent le rapatriement de tout ou partie de leur production parmi les leçons de la crise. “La réaction fut très émotionnelle, en voyant notre dépendance vis-à-vis de la Chine pour une série de produits cruciaux, analyse Nabil Jijakli. Si des produits sont considérés comme réellement stratégiques, on peut décider de les fabriquer chez nous, quelle que soit la rentabilité économique directe. C’est ce que fait le Japon, par exemple, avec son agriculture fortement subsidiée pour que l’approvisionnement en riz ne dépende pas de l’étranger. Ce sont des choix politiques, pas des décisions d’entreprises.”
“Je ne suis bien entendu pas opposé à la réindustrialisation, à l’intérêt de reconstituer des chaînes de valeur, mais cela ne concerne pas forcément les masques chirurgicaux ou d’autres matériels médicaux mis en avant durant la crise, nuance Olivier Willocx. Pour produire des masques, nous aurons besoin de nous approvisionner en films, en élastiques, etc. Je serais plus rassuré avec des stocks bien gérés qu’avec un site de production de masques en Belgique. Plus largement, les opérateurs doivent équilibrer leurs risques: celui qui reconcentre toute sa production, ici ou ailleurs, s’expose à d’autres risques.”
Et c’est bien là sans doute la leçon essentielle de la crise: il faut diversifier clients et fournisseurs. L’Awex travaille énormément sur ce point, afin d’aider les entreprises à établir un diagnostic complet de leurs chaînes d’approvisionnement et à identifier les solutions de rechange viables. “C’est un travail passionnant, confie Pascale Delcomminette. Cela consolide les stratégies à l’export, tout en diminuant les risques.” Comme toutes les entreprises du monde tirent la même leçon et veulent réduire leur dépendance vis-à-vis des fournisseurs les plus importants, cela peut créer de nouvelles opportunités pour les producteurs belges.
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Revers de la médaille toutefois: des sociétés belges pourraient perdre leur place dans la réorganisation de chaînes de valeurs internationales. C’est pour éviter cela que la Wallonie a débloqué 40 millions d’euros destinés à soutenir l’innovation technologique dans l’industrie aéronautique. “Nous voulons ouvrir des perspectives au secteur en aidant à la transition vers une aviation neutre en carbone, commente Willy Borsus. C’est indispensable pour enraciner ces activités chez nous. Si nous n’agissons pas, les curseurs vont se déplacer ailleurs. Toulouse n’est pas très loin.”
5. Le défi climatique est-il déjà oublié?
L’an dernier, le baromètre avait montré l’importance du défi climatique pour les entreprises. Nonante pour cent d’entre elles estimaient même qu’elles devaient agir contre le réchauffement sans attendre d’éventuelles exigences gouvernementales. En 2020, les dérèglements climatiques sont relégués à la dernière place des préoccupations, très loin derrière la pandémie et la montée des protectionnismes. “Nous continuerons à taper sur le clou du développement durable, qui est le fil rouge de nos actions pour 2020 et 2021, insiste Pascale Delcomminette. Le caractère durable d’un produit sera de plus en plus un critère de compétitivité. Les clients réfléchissent à leurs achats et l’implication d’une entreprise dans le développement durable peut être un atout décisif sur le marché. Cela vaut pour tous les secteurs et pas seulement pour ceux qui sont le plus directement concernés parce qu’ils sont actifs dans la gestion des déchets, le traitement de l’eau ou ce genre de choses.”
A court terme toutefois, on constate peut-être un recul de cette prise de conscience, si bien que des produits que l’on disait dépassés pourraient retrouver une seconde jeunesse. “Il y a un an, plus personne ne voulait de plastique parce que cela polluait, constate Olivier Willocx. Avec la pandémie, on est tombé en pénurie de PVC. Tout le monde en voulait pour des dispositifs de protection sanitaire, l’industrie a tourné à plein régime.”
” L’ampleur de l’épidémie et ses conséquences immédiates ont bien logiquement accaparé toute l’attention, estime Willy Borsus. Les autres préoccupations ne sont plus au premier plan mais elles ne sont pas gommées pour autant. Ce que les entrepreneurs en général, et les exportateurs en particulier, n’aiment pas, c’est l’incertitude. Et aujourd’hui, l’incertitude domine à cause de l’épidémie. “Cette prédominance de l’immédiateté, c’est précisément ce qui inquiète Nabil Jijakli: ” Les vues à long terme ne sont pas assez présentes dans les choix des entreprises, déplore-t-il. Cette année, le climat est relégué au second plan. Le Brexit remonte dans les préoccupations, à mesure que l’échéance approche. Cette importance accordée aux enjeux immédiats renforce cette cons-truction d’un monde anxiogène”.
6. Exporter sans foires ni salons, est-ce possible?
Quand les missions économiques sont annulées, quand les salons internationaux sont reportés, il faut repenser tous les contacts commerciaux pour pouvoir trouver de nouveaux marchés d’exportation. “Nous avons multiplié les initiatives pour entretenir la flamme commerciale, assure Pascale Delcomminette. Nos agents économiques et commerciaux ont joué les intermédiaires, encore plus que d’habitude. Ils se sont déplacés chez des clients potentiels pour présenter les nouveaux produits d’entreprises wallonnes. La densité de notre maillage, que certains jugent parfois trop importante, a permis à de nombreuses entreprises de trouver des solutions de dédouanement, d’approvisionnement, etc.” Une stratégie qui se traduit aussi par un renforcement des stages Explort ou par la mise à disposition de services de consultance de longue durée (six mois), pour entretenir les relations commerciales et faciliter la prospection.
Des démarches similaires ont été menées chez FIT, où l’on insiste sur la complémentarité entre les contacts physiques, toujours largement essentiels dans les relations commerciales, et les outils virtuels. “La digitalisation a aidé des entreprises à être plus rapidement actives à l’étranger, pointe Claire Tillekaerts. Mais la consolidation se fait à partir des contacts personnels. Notre message aux entreprises est clair: comme vous devez diversifier vos exportations, vous devez aussi élargir l’éventail de vos outils de marketing. Vos ventes ne doivent pas dépendre uniquement de la tenue physique de salons.” Même si les actions virtuelles peuvent être complémentaires, les contacts directs lors des foires et salons demeurent irremplaçables aux yeux de nombreux exportateurs. “Ces rendez-vous sont la meilleure manière de présenter les nouveautés à de potentiels futurs clients, conclut Olivier Willocx. Aujourd’hui, je n’ai pas vraiment la capacité de confronter mes nouveaux produits au marché. Or, le marché se nourrit de découvertes, de progrès. Si nous ne pouvons pas bouger facilement en 2021, la diffusion de la connaissance pourrait s’avérer un réel souci et cela peut freiner la croissance mondiale.”
Des entreprises de plus en plus numériques
Le réflexe habituel en situation de crise – comprimer les coûts de production – n’a pas été oublié mais les entreprises ont surtout mis la période à profit pour accélérer leur développement numérique. Plus d’une sur deux a décidé d’organiser des visites virtuelles de ses clients et une sur trois a misé sur le commerce en ligne. “Cela renforce une tendance lourde que nous pouvions observer de baromètre en baromètre”, constate Nabil Jijakli, deputy CEO de Credendo. “A nous d’en faire un atout à long terme pour nos entreprises, ajoute Pascale Delcomminette, administratice déléguée de l’Awex. Les accompagner dans cette démarche, c’est aussi notre rôle. Nous pouvons les aider à se positionner sur les bonnes plateformes, leur apporter une consultance pertinente.”
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