Quand nos mutualités testent la blockchain

Présentation de Gratiago à la Brussels Blockchain Week La jeune entreprise fonde de grands espoirs dans la rétribution positive des patients. © F. Remy

S’avouant béatement “émerveillés par l’impact positif de la blockchain”, les fondateurs de la start-up belge Gratiago désirent en offrir les vertus technologiques à notre système de santé. La Mutualité chrétienne semble y croire suffisamment pour essayer.

“La blockchain n’est pas qu’un instrument spéculatif qui aggravera le changement climatique. La technologie défend vraiment de bonnes causes: sociales, environnementales et sanitaires”, louange d’emblée Alexandre Pirson, échevin de la Mobilité et de la Transition numérique à Woluwe-Saint-Pierre. Conférencier dans le cadre de la première Brussels Blockchain Week qui se tenait la semaine dernière (lire le “Trends-Tendances” du 16 juin), le mandataire des Engagés y intervenait en qualité d’entrepreneur. Plus précisément en tant que cofondateur et CEO de Gratiago, une start-up bruxelloise revendiquant une solution innovante d’e-coaching pour patients. Constituée en février de cette année, la jeune pousse ambitionne de surcroît de parfaire l’excellente sécurité sociale dont bénéficient les Belges. Avec le renfort de la blockchain, cela va de soi.

Pour monétiser sa solution, Gratiago entend cibler deux clientèles. D’abord les mutualités, puis les laboratoires pharmaceutiques.

Inspirés par l’expérience personnelle d’un actionnaire et mis au défi par les statistiques alarmantes de la compliance, c’est-à-dire le respect des prescriptions médicales lors de prises de traitement, les fondateurs de Gratiago développent une appli d’accompagnement thérapeutique. “Notre méthode a pour objectif d’aider les patients-consommateurs à devenir des patients-acteurs de leur santé”, affirme le CEO, énumérant de multiples bienfaits potentiels: augmenter la compliance des patients, réduire le risque d’effets secondaires, optimiser l’usage des médicaments et préserver notre système de santé. Rien que ça.

Outil positif et incitatif

La start-up s’attaque techniquement à l’effet nocebo (l’impact psychologique et physiologique des informations négatives liées aux médicaments) avec un environnement de données positives. Pour surmonter la fréquence des oublis de prise de pilule, l’appli propose un reminder. Pour dissiper les doutes, une messagerie permettant de partager ses craintes avec le médecin traitant. Pour inspirer, un audioguide avec des conseils progressifs. Pour offrir un peu de légèreté, des éléments ludiques.

“Et enfin, le coeur de notre méthode, la récompense. Pourquoi est-ce aussi important? Car cela participe de deux phénomènes de société. La gamification, d’une part, surtout auprès des jeunes qui, justement en santé publique, souffrent d’un déficit important de compliance. Et d’autre part, la rétribution positive”, explique Alexandre Pirson, dénonçant une tendance contre-productive du système à punir les mauvais comportements plutôt que de préférer une dynamique d’encouragement des actes positifs.

La blockchain dans tout ça? La technologie se révèle cruciale pour la start-up bruxelloise, souligne Sevan Holemans, qui jongle lui aussi avec une double casquette, celle de CFO de Gratiago et celle de managing director chez Solifin, le réseau belge des acteurs de l’investissement à impact. “La plupart de nos membres, qui vont des fonds d’investissement à impact aux plateformes de crowdfunding, restent très craintifs et gardent un a priori pessimiste au sujet de la blockchain. Même s’ils ont conscience que la tech va disrupter leurs marchés, ils pensent que cela sera de façon négative. Avec notre appli, nous voulons démontrer qu’ils ont tort de s’inquiéter.”

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“Tokenisation” bénéfique

Sans entrer dans les détails techniques sur les protocoles informatiques employés, Gratiago profite donc de la blockchain pour émettre un token. Dans sa phase initiale, cette monnaie numérique évolue en circuit fermé. Le patient se connecte à l’appli qui va récompenser les comportements responsables. L’utilisateur stocke ses jetons dans un wallet embarqué. Cela lui donne accès à des biens et services dans tout un écosystème de partenaires. Réductions pour de l’alimentation saine, bons-cadeaux pour des centres de bien-être, etc.

Pour monétiser sa solution, Gratiago entend cibler deux clientèles. D’abord les mutualités, à qui la jeune entreprise souhaite simplement vendre une version de son appli, customisée par exemple pour un certain type de maladie chronique afin d’aider ces organismes à rendre leurs affiliés plus assidus aux traitements, réduire leurs coûts et, a fortiori, les dépenses globales de sécurité sociale. La start-up entend dans ce cas commissionner la récompense en token, avec des frais de transaction. “La proposition de valeur relève de l’économie de coûts mais nous propulserons les mutualités à l’avant-garde de la digitalisation, ce qui leur permettra de fidéliser encore davantage leurs affiliés”, aspire Sevan Holemans.

Deuxième cible commerciale, Gratiago lorgne les laboratoires pharmaceutiques, partant du principe que cette industrie investit des milliards d’euros en essais cliniques. “Nous croyons qu’au travers de notre méthode, nous pourrions réellement augmenter le taux de compliance des patients durant ces essais”, assure le CFO de Gratiago, extrapolant le fait que cela améliorerait les résultats à l’issue de ces essais.

“The Healthy-Coin”

Ayant développé un produit minimum viable, Gratiago a récemment reçu un financement de la part d’Innoviris, l’institut de l’innovation de la Région de Bruxelles-Capitale, dont le montant n’a pas été communiqué. Mais la start-up a également signé un accord de partenariat avec la Mutualité chrétienne, l’un des plus grands organismes d’action sociale du pays. Suffisamment intéressée par son système de récompense crypto, la MC a décidé de tester l’appli auprès de ses membres.

“Nous procédons à la première étape qui est la validation clinique, pour laquelle nous nous concentrons sur l’hypertension et le diabète. Mais nous testons aussi le système de reward“, indique Sevan Holemans.

Dans un futur proche, les entrepreneurs derrière Gratiago espèrent naturellement généraliser leur réseau de récompenses auprès des autres mutualités, pour inciter à utiliser l’appli et, par là, développer les meilleurs comportements en thérapie. Mais il serait tout aussi opportun d’attirer les acteurs de la santé tels que les médecins, les infirmières, qui pourraient soutenir (et promouvoir) la solution.

“Par après, sur une seconde couche de notre blockchain, nous autoriserons tous les utilisateurs à convertir leurs tokens en un plus gros jeton numérique, le Gratiago token, qui sera certainement un jour un token listé de grand valeur”, prophétise le directeur financier de la start-up.

Tout ou presque reste encore à faire pour Gratiago. Une trajectoire avec des obstacles de taille déjà identifiés à surmonter, à l’instar d’une levée de fonds, de la certification européenne d’équipement médical nécessaire pour accéder à de nouveaux marchés, de nouveaux cas d’usage. Surtout qu’un mouvement d’opposition coordonnée d’experts internationaux s’élève, citant l’absence de cas d’usage où la blockchain aurait résolu un problème concret mieux qu’une autre tech.

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