Les SPAC, nouvelles stars de la Bourse

Le SPAC Churchill Capital Corp IV a fusionné avec Lucid, constructeur de voitures électriques, en février. Une très mauvaise affaire pour de nombreux investisseurs. © Getty Images

Les SPAC sont un moyen facile, mais aussi peu transparent, d’introduire des sociétés en Bourse. Investisseurs, attention aux doigts.

Le point commun entre Virgin Galactic censé offrir bientôt des vols spatiaux aux touristes fortunés, la plateforme de streaming musical Spotify, le fabricant de camions électriques Nikola, le spécialiste du big data Palantir ou la revue émoustillante Playboy? Toutes ces sociétés ont été introduites en Bourse via un SPAC (Special Purpose Acquisition Company), un véhicule d’investissement très particulier qui a le vent en poupe depuis quelques mois.

Particulier, oui, car un SPAC est une société vide au départ. Elle lève de l’argent sur une promesse générale d’investir dans “quelque chose” de plus ou moins précis dans les mois qui suivent. Ce qui attire les investisseurs, qui donnent donc un chèque en blanc. Les SPAC prennent alors souvent les noms de leurs promoteurs – des hommes d’affaires ou des fonds ayant déjà fait leurs preuves – ou des thématiques d’investissement.

Les SPAC, nouvelles stars de la Bourse

En deux temps

Généralement, l’opération se passe en deux temps. D’abord, le SPAC lève du capital, en émettant le plus souvent des actions au prix de 10 dollars chacune, et il s’introduit en Bourse. Ensuite, il part à la chasse, négocie avec une entreprise cible et fusionne avec elle. Si, par exemple, un SPAC lève un milliard de dollars et fusionne avec une société qui vaut un autre milliard, la fusion crée un groupe valorisé à deux milliards, dont les actionnaires du SPAC détiendront 50%.

Le concept, américain au départ, commence à prendre en Europe. En France, les hommes d’affaires Xavier Niel et Matthieu Pigasse se sont appuyés sur ce concept pour lancer Mediawan, devenu un leader dans la production audiovisuelle, et s’apprête à remettre le couvert avec 2MX, SPAC ciblant des projets dans la distribution et la consommation durables.

Chez nous aussi, on s’y intéresse . Début février, Alychlo, le holding de Marc Coucke, a placé des billes dans ESG Core Investments, un SPAC néerlandais visant des participations dans des sociétés industrielles européennes. Et Spire Global, la société luxembourgeoise spécialisée dans la collecte de données météo via satellites dont le Belge Jeroen Cappaert est cofondateur, a annoncé qu’elle allait fusionner avec le SPAC NavSight, afin de se faire coter à New York.

Mais c’est aux Etats-Unis, qui pèsent 80% du marché mondial des SPAC, que l’engouement est le plus fort. Les SPAC, qui existent depuis une trentaine d’années, se sont vraiment réveillés à partir de l’an dernier. “Entre le 1er janvier et le 3 mars de cette année, on recense déjà 175 SPAC qui ont levé 56 milliards de dollars, explique Xavier Timmermans, stratégiste chez BNPP Fortis. Soit 1,75 milliard par jour ouvrable.” L’année s’annonce donc déjà plus tonique que l’an dernier, qui avait vu, sur 12 mois, 229 SPAC lever 76 milliards de dollars, ce qui était déjà six fois plus qu’en 2019. Les montants des fusions et acquisitions annoncés par ces véhicules commencent à être aussi imposants que ceux des IPO (introductions en Bourse) classiques. Pour les deux premiers mois de l’année, les fusions avec des SPAC totalisent un montant de 170 milliards de dollars, davantage que les 157 milliards réalisés en 2020.

Le principal avantage d’un SPAC est d’éviter les démarches d’une IPO classique.”

Xavier Timmermans (BNP Paribas Fortis)

Souples et peu transparents

“Le principal avantage d’un SPAC est d’éviter les démarches d’une IPO classique, auprès de régulateurs comme la Securities and Exchange Commission aux Etats-Unis, pour- suit Xavier Timmermans. Les démarches d’une IPO sont lourdes: il faut rédiger un prospectus, faire vérifier les données par un auditeur accrédité puis faire valider le prospectus par le régulateur qui ne donne généralement son blanc-seing qu’après un processus d’allers-retours avec la société. Tout cela peut prendre des mois.”

“Un autre avantage du SPAC est que vous pouvez réaliser l’opération de fusion ou d’acquisition quand vous voulez, ajoute le stratégiste de BNP Paribas Fortis. Ces sociétés bénéficient en effet d’un délai de deux ans pour investir.” Si elles ne trouvent pas d’opportunités pendant ces 24 mois, elles sont obligées de retourner l’argent aux actionnaires. “Contrairement à une IPO qui comporte toujours le risque de ne pas pouvoir être effectuée au bon moment, le SPAC peut attendre et profiter d’une ouverture à un moment donné, ajoute Bernard Keppenne, le chief economist de CBC. C’est la souplesse qui fait sa force, mais aussi son inconvénient car ce sont des outils peu transparents pour les investisseurs.” Si la société qui s’introduit en Bourse lors d’une IPO classique ne peut que montrer ses comptes audités et très difficilement établir des projec- tions pour les résultats futurs, ces limitations n’existent en effet pas pour les SPAC qui peuvent, en négociant une fusion avec une cible, présenter des prévisions de résultats affriolantes.

Voici quelques semaines, une opération a marqué les esprits, mettant le doigt à la fois sur l’intérêt et le danger de ces opérations. Le SPAC Churchill Capital Corp IV avait émis des actions à 10 dollars pièce, était coté en Bourse et visait un investissement dans un fabricant de véhicules électriques, secteur faisant rêver grâce à Tesla. Voilà pourquoi le titre Churchill, dès avant avoir annoncé toute opération, se négociait déjà bien au-delà de sa valeur objective de 10 dollars. Il a ensuite littéralement explosé (dépassant les 50 dollars) à partir du 11 janvier, lorsqu’il est apparu que Churchill négociait avec Lucid, société fondée par des anciens de Tesla.

La suite est plus subtile. Le 22 février, le deal s’opère avec Lucid. Le SPAC apporte un montant de 2,1 milliards de dollars, qui valorise le constructeur à 24 milliards de dollars, soit 35 dollars par action. Une toute bonne affaire pour les promoteurs de Churchill qui possédaient des actions acquises à 10 dollars. Mais une très mauvaise affaire pour la masse des investisseurs qui ont acheté en Bourse les titres Churchill à 50 dollars voire davantage (la veille du deal, l’action Churchill se négociait à 57,37 dollars. Soit une décote de plus de 50%).

Marché torride

Ce n’est pas la seule déconvenue. Nikola, le constructeur de camions électriques, a lui aussi attiré de l’argent en fusionnant avec un SPAC et a affiché un moment une valorisation équivalente à celle de Ford. Mais c’était avant que l’on ne découvre que l’entreprise ne maîtrisait pas la technologie pour faire rouler ses véhicules et que le cours ne chute de 70%.

Le marché des SPAC est d’autant plus torride qu’il s’adresse davantage aux petits épargnants que les actions classiques (on estime que 40% des montants des SPAC aux Etats-Unis sont souscrits par des investisseurs individuels), qui sont appâtés par le nom de certains promoteurs: la championne de tennis Serena Williams, le rappeur Jay-Z, le basketteur Shaquille O’Neal, etc.

“On observe une grande exagération, souligne Xavier Timmermans, non seulement au vu de ces montants mentionnés, mais aussi parce que les investisseurs sont prêts à payer une prime pour acheter un véhicule qui n’a que du cash. Dans le cas de Churchill, l’action ne devrait valoir que 10 dollars. Payer 11, 12 ou 13 dollars est absurde.” Bernard Keppenne abonde: “Ce phénomène rejoint ma réflexion globale de ces derniers temps. Nous assistons à la création de bulles un peu partout: sur le bitcoin, sur certaines valeurs boursières ou sur ce type de véhicules…” A manier avec précaution, donc.

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