Marek Hudon (ULB) : “Vendre la peau de NewB à ce stade est prématuré”
Marek Hudon, professeur d’économie à l’ULB, craint l’impact d’un éventuel échec de la banque coopérative NewB sur les autres projets sociétaux et sur l’entrepreneuriat social en général. Entretien.
Trends Tendances : Vous vous dites inquiet sur les conséquences que peuvent avoir les dernières évolutions de NewB sur les autres projets sociétaux et sur l’entrepreneuriat social. Que craignez-vous ?
Marek Hudon : On sous-estime l’onde de choc des dernières évolutions de NewB depuis 10 jours pour tous les acteurs du financement de projets sociétaux, mais aussi sur l’entrepreneuriat social en général. J’ai peur que les difficultés de NewB ne fassent tache d’huile dans une période qui n’est déjà pas évidente pour les entreprises, y compris les organisations de l’économie sociale. L’impact des difficultés de NewB peut jouer sur le moral et la dynamique collective dans le secteur. NewB était un des étendards de l’entrepreneuriat et de l’économie sociale en Wallonie et à Bruxelles. Ses difficultés vont peut-être freiner des entrepreneurs à se lancer et encore plus dans l’entrepreneuriat collectif. J’entends déjà des entrepreneurs, incubateurs, dire que le désir d’action collective en a pris un sérieux coup. Combien de grands succès, de campagnes sur l’économie sociale et l’entrepreneuriat durable seront nécessaires pour contrebalancer cet éventuel échec ?
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Vous craignez aussi un impact sur les cofinancements de ces projets sociétaux…
NewB finance un certain nombre de produits, mais son impact est certainement plus large. Grâce à NewB, certains projets sont rendus possibles à travers les cofinancements de divers acteurs, privés ou publics comme c’est le cas de W.Alter en Wallonie, qui finance des projets d’économie sociale et coopérative. L’impact direct reste limité, mais si on rajoute son impact indirect, on peut imaginer ce que ce cofinancement peut apporter.
NewB a un rôle assez particulier dans cet écosystème de financeurs des projets sociétaux. L’erreur qui est faite par de nombreux analystes aujourd’hui est de se focaliser sur la performance de la banque coopérative sans tenir compte de ses particularités de banque solidaire et surtout du rôle charnière qu’elle a pris et pourrait prendre. NewB a une place particulière dans le paysage bancaire belge.
Est-ce encore cohérent d’injecter de l’argent public dans ce projet ?
On a un besoin de multiplier les financements pour ces projets sociétaux. Un récent rapport de McKinsey nous dit qu’une bonne partie des investissements nécessaires pour la transition seront à des niveaux de rentabilité en dessous de ceux du marché. Si des acteurs ont des attentes de rentabilité, cela ne sera pas possible. Et le financement public pur et dur est idéaliste. D’où l’intérêt d’avoir ce crow ding-in, cette capacité d’attirer des financements privés qui n’iraient pas vers ces projets sinon. Un financement public peut notamment avoir du sens si cela a un effet multiplicateur en attirant des financements complémentaires à la fois publics et privés.
Que peut-on tirer comme leçons à ce stade de l’aventure NewB ?
Les difficultés auxquelles est confrontée NewB sont en fait les mêmes que rencontrent pas mal d’acteurs de récoltes de fonds participatives. Il y a souvent une période de calme, plus compliquée, après un crowdfunding classique. Des leçons peuvent être tirées de ce genre de crowdfunding sociétaux pour que justement ces investisseurs puissent continuer à agir comme client ou porte-parole du projet qu’ils ont soutenu.
Que est maintenant l’enjeu le plus important de NewB ?
Alors que pas mal d’analystes sont assez pessimistes sur les projections financières de la banque, il y a un énorme enjeu aujourd’hui de recréer une dynamique et de maintenir l’espoir pour les coopérateurs. NewB a quand même réussi à fédérer plus de 100.000 coopérateurs pour récolter des fonds en 2019 et créer un vrai mouvement collectif sociétal. Ce chiffre est gigantesque par rapport aux autres dynamiques en Belgique ! Ce ne sera pas évident, mais il est important pour la banque de communiquer autrement, de se réinventer sur cette nouvelle dynamisation. Ce sera un gros enjeu pour ne pas perdre tous ces coopérateurs, qui sont cruciaux dans le cadre d’un éventuel redéploiement.
Quel avenir entrevoyez-vous pour NewB ?
Rien n’est fait à ce stade. La banque a une énorme motivation à redynamiser. Le champ des possibles est très grand. Vendre la peau de NewB à ce stade est prématuré. Mais c’est sûr qu’il faudra un électrochoc à l’AG de décembre, qui sera cruciale. Les responsables de NewB devront arriver avec de vraies propositions pour qu’une dynamique positive soit relancée, aussi enthousiasmante que celle de 2019. Il est peut-être possible, par exemple, de mettre sur pied un nouveau modèle d’institution financière avec moins de clients pour se redéployer.
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