Le Journal des Marchés : “Les États-Unis sont finalement très modérés face à la Chine”
Guillaume Duchesne, expert à la Banque Transatlantique, est l’invité du Journal des Marchés. Il revient sur les attaques commerciales de Trump contre la Chine, finalement moins sévères que ce qui était annoncé ?
Trump s’attaque-t-il davantage à ses pays voisins qu’à la Chine ? “Trump semble se focaliser sur deux plans. D’un côté, la guerre commerciale et économique. Le Mexique et le Canada ont les principaux pays excédents commerciaux avec les US. Il veut aussi résoudre le problème de trafic de drogue et d’immigration, dont l’effet peut être immédiat sur le plan de la politique intérieure.”
“De l’autre côté, il mène une guerre d’influence idéologique, avec l’UE. L’Allemagne a certes aussi un excédent commercial avec les États-Unis, mais cela se joue aussi sur le plan idéologique ; sur le plan des valeurs et de l’interprétation de la liberté d’expression. Il suffit de voir le discours de Munich du Vice-président américain. Une diatribe étonnante, quelques jours avant les élections allemandes. Il n’adhère pas à la conception de l’UE, ne respecte pas les organisations multiétatiques. Finalement, Trump est plus discret sur la Chine … il a plus de respect pour la Chine que l’UE sur ce plan-là, même si l’excédent commercial est conséquent”, analyse Guillaume Duchesne.
Chine
L’administration Trump est donc moins sévère envers la Chine que ce qu’elle avait annoncé lors de la campagne électorale. “Elle a décrété de nouveaux droits de douane de seulement 10% sur l’ensemble des importations en provenance de Chine. Cela est bien plus modéré que ce qui avait été envisagé lors de la campagne présidentielle, c’est-à-dire une hausse de 60%. L’impact serait d’un à deux dixièmes de points de PIB sur la Chine.”
“La Chine n’a que mollement riposté, signalant qu’elle ne souhaitait pas d’escalade (contrairement à la stratégie « oeil pour oeil, dent pour dent » de 2018 et 2019). Les nouveaux droits de douane portent sur seulement 14 milliards de dollars de biens américains, c’est environ 8% des importations chinoises de biens américains. La hausse est limitée : +10% sur le pétrole et autres produits pétroliers (mais aussi les machines agricoles et les voitures de grosse cylindrée) et +15% sur le charbon et le GNL. Cela s’est accompagné de mesures complémentaires peu significatives : une enquête antitrust sur Google a été lancée et deux entreprises américaines supplémentaires ont été ajoutées à la liste noire. Et un nouveau renforcement des contrôles à l’exportation sur les métaux rares a été mis en place.”
Il faudrait cependant rester prudent : “Le décret de Trump sur la politique commerciale “America First” présente plusieurs canaux potentiels pour de nouvelles hausses tarifaires. La Chine correspond largement à un pays pratiquant des mesures anti-concurrentielles au sens large (barrières non tarifaires, subventions, manipulation du taux de change) et pourrait donc se voir attribuer de nouvelles taxes.”
Et à échelle géopolitique aussi, il reste des risques : “Le département d’État américain avait en fin de semaine dernière retiré de son site la formulation selon laquelle les États-Unis ne soutenaient pas l’indépendance de Taïwan. Cet ajustement traduit la volonté de Washington de dissocier la situation de l’Ukraine et de celle de Taïwan, en adressant un message implicite à Pékin : les dynamiques en Europe ne doivent pas être perçues comme un feu vert par la Chine pour agir dans le détroit de Taïwan.”
L’économie et les marchés chinois
D’ailleurs, comment se porte l’économie chinoise en ce début d’année ? Après une année 2024 dans le mou ? “Il y a une augmentation des nouveaux prêts ainsi qu’une reprise du crédit non bancaire (shadow banking). Les prêts de moyen et long terme aux ménages ont progressé de 494 milliards de yuans, soit le niveau le plus élevé en 12 mois, reflétant une amélioration des ventes de logements depuis octobre dernier. Il y avait aussi quelques améliorations à la fin de 2024, avec stimulus des autorités (budget) : la demande des ménages s’est légèrement renforcée au dernier trimestre. La croissance des ventes au détail a accéléré (à +3,6% en glissement annuel), en volume (contre +2,2% au troisième trimestre) grâce au programme de remplacement de biens de consommation subventionné (achat de téléphones) par le gouvernement, et les transactions immobilières ont très légèrement rebondi. Pendant le nouvel an qui vient de se terminer, les voyages et consommation sont revenus au niveau précovid.”
Sur les marchés, cela se traduit par une hausse. “Les marchés chinois ont rebondi (+23% depuis les points bas de septembre). Ils sont soutenus par un dollar américain affaibli, la reprise économique en Chine et une rotation des investisseurs délaissant les valeurs américaines, mais aussi par l’engouement autour de DeepSeek. Le marché chinois se négocie désormais à 10,7 fois le ratio C/B attendu sur les 12 mois à venir, soit en ligne avec la moyenne des 15 dernières années. Mais cela reste néanmoins inférieur à la moyenne relative depuis 15 ans vs le monde émergent.”
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici