Cryptomonnaies: l’euro numérique, passage obligé pour la Banque centrale européenne ?

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Pour contrer l’implantation des cryptomonnaies, la Banque centrale européenne a lancé en octobre dernier un groupe de travail afin de réfléchir à un potentiel lancement de l’euro numérique. L’institution se donne deux ans pour rendre son verdict. Mais face à la montée de l’économie digitale, la création de l’euro numérique parait inévitable.

Alors que l’Euro va fêter ses 20 ans de mise en circulation ce 1er janvier 2022, l’avenir de la monnaie unique se trouve certainement dans sa forme numérique. Sous l’autorité de la Banque centrale européenne (BCE), l’euro numérique pourrait également devenir le “symbole de progrès et d’intégration européenne” que désirent tant les officiels européens, comme l’a déclaré Fabio Panetta, membre du directoire de la BCE.

Le groupe de travail, lancé en octobre 2021, se donne deux ans pour analyser la possibilité de mettre en circulation un euro numérique. La Banque centrale européenne précise en effet que “la décision de mettre au point ou non un euro numérique sera prise sur la base de cette phase d’étude“.

Avec le déploiement massif des cryptomonnaies à travers le monde, il est cependant difficile d’envisager une réponse négative à cette étude. La BCE a elle-même plusieurs fois souligné l’importance de s’adapter aux besoins et habitudes des Européens, qui se tournent de plus en plus vers les monnaies digitales. Et si l’euro veut ‘rester dans le coup’, il n’a pas d’autre choix que d’évoluer avec son temps.

Une politique monétaire à (re)construire

Et comme c’est souvent le cas quand des décisions doivent être prises à 27, cela ne sera pas facile. Les exigences sont élevées et les experts de la BCE et des banques centrales nationales de la zone euro en ont défini plusieurs “fondamentales” concernant un euro numérique, tels que “la facilité d’accès, la robustesse, la sécurité, l’efficacité, le respect de la vie privée et la légalité“.

Conduite du 12 octobre 2020 au 12 janvier dernier, une consultation publique a permis à la BCE de poser 18 questions aux citoyens européens afin de recueillir leurs avis sur “les avantages et les défis que présenterait l’émission d’un euro numérique et sur les modalités de son éventuelle mise en place“.

Trois éléments sont ressortis de cette étude : la protection de la vie privée, la sécurité et la possibilité de payer dans toute la zone euro doivent être assurées ; l’intégration avec les solutions de paiement existantes est primordiale ; toutes les solutions matérielles et logicielles disponibles actuellement doivent être adaptées à l’utilisation d’un euro numérique. A noter que la consultation n’a reçu que 8 221 réponses quand on sait que l’euro numérique pourrait potentiellement toucher 340 millions de personnes.

Lors d’un discours donné le 10 décembre dernier à Rome, Fabio Panetta a de nouveau exposé les contours d’un éventuel lancement de l’euro numérique. Il a déclaré :

L’euro numérique serait une forme de monnaie souveraine fournie par la BCE sous forme électronique. Il serait utilisé par tous – ménages, entreprises, commerces – afin d’effectuer ou recevoir des paiements de détail dans toute la zone euro. Il offrirait aux citoyens les mêmes services que ceux qu’ils obtiennent aujourd’hui avec les billets de banque en papier. L’euro numérique compléterait les espèces, sans les remplacer. Contrairement à l’argent liquide, il pourrait être utilisé non seulement pour les transferts d’argent entre les personnes ou pour les achats dans les commerces, mais aussi pour les achats en ligne. Et comme il s’agirait d’un engagement de la banque centrale, l’euro numérique serait, comme les billets de banque, exempt de tout risque, qu’il s’agisse du risque de marché, du risque de crédit ou du risque de liquidité.

Euro numérique ou bitcoin ?

L’euro numérique sera-t-il différent des cryptomonnaies déjà existentes ? Oui, insiste la BCE à travers Fabio Panetta. En effet, pour ce dernier, l’euro numérique “n’a rien à voir avec les crypto-actifs tels que le bitcoin“.

Puisqu’il serait émis par la BCE, la valeur de l’euro numérique serait garantie. Les crypto-actifs, en revanche, ne sont émis par aucune entité responsable : ce sont des instruments notionnels sans valeur intrinsèque, qui ne génèrent pas de flux de revenus. Ils sont créés à l’aide de la technologie informatique et leur valeur ne peut être assurée par aucune partie.

Fabio Panetta précise que les crypto-actifs sont échangés par des opérateurs dont “le seul objectif est de les revendre à un prix plus élevé“. Il s’agit “d’un pari, d’un contrat spéculatif à haut risque, sans aucun élément fondamental“.

Enfin, le développement de l’euro numérique est également une question à fort impact politique. La Chine est en effet à ce jour la seule grande puissance économique à avoir développé sa monnaie digitale, le yuan numérique. Et selon les chiffres cités fin octobre dernier par un haut responsable de la Banque centrale chinoise, 140 millions de portefeuilles étaient ouverts à cette date, pour un total de 62 milliards de yuans.

Une adoption très rapide, poussée par le pouvoir central qui voit d’un très mauvais oeil le développement des crytomonnaies comme la bitcoin. L’enjeu est donc de taille pour l’Union européenne – mais aussi les Etats-Unis – qui sont tous deux encore en phase d’expérimentation. Un retard de plus à rattraper.

Aurore Dessaigne

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