Le pardon fiscal ne fait plus autant recette qu’avant

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Sebastien Buron
Sebastien Buron Journaliste Trends-Tendances

Alors qu’il entre dans sa dernière ligne droite, le régime actuel de régularisation des capitaux n’a plus vraiment la cote auprès des candidats potentiels au pardon fiscal. A peine 128 millions d’euros d’argent noir ont été régularisés depuis le début de l’année. Une maigre moisson.

La crise n’épargne personne. Même la quatrième amnistie fiscale (la DLU quater) ne fait plus recette. Selon les chiffres du SPF Finances, à peine 127,9 millions d’euros d’argent noir ont été déclarés au fisc et régularisés durant le premier semestre, contre 190 millions sur la même période un an plus tôt. Une somme qui porte sur un total de 193 dossiers soumis à l’administration durant les six premiers mois de l’année et dont 113 ont déjà été traités, ce qui a permis au fisc de récupérer 32 millions d’euros d’impôts éludés.

Si ce chiffre de 32 millions n’est pas négligeable, il est toutefois bien inférieur aux 500 millions de recettes fiscales qu’avait générées la DLU de 2004. Même en ajoutant les 50 millions d’euros de prélèvements supplémentaires générés par 152 demandes de régularisation introduites avant 2022 mais qui ont été traitées cette année, on arrive à seulement 82 millions d’euros d’impôts récupérés. Un montant qui reste très largement en dessous des 216 millions d’euros engrangés par la DLU quater sur l’ensemble de l’année 2021.

Peu de succès

Ces maigres rentrées fiscales et le peu de succès rencontré par le système actuel n’étonnent guère l’avocate spécialisée en droit fiscal Typhanie Afschrift. Moins de 128 millions d’euros d’argent noir régularisés en six mois et à peine 82 millions d’impôts récupérés, “ce n’est pas grand-chose”, tranche-t-elle. Rien d’étonnant à cela, selon la fiscaliste. “En réalité, le système n’a jamais vraiment fonctionné, poursuit Typhanie Afschrift. La plupart de ceux qui avaient des capitaux à déclarer l’ont fait avant.”

Depuis août 2016, les contribuables qui ont omis de déclarer des revenus ont en effet à nouveau l’opportunité de payer l’impôt avec une pénalité. Mais plusieurs possibilités avaient déjà été offertes de se repentir. Pas moins de trois “déclarations libératoires uniques” ont été mises en place avant le système en vigueur depuis 2016: la DLU de 2004, la DLU bis (de 2006 à mi-2013) et la DLU ter (de mi-2013 à fin 2013). C’est ainsi que des milliers de Belges ont rapatrié en Belgique leurs capitaux non déclarés qui se trouvaient sur des comptes ouverts auprès de banques étrangères (au Luxembourg, en Suisse) en régularisant les revenus (dividendes, intérêts) mais pas les capitaux sous-jacents (une vieille succession, par exemple). Résultat des courses aujourd’hui, “il ne reste plus que les cas difficiles, c’est-à-dire ceux qui présentent des capitaux prescrits fiscalement pour lesquels un maximum de pénalité est exigé, indique Typhanie Afschrift. Mais la loi a été mal faite et n’offre aucune sécurité juridique. Pas étonnant, dans ces conditions, que les candidats à une régularisation ne se montrent guère enthousiastes”.

Lourd et coûteux

Si le régime actuel a très peu de succès et n’attire pas les “clients” potentiels, c’est tout simplement parce qu’il est extrêmement coûteux et exige que la régularisation porte non seulement sur les revenus éludés mais aussi sur les capitaux qui ne sont normalement plus taxables. “Et cela coûte plus de 40% du capital lui-même“, rappelle Typhanie Afschrift, parlant d’un tarif dissuasif.

En outre, il n’est plus possible de régulariser des droits de succession. Beaucoup sont donc bloqués. Et pour corser le tout, la charge de la preuve incombe aux contribuables. Comme il s’agit déjà de la quatrième opération de régularisation (DLU quater), le législateur considère les contribuables qui n’ont pas encore saisi l’opportunité de se faire pardonner comme des fraudeurs obstinés. En ce sens, l’opération actuelle prévoit des conditions de régularisation plus strictes. Si bien qu’il appartient au contribuable de démontrer lui-même que son argent est blanc et qu’il est donc en ordre d’un point de vue fiscal, ce qui n’est pas toujours facile, soutient Typhanie Afschrift. “Prenez par exemple le cas d’une personne qui a hérité de fonds dans les années 1960 et à qui on demande d’apporter la preuve par écrit que l’origine de ces fonds est licite. C’est très lourd sur le plan administratif, voire impossible. Personne ne dispose généralement de ce genre de documents, sauf dans des cas rares. Et il n’est pas possible de les obtenir auprès des banques dans la mesure où elles ne sont tenues de conserver les extraits de compte que pendant 10 ans. Du coup, plutôt que de rapatrier leur argent en Belgique, beaucoup de gens qui n’ont pas besoin de cet argent pour vivre préfèrent le garder à l’étranger, quitte à le dépenser petit à petit, tout en déclarant le compte et les revenus mais en sachant bien que le fisc ne peut pas les taxer”, observe l’éminente fiscaliste pour qui “il est aujourd’hui plus dangereux de faire une régularisation que de se faire attraper par l’ISI“.

Vers une DLU 5?

Il faut dire aussi que les dénonciations pleuvent. Jamais les banquiers n’ont autant joué aux délateurs en Belgique. L’an dernier, la cellule qui traque l’argent sale (la CTIF, Cellule de traitement des informations financières) a reçu plus de 20.000 déclarations de soupçon en provenance du secteur bancaire. En fait, dit Typhanie Afschrift, “ils ouvrent tout grand leur parapluie en raison de la nouvelle directive de la Banque nationale qui les oblige à tout documenter”.

Reste que les régularisations ne disparaîtront pas totalement pour autant. D’abord parce que selon un rapport publié l’an dernier par la Cour des comptes sur les quatre DLU, plus de 40 milliards d’argent noir dormiraient encore dans les banques en Belgique. Ensuite parce que “le jeu dure depuis des années, explique Typhanie Afschrift. Et à chaque fois, c’est la même chose. Des gouvernements successifs instaurent un système de DLU, soi-disant unique, en précisant que c’est pour une période limitée. Ensuite un autre gouvernement crée une nouvelle possibilité de régularisation (DLU 2, DLU 3, puis DLU 4) et ainsi de suite. Une fois de plus, c’est la même chose avec le système actuel dont le gouvernement De Croo a annoncé qu’il s’éteindrait fin 2023. Il faut prendre cette décision figurant dans l’accord de gouvernement pour ce qu’elle est: une méthode commerciale qui vise à attirer la clientèle et à faire rentrer de l’argent dans les caisses de l’Etat. Mais cette méthode, on le voit, ne fonctionne pas. Les contribuables se sont accommodés de la situation et ne vont pas changer d’avis”.

Est-ce à dire qu’une DLU 5 pourrait voir le jour après 2024? “Ce n’est pas impossible, mais il faudra quelques années de plus et surtout changer complètement de système si on veut qu’il devienne une source de recettes importantes pour l’Etat”, conclut Typhanie Afschrift.

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