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Taxer les surprofits, la fausse bonne idée
Faire une politique économique, ce n’est finalement pas autre chose que de créer des incitations pour pousser les entreprises et les ménages à aller dans la direction que l’on estime la meilleure. Cela a l’air simple. Ce ne l’est pas.
Dans notre mode de gouvernement, et on le verra encore dans ce numéro qui fait une large place au projet de réforme fiscale, on se prend souvent les pieds dans des incitations contradictoires. Tel parti de gouvernement pousse sa mesure pour flatter son électorat, tel autre pousse une mesure opposée pour flatter le sien. Résultat: l’Etat dépense beaucoup, la fiscalité devient chaotique et cet écheveau fiscal est souvent contre-productif.
On risque d’être à nouveau déçus si, comme on le projette chez nous, on lève prochainement une taxe sur les surprofits des entreprises, et plus spécialement des groupes énergétiques. Précision: il ne s’agit pas ici de relever le taux d’imposition des sociétés, mais de taxer temporairement des profits sur des activités réalisées dans le pays que les autorités estiment “trop élevés”. L’Italie, l’Espagne, le Royaume-Uni sont déjà passés à l’acte.
Au départ, il y a deux constats. Le premier est moral. Il est indécent qu’en temps de crise, certaines entreprises voient exploser autant leurs bénéfices. L’autre est sonnant et trébuchant. Il faut trouver de l’argent pour adopter des mesures de soutien à des électeurs paniqués par l’idée de voir leur facture énergétique doubler ou tripler.
Mais d’abord qu’est-ce qu’un surprofit ? Si c’est un bénéfice perçu indûment, parce que l’on a constitué un cartel, que l’on a fraudé, que l’on n’a pas respecté telle ou telle législation, l’Etat dispose déjà des moyens pour remettre de l’ordre et mettre les fautifs à l’amende. Mais quid si la hausse des profits s’explique parce que l’entreprise est devenue plus efficiente, ou parce que des événements extérieurs comme une guerre, des sanctions, un virus,… ont déséquilibré le marché? Et par rapport à quel niveau normal définir ces bénéfices excédentaires?
Lever une taxe sur les surprofits pour financer un chèque aux ménages n’est ni opportun, ni efficace et enverrait un message désastreux au monde économique
Et puis, croit-on vraiment qu’une telle taxe apporterait l’argent nécessaire? Le rendement de l’impôt des sociétés se situe entre 15 et 20 milliards d’euros par an, soit au mieux un sixième de la totalité de ses recettes fiscales. Une taxe sur les surprofits des groupes énergétiques procurerait donc au mieux quelques centaines de millions. Aidera-t-elle les ménages à passer les 5 ou 10 années difficiles que prévoit le Premier ministre? Sans parler du risque de l’effet boomerang. Souvenez-vous des banques. En 2008, l’Etat les a sauvées puis leur a imposé de nouvelles taxes. Mais au final, les banques, incitées par les régulateurs à maintenir un certain niveau de profitabilité, ont répercuté ces mesures sur leurs clients en rehaussant leurs tarifs…
Enfin, à l’heure de la transition énergétique, une telle mesure offrirait la plus mauvaise incitation qui soit. Car si on lève une taxe cette année pour financer une aide (cosmétique) aux ménages, les entreprises, échaudées, ne seront plus trop tentées d’investir dans les années à venir. A quoi bon, puisque les profits sur ces investissements risqueraient d’être captés par l’Etat… C’est d’autant plus délicat que le gouvernement négocie justement avec Engie pour lui demander d’investir des sommes très importantes dans le prolongement de nos centrales nucléaires.
On peut vouloir orienter les profits des entreprises pour qu’ils financent des modes de production décarbonés. Ce serait judicieux. Mais lever une taxe sur les surprofits pour financer un chèque aux ménages n’est ni opportun, ni efficace et enverrait un message désastreux à un monde économique qui se sent déjà passablement abandonné aujourd’hui.
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