Vaccin: la fin du cauchemar?
Alors que Pfizer et Modena abordent en tête la dernière ligne droite, la grande gagnante de la course au vaccin devrait être l’économie. Un environnement favorable doublé d’un boom de créations d’entreprises permet d’entrevoir le bout du tunnel.
Même si les avancées présentées par Pfizer/BioNTech et Moderna continuent de soulever des interrogations chez les experts, les nombreux développements entrant dans une phase décisive semblent vouloir concrétiser l’espoir de disposer d’un vaccin. Comme l’a rappelé Yves Van Laethem, porte-parole interfédéral de la lutte contre le Covid-19, la vaccination va “nous permettre de bâtir une immunité de groupe dans la société sans payer les frais de l’infection et de sa mortalité”. Avec la deuxième vague qui déferle cet automne, l’immunité de groupe est la clé d’une réouverture complète de l’économie.
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A moyen terme
Avant toute chose, rappelons qu’aucun vaccin ne sera largement disponible avant plusieurs mois. Même en partant du principe que tout se passera bien, on parle de quelques dizaines de millions de doses tout au plus, destinées en priorité au personnel soignant et aux personnes à risque, disponibles d’ici à fin 2020 ; une vaccination de grande ampleur, permettant de tourner la page de la crise sanitaire, et une normalisation de l’économie n’interviendront pas avant le printemps ou l’été prochain. Jerome Powell, le président de la Réserve fédérale américaine, s’est d’ailleurs montré prudent: il a évoqué une bonne nouvelle à moyen terme, mais annoncé des mois difficiles à court terme en raison de la deuxième vague de contamination qui s’amorce aux Etats-Unis.
D’un point de vue économique, en revanche, le coût de la vaccination apparaît dérisoire. Même en étant plus cher que ses concurrents (coût total estimé à 90 euros pour les deux doses nécessaires), le vaccin de Pfizer et BioNTech coûterait environ 800 milliards de dollars à l’échelon de la population mondiale, soit 15 fois moins que les 11.700 milliards de dollars débloqués par les gouvernements du monde entier pour soutenir l’économie, selon les estimations du Fonds monétaire international (FMI), sans compter les 7.650 milliards injectés par les banques centrales.
Situation inédite
Mais l’économie répondra-t-elle présent quand la menace du coronavirus sera écartée? Les économistes sont divisés sur la forme qu’adoptera la reprise, ce qui s’explique avant tout par l’absence de points de repère, au sortir d’une récession totalement inédite. Selon la Banque mondiale, la planète a connu en 2020 sa plus grave récession depuis la Seconde Guerre mondiale. Pis: jamais une crise économique n’avait frappé simultanément autant de pays depuis le début de la récolte des données, en 1870. Par ailleurs, l’effondrement est dû non pas aux mécanismes économiques traditionnels, mais à la décision des gouvernements du monde entier d’instaurer des mesures sanitaires visant à protéger les populations. Une première, même à l’aune des grandes pandémies du 20e siècle.
L’alphabet de la reprise
Les scénarios de reprise les plus divers ont ainsi circulé. La tant espérée reprise en V (chute rapide, reprise rapide) devrait rester un voeu pieux pour la plupart des économies, à l’exception notable de la Chine qui devrait éviter une récession sur l’ensemble de l’exercice 2020. L’avancée des vaccins expérimentaux écarte aussi le scénario noir du L (déclin de l’économie qui s’éterniserait, sans réelle reprise). ” Disposer d’un vaccin, c’est avoir la possibilité de mettre fin à la crise dans un temps fini “, explique Philippe Waechter, directeur de la Recherche économique chez Ostrum AM.
Avec la deuxième vague, active en Europe et qui plane au-dessus des Etats-Unis, les divers scénarios en U (chute rapide, période de stagnation, forte reprise) ont été remplacés par un W, les deux creux symbolisant les conséquences économiques des vagues successives. Ce scénario se base sur l’idée générale d’une normalisation rapide de l’économie dès que la menace du virus est écartée – une économie ” mécanique “, comme l’évoquait William De Vijlder, directeur de la Recherche économique du groupe BNP Paribas. ” On décide d’arrêter l’activité parce qu’on passe en confinement, puis à un moment donné, on passe en déconfinement et on redémarre l’activité “, commente-t-il.
Jusqu’à présent toutefois, la reprise a plutôt pris la forme d’un K, surtout en Bourse. L’oblique supérieure symbolise les secteurs qui rebondissent rapidement, voire qui profitent de la crise, comme les technologies ou l’industrie ; la barre inférieure représente les secteurs qui peinent à rebondir, dont, essentiellement, ceux des services comme l’horeca, le tourisme, etc. Au niveau sociétal, cette oblique inférieure concerne bien davantage les bas salaires, comme l’illustre l’évolution de la rémunération horaire dans le secteur privé aux Etats-Unis ( voir tableau): après avoir brusquement augmenté au début de la crise, elle reste sur une tendance bien supérieure à ce qu’elle était avant la pandémie. Ce qui prouve que parmi les 9 millions d’emplois détruits aux Etats-Unis entre février et octobre 2020, les bas salaires sont surreprésentés.
Menace des faillites
Au-dessus des secteurs qui, comme l’horeca, sont en crise depuis le tout début de la pandémie, plane de surcroît le spectre de la disparition d’entreprises. Le moratoire sur les crédits et le moratoire sur les faillites (qui vient d’être prolongé jusqu’au 31 janvier 2021 en Belgique) ont permis de limiter les dégâts en 2020, mais Euler Hermes se montre pessimiste pour l’an prochain: le leader mondial de l’assurance-crédit estime que les faillites augmenteront de 35% en 2021 dans le monde et atteindront le nombre record de 13.500 en Belgique.
Si le chiffre est impressionnant, rappelons que la tendance était à la hausse dès avant la pandémie (11.817 entreprises déclarées en faillite en 2019). Etienne de Callataÿ, cofondateur et économiste en chef d’Orcadia AM, soulignait récemment que les faillites constituent en quelque sorte une ” cruauté nécessaire “, pour permettre à l’économie de se renouveler.
Boom des créations d’entreprises
Il est d’ailleurs rassurant de constater que les créations d’entreprises se portent bien en Belgique depuis le (premier) déconfinement: leur taux a été supérieur, entre juin et août 2020, à ce qu’il fut en 2019 (derniers chiffres disponibles). Le nombre d’entreprises continue ainsi d’augmenter. Fin août, Statbel recensait 475.095 personnes physiques assujetties à la TVA (+2,7% en 2020) et 562.869 personnes morales (+14.931, soit +2,7% également). Le phénomène n’est pas circonscrit à la Belgique. Selon les chiffres de l’OCDE, les créations d’entreprises sont restées assez solides au premier semestre, hormis en Espagne, au Portugal et en Italie pour ce qui est des sociétés. Pour le troisième trimestre, seuls les chiffres de la France sont disponibles. Ils sont excellents: les ouvertures d’entreprises et de sociétés ont atteint un plus haut historique. Les chiffres du Bureau de recensement américain vont dans le même sens: les business applications, soit les demandes de numéro d’identification d’employeur, ont littéralement crevé le plafond au troisième trimestre. The Economist évoque une vague de start-up qui n’arrive qu’une fois par génération ; les chèques fiscaux ont donné les moyens, la crise économique, le besoin et le confinement, le temps, aux Américains de créer leur entreprise.
Environnement porteur
Voilà donc de quoi avoir confiance dans le potentiel de l’économie mondiale post-coronavirus. D’autant que l’environnement budgétaire et monétaire devrait demeurer accommodant. Aux Etats-Unis, le programme de Joe Biden prévoit globalement plus de 5.000 milliards de dollars de dépenses publiques supplémentaires d’ici à 2030 ; en Europe, les premiers versements du plan de relance Next Generation EU, doté de 750 milliards d’euros, sont attendus pour l’été prochain.
Au niveau monétaire, Jerome Powell a annoncé fin août que la Federal Reserve viserait désormais une inflation moyenne de 2%, sous-entendant qu’elle pourrait la laisser filer à plus de 2%, après des années d’inflation faible, sans durcir sa politique ni relever ses taux. Beaucoup d’observateurs s’attendent à ce que la revue stratégique de la Banque centrale européenne initiée par Christine Lagarde débouche prochainement sur une évolution comparable. Enfin, la victoire de Joe Biden devrait permettre d’apaiser les tensions commerciales.
Un vaccin à 9.000 milliards de dollars
Lors de ses prévisions économiques d’automne, les dernières en date, le FMI tablait sur une croissance mondiale de 5,2% en 2021, qui permettrait d’éclipser la contraction de 4,4% escomptée pour 2020. Gita Gopinath, économiste en chef du FMI, soulignait que ” le tableau économique pourrait nettement s’éclaircir si des tests, des traitements et des vaccins devenaient disponibles sous peu dans un grand nombre de pays “. Elle exhortait ainsi les gouvernements internationaux à collaborer pour développer un vaccin et mettre fin à la crise sanitaire. ” D’après nos estimations, si des solutions médicales devenaient disponibles plus rapidement et à plus grande échelle que dans notre scénario de référence, les recettes mondiales pourraient croître cumulativement de près de 9.000 milliards de dollars d’ici la fin 2025, ce qui augmenterait les revenus dans tous les pays “, a-t-elle ajouté.
Pas d’euphorie
Si l’arrivée d’un vaccin peut permettre un redémarrage plus rapide et plus puissant que prévu de l’économie, l’heure n’est pas à l’euphorie. Certains secteurs, comme la construction aéronautique, industrie importante pour la Wallonie, risquent de souffrir longtemps. IBA, consultant spécialisé dans l’aviation, prévoit que les compagnies retourneront pas moins de 1.000 avions en leasing à leurs bailleurs l’année prochaine – un stock qui pourra être mobilisé lorsque le trafic reprendra, à un niveau encore inconnu. Le développement des réunions virtuelles pourrait avoir érodé durablement la demande de réunions physiques. De même, on peut s’attendre à ce que de nombreuses entreprises aient fortement puisé dans leurs réserves et cherchent à les reconstituer avant d’investir à nouveau.
5,2% : la croissance mondiale prévue par le FMI pour 2021, ce qui permettrait d’éclipser la contraction de 4,4% escomptée pour 2020.
Les secteurs liés à la consommation pourraient, eux, profiter d’un revenge spending : un peu partout dans le monde, les ménages ont beaucoup épargné durant la crise, comme l’a confirmé l’Observatoire sur l’épargne de CBC – près d’un ménage belge sur deux a mis plus de 200 euros de côté par mois. Le premier secteur à en profiter serait celui du luxe, d’autant que, comme on l’a vu aux Etats-Unis, les plus hauts salaires sont ceux qui ont le moins souffert de la crise. L’automobile, les loisirs et le secteur de la consommation discrétionnaire (biens et services considérés comme non essentiels) pourraient eux aussi en bénéficier.
Boucles d’or en bourse
Déjà rassurés par l’élection de Joe Biden, les marchés boursiers se sont envolés à l’annonce de l’efficacité du vaccin de Pfizer et BioNTech. Wall Street table de plus en plus sur un retour des goldilocks (“boucles d’or”), mix de croissance soutenue et de faible inflation, le cocktail idéal pour les marchés d’actions, qui bénéficient de la sorte d’une hausse des bénéfices des entreprises sans subir la concurrence des rendements obligataires. Goldman Sachs a, par exemple, relevé ses objectifs pour la fin 2021, tablant désormais sur un bond de 21% du S&P 500 américain, de 11% du Stoxx 600 européen et de 13% du FTSE 100 britannique. Reste que les pionniers de cet âge d’or n’en seront pas nécessairement les premiers bénéficiaires. Le soufflé Pfizer est rapidement retombé en Bourse: financièrement, le vaccin n’est pas considéré comme un catalyseur pour le géant pharmaceutique. Les premières doses ont été vendues en préfinancement aux Etats-Unis au prix unitaire de 19,5 dollars. Geoffrey Porges, analyste chez SVB Leerink, prévoit que Pfizer en retirera un chiffre d’affaires de 4,6 milliards de dollars en 2021, montant qui ira en diminuant ensuite. La marge bénéficiaire devrait être plus limitée que celle des médicaments classiques, et s’amenuiser à mesure que de nouveaux vaccins arriveront sur le marché. Pour un groupe comme Pfizer, qui réalise de 16 à 17 milliards de dollars de bénéfices par an, l’enjeu financier est limité ; cette victoire pourrait en revanche redorer sa réputation, ternie par des années d’échecs dans le développement de nouveaux médicaments. Concernant BioNTech, le cours semble déjà intégrer une pleine réussite, puisque sa valorisation atteint 25 milliards de dollars, alors qu’elle n’a encore commercialisé aucun traitement. Le même raisonnement est valable pour Moderna, qui vaut près de 40 milliards de dollars sans produit commercialisé pour l’instant. Assez logiquement, les entreprises qui ont le plus à gagner du développement d’un vaccin sont celles qui souffrent du confinement. Les sociétés immobilières commerciales, les compagnies aériennes, les exploitants de cinémas et de parcs d’attractions, les constructeurs automobiles et les banques (risque de pertes sur crédits) bénéficieraient ainsi d’une réouverture de l’économie. A contrario, comme on l’a vu la semaine dernière, certaines firmes ont beaucoup à perdre d’un retour à une vie normale. HelloFresh a notamment été prise pour cible après l’annonce de l’efficacité du vaccin de Pfizer, l’infidélité structurelle de sa clientèle laissant craindre que ses nouveaux clients auront vite tourné la page. Les spécialistes de l’e-commerce comme Amazon ou Ocado ont aussi souffert, de même que Netflix, Peloton (sport en ligne) ou Zoom (réunions virtuelles). Certains de ces acteurs peineront vraisemblablement à pérenniser les gains engrangés en 2020, mais plusieurs tendances devraient perdurer, notamment sur le plan de l’e-commerce.
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