L’économie belge a besoin de la Bourse
Les entrepreneurs ont besoin de la Bourse. Les entreprises ont besoin de la Bourse. L’économie de notre pays a besoin de la Bourse.
L’époque glorieuse de la Bourse de Bruxelles est loin derrière elle. Tout d’abord, elle a quitté son bâtiment historique il y a près de 10 ans. Un bâtiment emblématique – qui, en volumétrie, était le plus grand bâtiment boursier du monde, nous confiait Bruno Colmant – qui a été transformé en musée de la bière et en patio urbain par la Ville de Bruxelles et la Fédération des brasseurs…
Ensuite, il faut bien l’avouer les introductions en Bourse (IPO) se sont faites rares, voire inexistantes, ces dernières années, la faute au climat économique : crise sanitaire, guerre en Ukraine, remontée des taux d’intérêt, inflation pas encore contrôlée… L’année 2022 a vu 5 sociétés quitter la Bourse de Bruxelles et la cloche n’a retenti que deux fois dans la salle des cotations. L’année 2023, quant à elle, s’est clôturée avec… aucune IPO ! Seule introduction, inscrite au tableau, mais qui n’était pas une IPO à proprement parlé, est l’arrivée de Syensqo, la nouvelle société née de la scission du chimiste Solvay. Que réservera 2024 à la place boursière bruxelloise ?
Pourtant il faut raviver la culture boursière en Belgique et redonner une peu de son panache d’antan à la Bourse de Bruxelles.
1. Les Belges ne prendront pas de risque sans un avantage fiscal
“Le Belge peut être ouvert à l’idée de mettre son épargne au travail, mais une mobilisation massive de l’épargne semble difficile à réaliser sans un coup de pouce fiscal”, estime Michel Casselman, directeur général de Participatiemaatschappij Vlaanderen (PMV). “Mais dans un pays où la pression fiscale est très élevée, il n’est peut-être pas anormal que lorsque le gouvernement appelle les citoyens à l’aide, ceux-ci demandent en retour une réduction de leur facture”.
Dans les années 1980, le gouvernement Martens V était aux prises avec un déficit budgétaire de 16% du produit intérieur brut (PIB) lorsqu’il a adopté en 1982 la loi Cooreman-De Clercq ainsi que d’autres mesures de redressement pour l’économie belge. L’objectif de cette loi Cooreman-De Clercq était d’inciter les Belges à investir leur épargne, jusqu’à concurrence d’un certain montant, dans des actions d’entreprises belges ou des fonds de placement contenant au moins 60% d’actions belges. Récompense à la clé : une exonération d’impôt, qui en 1988 a été remplacé par le régime favorable à l’épargne-pension. Ce régime fiscal est longtemps resté le symbole d’une reprise de la Bourse de Bruxelles.
Aujourd’hui, la Belgique est à nouveau contrainte de se serrer la ceinture et un déficit de 4,4 % est prévu pour 2024. Si le prochain gouvernement veut parvenir à faire redécoller l’économie avec autant de succès que cet arrêté dans les années 1980, des mesures telles qu’une loi Cooreman-De Clercq bis pourraient s’avérer payantes. Des chercheurs de la VUB ont calculé que la précédente loi sur l’équité budgétaire avait permis de dégager 5,5 milliards d’euros de bénéfices.
2. Les entreprises réalisent mieux qu’elles ont besoin de la Bourse
Les détracteurs de la Bourse diront que les entreprises peuvent trouver suffisamment de capitaux auprès des Belges fortunés qui veulent investir dans des sociétés non cotées. On parle de capital-risque pour les start-up, ou de private equity pour les entreprises plus matures.
Selon la Belgian Venture Capital and Private Equity Association (Belgian Venture Capital – BVA), depuis 2007, les fonds de capital-risque ont investi environ 26 milliards d’euros dans 1 067 entreprises belges employant 220 000 personnes. “L’année dernière, 10 000 emplois ont été créés dans ces entreprises, soit une augmentation de près de 13 %, six fois supérieure à la moyenne européenne et comparable aux 2,6 % de croissance de l’emploi dans les entreprises qui n’ont pas été financées par le capital-investissement”, souligne fièrement Jan Alexander, secrétaire général de la BVA.
Des entrepreneurs comme Marc Coucke, Jürgen Ingels ou Conny Vandendriessche ont créé leurs propres fonds pour investir dans des entreprises non cotées en bourse. Il existe des family offices qui gèrent les actifs de familles fortunées. Il y a des holdings cotées en bourse comme Ackermans & van Haaren, Sofina, Gimv et Bois Sauvage, qui investissent dans des entreprises belges non cotées. Mais les banques traditionnelles ne sont pas en reste et envoient leurs clients les plus riches vers le private equity pour 10 à 20 % de leurs portefeuilles.
À l’échelle mondiale, la popularité du capital-investissement n’a cessé de croître, grâce à la faiblesse des taux d’intérêt. Entre 2015 et 2022, les actifs sous gestion ont triplé, passant de 4 500 milliards de dollars à 13 400 milliards de dollars. Cela ne représente que 10 % de l’ensemble des actifs gérés.
Avec les premières hausses de taux d’intérêt, les grands investisseurs, tels que les fonds de pension et les assureurs, se sont tournés vers les liquidités.
Or si les actions cotées en bourse peuvent être vendues par les investisseurs en un clin d’œil, grâce à l’automatisation totale des transactions boursières, il n’en va pas de même pour les actions non cotées. Pour celles-ci, il faut chercher un acheteur… Et la hausse des taux d’intérêt a freiné la croissance du capital-investissement en 2023.
3. Les entreprises ont besoin à la fois de grands et de petits investisseurs
En règle générale, les banquiers d’affaires réservent au moins 10 % des actions d’une introduction en bourse aux investisseurs locaux. À l’instar des investisseurs privés, les grands investisseurs professionnels souhaitent souvent se retirer à un moment ou à un autre. Ce mélange de profils d’investisseurs permet de s’assurer que tout le monde ne se précipite pas vers la sortie en même temps.
Si les gros investisseurs ont des problèmes de liquidité et veulent liquider leurs actions, il peut y avoir de bonnes affaires pour les petits investisseurs. Au début de la pandémie de covid, les petits investisseurs se sont précipités pour acquérir des actions fortement décotées.
Les investisseurs particuliers belges ne sont pas nombreux et ils investissent de plus en plus dans des ETF, ou fonds négociés en Bourse. Jean-Paul Servais, président du régulateur financier FSMA : “Il faut savoir que les investissements dans les ETF qui suivent les indices boursiers mondiaux ne sont pas orientés vers les entreprises européennes.” En effet, les grandes entreprises technologiques américaines telles que Nvidia, Microsoft et Apple dominent ces indices mondiaux.
L’argument le plus important pour expliquer pourquoi l’économie belge a besoin d’un marché boursier bien géré est peut-être la démocratisation de la richesse qui en découle. Si le commun des mortels peut investir de petites sommes et profiter ainsi des succès des entrepreneurs, il y aura moins de jalousie. D’autant plus que ce petit investisseur constatera aussi par lui-même que tous les investissements ne sont pas aussi fructueux les uns que les autres.
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