Les banques centrales à court d’idées

Il y a deux semaines, la Banque centrale américaine (Fed) mettait la reprise économique en doute. Jeudi passé, l’européenne (BCE) affirmait à son tour qu’elle ne pouvait pas résoudre le problème si les États ne l’y aidaient pas. La japonaise a, pour sa part, menacé d’intervenir sur le marché pour arrêter la montée du yen (JPY). Depuis, la devise nippone progresse à grandes enjambées, comme si personne ne croyait encore un traître mot de ce qui se dit. Et puis les Panama Papers sont venus jeter de l’huile sur le feu.

L’excuse de la BCE publiée dans son rapport ne tient pas la route. La Banque ne peut en effet reprocher aux États de ne rien entreprendre pour soutenir sa politique monétaire alors qu’elle réclame de leur part qu’ils respectent le diktat budgétaire. Elle n’a pas encore compris qu’il n’y aura aucune relance sans retour de la confiance. Des taux nuls ou même négatifs ne changeront rien à l’affaire.

Pas de distribution par hélicoptère

En fait, le commentaire de la BCE confirme une chose : la Banque n’a nulle intention de distribuer l’argent directement aux ménages (“helicopter money”). Ce serait pourtant la méthode la plus efficace pour relancer la conjoncture. Comme tout un chacun doit avoir un compte en banque, la BCE aurait connaissance de l’utilisation de ses largesses à tout moment. Certes, elle n’aurait aucune influence quant à cette utilisation. Finalement, cela ne serait pas différent de ce qui se passe actuellement : les banques bénéficiaires de ses largesses n’en font elles aussi qu’à leur tête.

Des taux nuls ou négatifs n’ont que peu d’incidence sur l’évolution conjoncturelle de la région. Ils affectent cependant la valeur de la monnaie. Ils sont par conséquent une arme destructive dans la guerre des devises que se mènent les principales banques centrales entre elles. On le voit d’ailleurs aujourd’hui au Japon. Plus les taux y dégringolent, plus le JPY devient intéressant pour financer la spéculation. Un emprunt en JPY ne coûte plus rien. Il rapporte parfois. Il permet de toute façon de spéculer sur les marchés offrant encore un retour positif. L’euro (EUR) subit des conséquences similaires de nos jours. Chez nous on n’utilise pas directement la monnaie, mais des obligations.

Au lieu d’émettre dans leur propre monnaie, les entreprises et institutions américaines préfèrent lancer leurs emprunts en EUR, dont elles convertissent immédiatement le produit en USD. Grâce à une série d’accords swap (d’échange), ces emprunts se comportent comme s’ils étaient exprimés en USD, mais au coût de l’EUR. On peut comparer cette pratique aux carry trades dans le domaine des devises. Ces opérations ont pour effet de pousser la devise davantage vers le haut.

La confiance s’effrite

La confiance dans la capacité des banques centrales à juguler ces anomalies monétaires s’estompe au fil des jours. Cette méfiance affecte l’économie réelle. Le rapport entre les devises détermine en partie les transactions commerciales entre les pays. Ceux qui craignent une hausse de la monnaie dans laquelle ils doivent régler leurs factures, s’empresseront de payer le plus rapidement possible, tandis que ceux qui encaissent de l’argent dans une devise en progression ralentiront sa conversion en vue de gagner davantage encore. Ce phénomène, ou leads and lags dans le jargon financier, attise les déséquilibres monétaires.

La situation aux États-Unis n’est pas plus reluisante. Leur problème réside dans la disponibilité des capitaux. Si la majeure partie de ceux-ci est libellée en USD, ces capitaux ne sont pas investis aux États-Unis. Pour les attirer, on peut bien sûr rendre l’USD plus attractif. Mais s’il se renforce, il pénalise les entreprises à l’exportation. Un effritement de la monnaie, pour sa part, ne favorise pas la confiance en celle-ci. Alors, pour trouver un juste milieu, le pays n’a rien trouvé de mieux que de s’attaquer aux paradis fiscaux. Mais pas à tous, bien sûr, les paradis anglo-saxons et d’origine hollandaise ne sont pas dans son champ de mire.

Paradis fiscaux

Dans un monde capitaliste, les paradis fiscaux sont des entités indispensables pour régler des affaires qui ne sauraient sinon exister. De plus, on sait que chaque pays est, dans une mesure plus ou moins évidente, un paradis fiscal pour ses voisins. Le problème n’est donc pas tant la présence des paradis fiscaux, mais bien la facilité de déposer de l’argent que chaque pays consent. Car le suivi de ces dépôts ne pose aucun problème.

Tout USD placé sur un compte en banque se retrouve automatiquement aux États-Unis auprès d’une banque américaine faisant fonction de correspondant de la banque locale située n’importe où dans le monde. Les autorités américaines sont donc en mesure de savoir à tout moment qui fait quoi et où. Elles peuvent donc aussi geler n’importe quel avoir quand bon leur semble, comme on l’a vu avec les avoirs de l’Iran, de Cuba ou plus récemment une partie de ceux de la Russie. La diffusion de ces Panama Papers vise davantage à créer l’inquiétude auprès des détenteurs de fonds inavoués. On souligne uniquement l’aspect d’évasion fiscale de ces comptes. Or, vu la manière dont s’est déroulée l’affaire, il est clair que les protagonistes espèrent créer suffisamment de méfiance pour que les contrevenants placent leurs avoirs directement aux États-Unis. Attendons les commentaires que ne manqueront pas de faire les membres du G-7 lors de leur réunion ce week-end au Japon.

Hausse du yen

À l’exception du JPY qui a bondi de 3,8% en avant face à l’EUR, la gêne causée par les Panama Papers a profité à l’USD qui a grimpé de 0,6% la semaine dernière. La livre (GBP) a perdu 1%. La majorité des devises à haut rendement ont encaissé le coup. Le dollar australien (AUD) et son homonyme néo-zélandais (NZD) ont perdu 1,4%, autant que le rand sud-africain (ZAR). Le peso mexicain (MXN) a cédé 1,5%, le réal brésilien (BRL) 0,6%. Le rouble (RUB) a fait bande à part, gagnant 1,3%. La guerre des devises est loin d’être terminée.

Tous ces événements ont pesé sur le marché des capitaux. L’activité y a été plus chaotique que d’ordinaire. Les émetteurs de renom ont excellé, causant une baisse générale des taux d’intérêt. Les titres à long terme étaient très demandés. Les entreprises s’activent sur le marché primaire pour profiter de conditions qui leur sont encore très avantageuses. Le constructeur d’automobiles français Peugeot (Ba2) lance un emprunt en EUR à 7ans. En rédigeant ces lignes, le prix de souscription n’était pas encore connu. Il sera probablement inférieur au pair (100%). L’émission devrait donc rapporter plus que ce qui est indiqué dans le tableau. RTE (A+), la firme française chargée des infrastructures d’électricité du pays, lance deux emprunts à long terme qui se sont vendus comme des petits pains. Ils cotent tous deux déjà au-dessus de leur prix de souscription sur le marché gris. Le groupe papetier et d’emballage anglais Mondi (BBB) propose une émission à 8ans dont les conditions sont chiches. Le titre n’est franchement avantageux que pour l’émetteur en soi.

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