La BCE baisse une nouvelle fois ses taux 

La présidente de la BCE, Christine Lagarde. © REUTERS

La BCE abaisse son principal taux directeur et abaisse ses prévisions de croissance pour 2025 et 2026.

La Banque centrale européenne a poursuivi jeudi sa politique de détente des taux d’intérêt mais son cap monétaire n’a jamais été aussi incertain pour la suite dans un contexte de guerres commerciales avec les Etats-Unis et de hausse des dépenses de défense attendues en Europe.

En abaissant, comme attendu, son principal taux d’intérêt directeur de 0,25 point de pourcentage, l’institution de Francfort marque sa confiance dans le retour progressif de l’inflation à l’objectif de 2%. Le taux de dépôt, qui fait référence, est ainsi ramené de 2,75% à 2,50%. C’est le cinquième assouplissement monétaire d’affilée — le sixième depuis juin dernier après le pic atteint par les taux d’intérêt en septembre 2023, dans un contexte à l’époque de forte inflation. La fin de ce cycle est-il en vue ?

Un contexte particulièrement tendu

Cette décision prend place dans un contexte économique et politique particulièrement tendu. En effet, les taux souverains de la zone euro ont atteint leurs plus hauts niveaux depuis 2023, un pic que l’on n’avait pas observé depuis la flambée inflationniste de l’année précédente, suite à la présentation d’un plan de relance massif en Allemagne. La décision radicale du futur gouvernement allemand d’augmenter la dette publique pour les dépenses d’armement a déjà causé une poussée de fièvre des taux d’emprunt de l’Allemagne, inédite depuis la Réunification.

Pourtant, la BCE a maintenu sa stratégie d’assouplissement monétaire. Et cela n’a pas surpris les marchés, d’autant plus que Christine Lagarde, présidente de la BCE, avait exprimé sa confiance en janvier quant au retour de l’inflation à la cible de 2 % dans le courant de l’année.

En effet, l’inflation a légèrement ralenti en février, s’établissant à 2,4 % sur un an, contre 2,5 % en janvier, tandis que l’inflation sous-jacente (excluant les prix volatils de l’énergie et de l’alimentation) a diminué à 2,6 %. Cette évolution a renforcé la position de la BCE qui, selon ses responsables, considère que la stabilisation des prix est désormais en bonne voie.

La méfiance des “faucons”

Cette baisse des taux aura néanmoins aussi nourri les débats au sein de la BCE. Les “faucons”, partisans d’une politique monétaire plus stricte, s’interrogent sur la nécessité de maintenir cette trajectoire. Ils estiment qu’un taux de dépôt à 2,5 % pourrait correspondre à un taux neutre, celui qui ne stimule ni ne freine l’économie. En deçà de ce seuil, une baisse trop marquée pourrait relancer l’inflation. De plus, les initiatives de relance à l’échelle nationale, comme l’investissement de 500 milliards d’euros en Allemagne ou le plan européen de 800 milliards d’euros pour renforcer la défense, compliquent davantage la situation. Les “faucons” voient ces plans comme un argument pour durcir la politique monétaire, estimant qu’un excès de dépenses publiques pourrait entraîner des pressions inflationnistes supplémentaires.

Isabel Schnabel, membre du directoire, a ainsi suggéré qu’il était peut-être temps de discuter d’une pause dès mars, car les taux se rapprochent déjà d’un niveau qui ne pénalise ni ne favorise l’économie, ne laissant guère de marge pour les assouplir encore. D’autres membres du conseil des gouverneurs de la BCE estiment qu’il est trop tôt pour ouvrir ce débat, vue la récente quasi-stagnation du PIB de la zone euro au dernier trimestre de 2024, notamment du fait d’un coût élevé de l’emprunt.

Ces tensions internes expliquent probablement la formulation nuancée du communiqué. La BCE a pris la peine de souligner que sa politique monétaire devenait “sensiblement moins restrictive”. Une nuance non dénuée d’importance.

Les marchés ont réduit leurs attentes

Dans ce contexte incertain, les marchés ont réduit leurs attentes. Après la baisse d’aujourd’hui, les prévisions sont désormais ramenées à une seule autre baisse.

Autre fait notable: dans son communiqué, la BCE a choisi une formulation nuancée. Elle a pris la peine de souligner que sa politique monétaire devenait “sensiblement moins restrictive”.

Ce resserrement des conditions financières intervient en effet alors que l’activité de la zone euro reste faible et que s’ajoute l’imposition imminente de droits de douane réciproques par les États-Unis qui menace d’amener de la récession en Europe. Le contexte oblige la BCE à jongler entre des objectifs parfois difficiles à concilier: maîtriser l’inflation tout en soutenant la croissance dans une zone euro fragilisée par des crises successives.

D’un autre côté, les dépenses colossales prévues par l’Allemagne, en s’affranchissant du dogme de la rigueur, pourraient doper la croissance européenne et l’inflation. Dans ce contexte, “les attentes de baisse des taux de la BCE (pourraient) être reconsidérées”, souligne Kathleen Brooks, directrice de recherche de la plateforme de trading XTB. L’évolution du conflit en Ukraine, pays qui ne peut plus compter en grande partie sur l’aide américaine face à l’agresseur russe, pourrait également influencer la trajectoire économique et donc les décisions de la BCE. Ces risques ne sont pas encore pleinement intégrés dans les dernières projections économiques publiées jeudi par l’institution.

Christine Lagarde a joué la prudence. “Nous avons des risques partout et de l’incertitude et dans ces circonstances, notre détermination est évidemment d’atteindre notre destination mais nous le ferons sans nous engager à l’avance sur une voie particulière”, a-t-elle déclaré à la presse.

La BCE a également rehaussé ses prévisions d’inflation pour 2025 à cause de la hausse des prix de l’énergie, et abaissé ses prévisions de croissance pour 2025 et 2026 face à “la baisse des exportations et la faiblesse persistante des investissements”.

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