Mario Draghi dégaine
La BCE souhaite relancer l’activité économique de la zone euro en fournissant du crédit très bon marché.
La Banque centrale européenne (BCE) achètera pour quelques centaines de milliards d’euros (EUR) d’emprunts sécurisés à côté de son programme TLTRO (Targeted Long Term Refinancing Operations) qui démarre ce mois-ci. Comment cela se déroulera-t-il est chose encore inconnue Ce seront aux banques de distiller cet argent. La BCE les pénalisera par ailleurs en pratiquant des taux négatifs deux fois supérieurs à ce qu’ils étaient auparavant si les banques préféreraient parquer les disponibilités auprès d’elle.
Baisse temporaire de l’euro
Mario Draghi, le président de la BCE, refuse toujours de désigner les nouvelles mesures comme faisant partie d’une expansion monétaire. C’est que ni les instances européennes ni le gouvernement allemand n’accepteraient la chose. L’EUR a chuté face à toutes les devises suite à la divulgation des nouvelles modalités. Il a récupéré une partie du terrain vendredi dernier lorsqu’il est apparu que l’embauche aux Etats-Unis ne se déroulait pas de la manière supposée. En fin de semaine, il accusait une perte de 1,85% face au dollar (USD).
Les Bourses et le marché obligataire ont salué l’initiative avec enthousiasme. C’est que le message est particulièrement propice au marché des capitaux : les taux d’intérêt resteront faibles longtemps encore. Que la conjoncture européenne en profitera reste une question sans réponse. Nous en doutons pour plusieurs raisons. Tant techniquement qu’économiquement ou même conjoncturellement, les nouvelles mesures auront une incidence plus néfaste qu’on ne l’imagine.
Augmenter le pouvoir d’achat
Depuis que la crise sévit, malgré l’expansion monétaire phénoménale de ces dernières années, la récession prévaut en Occident. Les entreprises tout comme les particuliers qui disposent de liquidités, sont peu enclins à les investir ou à les dépenser. La raison est évidente : tant que la confiance dans l’avenir fera défaut, rien ne changera. Les taux d’intérêt peuvent descendre sous zéro, personne ne changera d’attitude. Personne ne contractera de nouveaux crédits si les perspectives professionnelles restent moroses. Si on veut véritablement redresser la conjoncture, il n’y a pas trente-six solutions, seule l’augmentation du pouvoir d’achat y pourvoira, surtout dans une économie basée sur la consommation. On n’y arrivera jamais par le biais du crédit.
Les mesures ne réussiront pas non plus sur le plan technique. La BCE envisage de débourser quelque 1.000 milliards d’EUR. Il n’est pas clair si ce montant proviendra exclusivement de ce programme d’achat ou s’il inclut le TLTRO. Mais comme annoncé la semaine passée, le marché des emprunts sécurisés est trop étroit et diversifié en Europe pour qu’il puisse actuellement convenir efficacement. Son importance est estimée à quelque 200 milliards d’EUR répartis dans tout l’Europe. La distribution ne pourrait théoriquement pas dépasser ce montant. Montant qui reste de toute façon dérisoire pour relancer la machine européenne.
En voulant acheter des obligations sécurisées, la BCE promeut involontairement la spéculation. Pour participer à la distribution, les banques sont obligées de remettre des emprunts sécurisés. Elles doivent donc d’abord fournir du crédit aux intéressés et “réemballer” ensuite ces crédits dans ce genre d’emprunts. Mais comme évoqué plus haut, si personne ne veut contracter de nouveaux crédits, les banques ne pourront pas émettre de nouvelles obligations sécurisées. A moins qu’elles ne sécurisent des crédits effectués hors de l’Union.
A cause de la faiblesse des taux d’intérêt, du recul de l’EUR et du manque d’octrois de nouveaux crédits dans la zone euro, les banques peuvent profiter de l’aubaine pour fournir du crédit en dehors de celle-ci et le sécuriser par la suite pour céder les emprunts à la BCE. Elles pratiqueraient, en quelque sorte, une nouvelle forme de carry trade. Et comme toute expansion monétaire, celle-ci attisera la guerre des devises.
Vente massive d’emprunts d’Etat
La réaction du marché ne s’est d’ailleurs pas fait attendre. Cela faisait des semaines que les institutions financières accumulaient des emprunts d’Etat, dans le cadre du TLTRO et de l’expansion monétaire annoncée par la BCE. Maintenant qu’on en sait plus sur sa forme, les emprunts d’Etat s’avèrent moins intéressants. Les institutions les ont vendus en masse dès jeudi passé, causant une dégringolade de leur cours. Les noms prestigieux, comme l’Allemagne, ont perdu jusqu’à 3% en une semaine. Les titres à long terme étaient les plus affectés. Ce qui a eu pour conséquence un arrêt temporaire de l’aplatissement des courbes de rendement.
Le cessez-le-feu convenu en Ukraine a influencé favorablement les places financières. Tous les émetteurs ayant une relation quelconque avec la Russie se sont fortement redressés. Tous les émetteurs russes ont eux aussi regagné pas mal de terrain. Les profits dépassaient largement les 2%. Les émetteurs ukrainiens ont participé à la fête. Elle risque cependant d’être de courte durée. L’Ukraine doit effectivement régler un amortissement dans les prochains jours. Si le pays n’y parvient pas à temps, il risque d’être banni des marchés, à l’instar de l’Argentine actuellement.
Les devises à haut rendement ont excellé sur le marché des changes. A leur tête, on trouve le dollar australien (AUD) qui a bondi de 2,15% en avant en une semaine. Les obligations libellées en AUD ont, elles, reculé. On en comptait 15 fois plus à la baisse qu’inversement. Le rouble (RUB) a progressé autant que l’USD, tout comme le yuan chinois (CNY). La lire turque (TRY) a gagné 1,55%, le réal brésilien (BRL) 1,8% et le rand sud-africain (ZAR) 0,8%.
Marché primaire submergé
Le marché primaire a littéralement été submergé par les émissions bancaires. Rien qu’en EUR et en USD, elles dépassaient le montant de 44 milliards d’EUR. Si on y ajoute les filiales financières d’entreprises internationales et les émissions dans les autres devises, on dépassait la somme de 50 milliards ! L’importance des emprunts est en croissance constante. Les banques offrent déjà des séries de plus de 3 milliards. Vu les circonstances, de nouveaux noms tentent leur chance sur le marché. Comme ces deux entreprises suisses, Rieter (sans notation) qui produit des machines textiles, et Bucher (sans notation) qui fabrique des machines agricoles. Leurs emprunts sont exprimés en franc suisse (CHF).
En EUR, on remarquera l’émission de la compagnie aérienne allemande Lufthansa (Ba1) qui offre 1,22% à 5 ans, ce qui n’est pas énorme. Le producteur de fibre finlandais Ahlstrom (sans notation) est plus généreux et offre 4,16%, soit 3,7% de plus que la moyenne du marché. Notez que l’emprunt ne cotera qu’à Helsinki. Le producteur de pompes suédois Alfa Laval (BBB+) donne 1,5% à 8 ans, ce qui est actuellement conforme aux conditions du marché. KBC Ifima (A) lance quelques emprunts de petite envergure dans différentes devises. Aucun n’est recommandé. Tout d’abord à cause de leur négociabilité plus que médiocre, ensuite à cause de leur rendement insuffisant, enfin à cause de la présence de la clause bail-in qui permet à la banque d’annuler l’emprunt séance tenante dès qu’elle rencontrerait des difficultés financières. La nouvelle tranche de la BEI (AAA, supranationale) en ZAR coûte 1,05% de moins sur le marché secondaire. Nous lui préférons toutefois cette autre BEI (alt.5) qui rapporte encore plus, pourvu que frais et différences de prix ne dépassent pas 1,17%.
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